[Chronique] L’éternel mirage européen

Que resterait-il à l’Afrique si tous les jeunes partaient ? Qui pourrait assurer le relais, travailler pour les générations futures, atteler le continent au convoi des pays développés ?

Des migrants subsahariens qui ont forcé la barrière de protection qui sépare Espagne et Maroc à Mellila, le 28 mars 2014. © Santi Palacios/AP/SIPA

Des migrants subsahariens qui ont forcé la barrière de protection qui sépare Espagne et Maroc à Mellila, le 28 mars 2014. © Santi Palacios/AP/SIPA

Fawzia Zouria

Publié le 11 octobre 2018 Lecture : 3 minutes.

À Fès, où je me trouvais récemment, j’ai pris un taxi au centre-ville pour regagner mon hôtel. Recourant à la méthode bien connue des journalistes suivant laquelle, pour tâter le pouls d’un pays, il faut commencer par faire parler ses coiffeurs et ses chauffeurs de taxi, j’ai lancé la conversation.

Ah, moi aussi, je veux aller vivre là-bas

Je voulais en savoir plus sur les jeunes au Maroc. Cela tombait bien. Le conducteur avait une vingtaine d’années, mince, les yeux vifs, le débit rapide. Dès qu’il a su que j’habitais en France, il s’est exclamé : « Ah, moi aussi, je veux aller vivre là-bas. »

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S’ensuivit ce dialogue :

« Pourquoi quitter le Maroc ?

– Je rêve de la France depuis des années.

– Et pourquoi pas l’Allemagne ou l’Italie ?

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– Je veux la France. Parce que c’est un pays de justice et de liberté.

– D’autres pays d’Europe le sont aussi.

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– Aucun pays ne respecte les droits de l’homme et l’intégrité de la personne comme la France.

– Peut-être. Mais, vous savez, ce n’est pas facile d’obtenir des papiers en France. En plus, vous ne parlez pas bien la langue et vous n’avez pas un métier très recherché. »

J’ai renchéri en noircissant le tableau exprès, évoquant le chômage, la peur de l’islam, le racisme…

Apparemment, il s’en fichait. Il ne m’écoutait même pas. J’ai demandé :

J’ai tenté deux fois par l’Espagne et j’ai été refoulé !

« Vous avez déjà essayé d’y aller ?

– Bien sûr. J’ai tenté deux fois par l’Espagne et j’ai été refoulé ! Maintenant ce sera par la mer.

– Vous pourriez vous noyer en mer…

– Et que croyez-vous que je fasse ici ? Je me noie tous les jours. Alors autant le faire avec panache ! »

Mon silence lui a fait croire que je me rendais à ses arguments. Il a conclu les yeux rêveurs :

« La prochaine fois sera la bonne. J’ai déjà mon plan. »

>>> À LIRE – Tribune : l’Afrique ne peut plus rester indifférente à ses migrants

Saut dans l’inconnu

Cette conversation m’a rappelé une rencontre que j’ai faite avec des collégiens de Bamako. J’étais allée au Mali dans le cadre du festival littéraire Étonnants Voyageurs. Le thème était axé sur l’écriture. Personne ne sembla captivé par mes propos sur le sujet. C’est alors que j’ai changé mon fusil d’épaule. J’ai commencé à parler de ma vie.

Les élèves ont soudain levé les yeux. Mon itinéraire entre Tunis et Paris les a passionnés. J’ai expliqué les conditions dans lesquelles j’étais partie à l’étranger. J’ai poursuivi en disant que, si je devais le refaire, j’y réfléchirais à deux fois. Ce n’est pas si commode de se séparer des siens et de sa terre natale. La solitude, un rythme de vie effréné et une intégration qui n’est pas toujours évidente. Et puis, ai-je ajouté, si tous les jeunes comme vous partaient, que resterait-il à l’Afrique ?

Madame, comment avez-vous fait pour obtenir le visa ?

Qui va assurer le relais, travailler pour les générations futures, atteler le continent au convoi des pays développés ? « Ne demeure dans l’oued que ses propres pierres », ai-je conclu par un proverbe arabe, contente de moi, après la bonne demi-heure passée à persuader ces gamins de ne pas tenter l’aventure d’un départ arbitraire, synonyme de saut dans le vide.

Quand je me suis tue, estimant avoir fait le nécessaire, un petit doigt s’est levé au fond de la salle. La seule question que l’adolescent me posa fut celle-ci : « Madame, comment avez-vous fait pour obtenir le visa ? » J’ai compris que j’avais échoué à convaincre quiconque dans cette salle de classe.

À qui doit-on en vouloir ? À ces jeunes, à leurs aînés ou à nos dirigeants ?

Depuis, je tente de cerner le problème. Les « experts » y parviendront sans doute. Ils l’analyseront mieux que moi et de mille autres manières. À Bamako comme à Fès, je me suis retrouvée avec plein d’interrogations, me demandant avec amertume : à qui doit-on en vouloir ? À ces jeunes, à leurs aînés ou à nos dirigeants ?

À ceux qui ne leur offrent pas de perspectives sur place ou à ceux qui leur ferment les frontières ? À l’Europe ou au continent ? Aux nôtres, africains, qui font des enfants sans leur garantir la dignité de vivre ? Ou bien aux autres, européens, qui, lorsque l’aventure tourne court, leur refusent le simple droit d’être inhumés dignement, les laissant échouer comme des poissons morts sur les plages ?

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