Notre agent à Dakar

Avec les Mémoires de cet ancien des services français, on est en plein roman.

Publié le 28 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Alors que l’on imagine les services de renseignements réorientés vers la lutte contre le terrorisme international et vers l’espionnage industriel, à quoi peut bien servir un agent secret de type classique d’une « puissance moyenne » – la France -, hantant les salons et les bas-fonds d’une capitale d’Afrique occidentale ? Devoir de réserve ou manie de la clandestinité oblige, Dominique Fonvielle ne répondra pas à cette question. Il est même stupéfiant que cet ancien des services français, qui fut notamment chef de poste de la DGSE (Direction générale des services extérieurs) à Dakar de 1989 à 1994, parvienne à celer, à travers quatre cents pages de Mémoires – ne parlons pas de scoops -, jusqu’à la moindre information d’ordre politique.
En fait de scoop, quand même, il y en a un, c’est que la réalité rejoint la fiction. Fonvielle se défend d’être James Bond, mais on croit relire Notre agent à La Havane ou revoir Le Troisième Homme.
Dakar n’est pas Vienne. Le personnel du service secret français dans la capitale sénégalaise comporte, en tout et pour tout, le chef du poste et son secrétaire. Et ils doivent couvrir un secteur qui inclut le Mali, la Guinée-Bissau, le Cap-Vert, la Gambie et la Sierra Leone. Leurs bureaux, leurs moyens de transmission et leur laboratoire photographique forment une espèce de bunker à l’intérieur de l’ambassade.
En vérité, dans les pays d’Afrique francophone, il y a ou il y avait un troisième homme de la DGSE, ouvertement détaché auprès du chef de l’État comme conseiller chargé d’organiser les services nationaux de renseignements, ainsi que, du même coup, « d’instaurer les échanges en ce domaine entre la France et le pays de résidence ». Cependant, note Fonvielle, « cette relation s’est usée au fil du temps et est progressivement sortie de son cadre originel. Ces échanges se sont transformés en messages à destination du chef de l’État français, constituant une forme de diplomatie parallèle, affaiblissant les circuits officiels et ouvrant la porte à toutes sortes de dérives et de manipulations. »
Officiellement deuxième secrétaire à l’ambassade, Dominique Fonvielle assume au grand jour, à ce titre, les relations avec l’opposition, dans lesquelles les diplomates d’un rang plus élevé « ne peuvent se commettre ». Si bien qu’il a, dans ce domaine, des contacts dont il rend compte partiellement à l’ambassadeur et partiellement à sa hiérarchie à Paris, selon une clé de répartition qui paraît plus intuitive que mécanique.
Les contacts clandestins, c’est une autre affaire. Les « sources » régulières sont un peu à tous les niveaux, la plupart dans l’administration, du haut fonctionnaire au ronéotypiste – on n’en saura pas plus -, au nombre d’une dizaine et rémunérées, en général, 20 000 à 30 000 F CFA (30 à 45 euros) par mois. Ce n’est pas un pont d’or, mais à cela peuvent s’ajouter des faveurs diverses ou billets d’avion. Surtout, il paraît que le fait d’avoir été recruté par un service d’espionnage est valorisant, même si on ne peut pas s’en vanter.
Cela ne veut pas dire que le recrutement est facile. Il nécessite jusqu’à des années d’approche (voir l’encadré). Ensuite, c’est alors qu’on entre dans le roman d’espionnage.
En vérité, on y est depuis longtemps, et le moins instructif de ces Mémoires n’est pas les années d’initiation. Car on y voit l’agent secret, bien avant d’être lâché sur le terrain, devenir, corps et âme, l’esclave de « la Centrale ». Il pénètre dans un « univers de plus en plus décalé par rapport au reste de la société, fait d’interdits, de restrictions, de soupçons, de secrets ». Il ne s’appartient plus et il est désormais « supposé rendre compte de l’évolution de ses contacts, de ses amitiés, de la modification de son cercle relationnel ». L’espionnite règne partout, y compris entre services de la DGSE et à l’intérieur d’un service. La paranoïa n’est jamais loin ; d’ailleurs, observe l’auteur pour se défendre, « même les paranoïaques ont des ennemis ».
Une fois en poste à l’étranger, l’agent apprend à être sans cesse sur ses gardes afin de déjouer les filatures réelles ou virtuelles, à mettre à jour des « itinéraires de sécurité ». Il lui faut être capable de circuler avec aisance dans les quartiers populaires, de s’y « fondre dans le paysage ». On imagine que ce n’est pas ce qu’il y a de plus facile pour un diplomate blanc en Afrique noire.
Le fin du fin est la rencontre avec les « sources ». Le lieu choisi doit être tel que l’entrevue de l’indicateur avec l’officier traitant ne risque pas d’éveiller le soupçon, et qu’il soit aisé de déceler la moindre présence suspecte. Le secrétaire du chef de poste contribue à brouiller les pistes. En fin de compte, le plus simple, si l’on peut dire, est le rendez-vous à l’intérieur d’une voiture, mais il faut savoir qu’avant de cueillir son interlocuteur à un carrefour, l’officier traitant aura inspecté les environs, aux aguets du moindre signe anormal. D’ailleurs, avis aux informateurs. Ceux-ci ont certainement remarqué que l’agent est toujours en retard. En réalité, il n’était pas loin, mais il n’est apparu qu’après s’être assuré que ni lui ni son « contact » ne sont suivis.
Dominique Fonvielle insiste sur le souci de vérifier l’information, qu’il range au premier rang des qualités professionnelles dans le métier qui fut le sien. On s’étonne donc de lire sous sa plume que Léopold Sédar Senghor était ancien élève de l’École normale supérieure ou que Jean Collin (qu’il orthographie Colin), éminence grise des présidents Senghor et Diouf, a été Premier ministre. Il est vrai qu’il raconte comment l’ambassadeur de France, la première fois qu’il le reçut, glissa une contrevérité dans la conversation pour tester son interlocuteur. Mais quel intérêt aurait l’auteur à piéger son lecteur ?
Enfin, c’est loin, tout cela. Il y a dix ans que Dominique Fonvielle a rendu sa panoplie d’espion et oublié l’Afrique. Mais on ne se refait pas : il est devenu expert « de l’intelligence économique et du renseignement d’entreprise ».

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