Nouveau bail pour Obasanjo

Le président a été reconduit dans ses fonctions dès le premier tour, à l’issue d’un scrutin contesté. Mais le plus dur est sans doute à venir. Notamment sur le front social.

Publié le 25 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

Le Nigeria serait-il entré dans l’ère de la paix ? Si l’on en croit le calme qui régnait dans certaines villes pourtant réputées violentes, comme Lagos, les élections du 19 avril ont été une réussite. Queues raisonnables devant les bureaux de vote, peu de bagarres, participation satisfaisante, ambiance à peu près paisible… Le dispositif policier et militaire y a été pour quelque chose. L’enjeu était d’importance : élire le président de la République fédérale, mais également les gouverneurs des trente-six États. De par les avantages tant politiques que financiers liés à la fonction, ces derniers mandats avaient fait l’objet de nombreuses tractations, souvent occultes.
Évidemment, il y a eu quelques dérapages sur le terrain, notamment dans les États où les résultats n’étaient pas joués d’avance. Dans le Kwara, par exemple, dans l’ouest du pays, le gouverneur Mohamed Lawal, ANPP (All Nigerian’s People Party, opposition) a été défait par son challenger Bukola Saraki, du PDP (People’s Democratic Party, au pouvoir). Dans la réalité, le gouverneur avait installé plusieurs membres de sa famille à des postes clés, et son adversaire ne rêvait que de les en déloger. Port-Harcourt, la capitale de Rivers, dans le Sud-Est, a été mis sous couvre-feu, mais plus par peur d’éventuels débordements que pour des menaces réelles.
Le gouverneur Peter Otunuya Odili (PDP) a été réélu. La ville de Warri, théâtre, mi-avril, d’affrontements interethniques à relents politiques, est restée calme, et James Onanefe Ibori conserve son poste. Lagos a, lui, fait mentir ses détracteurs : la mégapole est restée comme morte toute la journée. Pourtant, la veille, le gouverneur Bola Ahmed Tinubu (Alliance for Democracy, opposition) avait emménagé avec sa famille à l’hôtel Sofitel, dans le quartier d’Ikoyi, par crainte d’une attaque contre sa villa. Claquemuré dans sa chambre, il refusait tout contact avec l’extérieur, si ce n’est sur son téléphone portable.
On a bien entendu parler d’un chauffeur de taxi tué par un policier sur le pont d’Ikoyi à Victoria Island, mais plus vraisemblablement à la suite d’un acte de banditisme qu’en liaison avec les élections. La pluie, drue, est arrivée vers midi pour décourager ceux qui ne s’étaient pas encore rendus aux urnes. Celles-ci ont été closes à 15 heures, comme prévu, et transportées sous un orage de fin du monde pour être dépouillées dans les bureaux de l’Inec (Commission électorale). Le soir, le Centre culturel français a fait salle comble pour le concert de Yinka Davies, la nouvelle coqueluche des Lagosians amateurs d’afro-beat. Personne, en dehors des journalistes et des diplomates invités, ne parlait d’éventuels résultats. Pourtant, Tinubu a eu chaud… Il ne devance son adversaire, Funsho Williams (PDP), que d’environ 200 000 voix, au prix d’une campagne électorale coûteuse, dont la partie la plus visible, l’affichage, s’est étendue jusque sur les baraques branlantes d’Oshodi, le quartier le plus misérable de Lagos.
L’Alliance for Democracy (AD), le parti de Tinubu, est le grand perdant de cette élection. Organe politique des Yoroubas, le groupe culturel du président Obasanjo, mais opposé à sa politique, il tenait au préalable tous les États du Sud-Ouest. Seul lui reste celui de Lagos. Ogun, Oyo, Ondo, Ekiti et Osun sont aujourd’hui passés entre les mains du PDP. C’est un bel avantage pour Obasanjo, qui avait toutes les peines du monde à s’entendre avec ses « frères », virulents contestataires, qui avaient même voté en faveur d’une mesure d’impeachment à son encontre, en 2000.
Pour la présidentielle, autre enjeu du scrutin du 19 avril, c’est donc le président sortant, Matthew Okikiolahan Olusegun Aremu Obasanjo, 66 ans depuis le 3 mars, qui l’emporte. Abel Guobadia, président de l’Inec, l’a officiellement annoncé avant même que soient récapitulés tous les résultats de tous les États. Le score avoisinera 62 %. Son principal adversaire, Muhammadu Buhari (voir ci-dessous), recueille un peu plus de 32 % des voix. En troisième position se trouve Emeka Ojukwu, l’ancien leader de la guerre du Biafra. Sa performance est décevante : 3,29 % au niveau national. Curieusement, même dans son fief, le pays igbo, il a été largement battu par Obasanjo, qui y a fait un score parfois trois ou quatre fois supérieur, comme dans l’Enugu.
Devant de tels écarts, de nombreux Nigérians crient à la fraude. Les observateurs acquiescent. Ils étaient près de cinquante mille, représentant deux cents organisations indépendantes, à s’être rendus dans ce pays poids lourd de l’Afrique occidentale. L’Église catholique, qui en avait pour sa part trente mille, a relevé beaucoup d’irrégularités. « Des cas évidents ont été enregistrés : dans l’État d’Anambra, par exemple, les responsables électoraux du gouvernement ont annoncé les données d’un bureau de vote qui n’avait pas même été ouvert », a affirmé le père dominicain Iheanyi Enwerem, responsable du groupe de surveillance électorale de la Conférence épiscopale du Nigeria. Il a également dénoncé le fait que l’Inec est très liée au pouvoir et que des fraudes ont été commises sous les yeux de ses représentants. L’ancien secrétaire général de l’OUA, le Tanzanien Salim Ahmed Salim, président du groupe d’observateurs du Commonwealth, a mis en relief les trucages constatés dans l’Enugu et Rivers. Ses homologues de l’Union européenne ont ajouté à sa liste les États d’Anambra, Bénoué, Katsina, Kogi, Nasarawa, Cross River, Delta, Imo, Kaduna et Edo, autrement dit un tiers du pays.
La campagne électorale a été terne, très peu de meetings, de maigres débats télévisés, le plus souvent tenus entre « petits » candidats. Les spots télévisés et radiophoniques étaient plutôt consacrés à dénigrer l’adversaire qu’à promouvoir des programmes. À preuve celui de Muhammadu Buhari : « No Way, no Power, no Water, no Petrol » (pas de routes, pas d’électricité, pas d’eau potable, pas d’essence), clamait-il en exergue. C’est ce que la population reproche à Obasanjo pour son premier mandat, mais c’est insuffisant pour la convaincre de voter pour quelqu’un d’autre. Pourtant, Buhari a un « Projet Nigeria », gros document de soixante-dix pages, ambitieux et plutôt irréaliste, mais susceptible de séduire les déçus du régime sortant. Quant au PDP, il n’a pas fait dans la dentelle : il a osé publier dans la presse une photo d’Hitler avec pour slogan « Attention, lui aussi a été démocratiquement élu en disant qu’il ferait mieux que ses adversaires », sous-entendu : comme Buhari.
La complexité du Nigeria réside dans le fait que tout est possible. Au cours de son premier mandat, Obasanjo s’est appliqué à remettre son pays en bonne place sur la scène internationale. Il fallait rassurer l’opinion et faire revenir les investisseurs étrangers. La stratégie s’est révélée astucieuse. Non seulement le pays amorce un nouveau développement, mais le président a pris soin de lier – par l’argent – d’éventuels adversaires politiques. Exemple : la société Alcatel a signé avec la société nigériane Globacom, en février 2003, un contrat dont la première tranche est fixée à 675 millions d’euros (443 milliards de F CFA) pour la fourniture clés en main d’un réseau national de télécommunications fixe et mobile. Or, comme le révélait en août 2002 Reuben Abati, éditorialiste au quotidien The Guardian, le président de Globacom, Mike Adenuga, est un IBB’s boy, un homme du nordiste Ibrahim Badamosi Babangida, le très puissant général à la retraite, le « faiseur de rois » (voir J.A.I. n° 2204).
Dans ce pays où l’argent règne, on comprend alors que les nordistes, en majorité musulmans, adeptes de la charia et traditionnellement opposés aux sudistes comme Obasanjo, ont de moins en moins envie de voir le pays se déstabiliser. Un coup d’État, ou simplement une trop violente contestation, pourrait provoquer la remise en question des gros contrats industriels, profitables pour tout le monde. Muhammadu Buhari crie presque dans le désert lorsqu’il appelle « les Nigérians et les puissances occidentales à ne pas reconnaître un gouvernement né d’élections aussi frauduleuses » et propose de « corriger » – comment ? – les résultats.
Pourtant, aucun scénario catastrophe n’est à écarter a priori. Dans un pays riche de 130 millions d’habitants se trouvent toujours des mécontents organisés, et bien armés. On a bien vu, mi-avril, les populations ijaws attaquer les plate-formes pétrolières et le pipeline d’Escravos, dans le Delta, avec suffisamment d’efficacité pour interrompre la production – 800 000 barils par jour – pendant deux semaines. Et tous les acteurs politiques nigérians aiment jouer avec le feu.

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