Algérie : trente ans après la révolte et les avancées d’octobre 1988, l’amère désillusion
Le 5 octobre 1988 éclatait, en Algérie, une violente contestation qui accouchera de réformes politiques sans précédent. Trente ans après, certains manifestants sont amers : à l’époque, « il y avait plus d’espoir qu’aujourd’hui. »
Le multipartisme, les libertés syndicale, d’association, de la presse sont nés des « événements d’octobre 1988 ». Mais en 2018, l’ex-parti unique reste malgré tout hégémonique et les jeunes ont peu de perspectives d’avenir : près de 30 % d’entre eux sont au chômage et beaucoup peinent à se loger.
« À choisir entre avant octobre 1988 et maintenant, je préfère avant. J’avais mes deux bras et beaucoup d’amis, morts lors des manifestations », confie à l’AFP Azaouaou Hamou Lhadj, qui a perdu son bras dans la révolte.
En 1988, pourtant, la société algérienne étouffe depuis déjà vingt-six ans sous l’étroit contrôle du parti unique du Front de libération nationale (FLN) et d’une armée toute puissante. Des pénuries et une flambée des prix alimentent un contexte de contestation sociale et de violentes émeutes éclatent dans la nuit du 4 au 5 octobre à Bab El Oued, quartier populaire d’Alger. Elles s’étendent le 5 au reste de la capitale, puis à d’autres villes du pays. L’état de siège est déclaré et l’armée chargée de rétablir l’ordre.
Quand l’armée ouvre le feu
Azaouaou Hamou Ladj a alors 21 ans et est artisan bijoutier. « Comme tous les jeunes, j’en avais marre de la ‘hogra‘ [mépris, injustice, ndlr]. On commençait à entendre parler des premières affaires de corruption. (…) On en avait marre du parti unique. On voulait que ça change », se souvient-il.
Le 10 octobre, le jeune homme marche pacifiquement avec plusieurs milliers de personnes. « À côté de la Direction générale de la Sûreté nationale [siège de la police algérienne, à Bab El Oued, ndlr], les militaires ont tiré. (…) J’ai reçu neuf balles. Les médecins ont réussi à sauver ma jambe gauche, mais j’ai perdu un bras », se remémore-t-il douloureusement.
Je n’imaginais pas que l’armée puisse tirer sur des manifestants pacifiques
Il y a eu 39 morts et de très nombreux blessés, selon l’Association nationale des victimes et familles de victimes d’octobre 88 (Avo 88), dont est membre Azaouaou Hamou Lhadj, qui se bat pour leur donner un statut et faire du 5 octobre une « Journée nationale de la démocratie ». « Je n’imaginais pas que l’armée puisse tirer » sur des manifestants pacifiques, déclare-t-il.
Les « événements d’octobre 1988 » ont fait 159 morts selon un bilan officiel, et plus de 500 d’après les militants des droits de l’homme. Une loi d’amnistie a empêché de désigner les responsables de la répression.
« Il ne reste presque rien »
Le manifestant connaîtra une convalescence « longue et douloureuse ». « Je suis resté sans travailler plus de dix ans et j’ai dû changer de métier. (…) Je n’ai que 51 ans, mais j’ai l’impression d’en avoir 90 », raconte-t-il. Des « jeunes sont morts pour la démocratie, les droits de l’homme, la liberté de la presse, le multipartisme ». Or, trente ans après, « les acquis d’octobre ont été remis en cause », souligne-t-il. « Il ne reste presque rien, si ce n’est une presse au ton libre », constate-t-il amèrement.
La révolte a certes mis fin au règne du parti unique, aux monopoles syndical et des médias d’État, mais l’euphorie fut de courte durée. En 1991, les résultats du 1er tour des législatives, première élection multipartite de l’Algérie indépendante, annoncent une victoire écrasante des islamistes du Front islamique du salut (FIS). L’armée suspend alors le scrutin, prend le pouvoir et décrète à nouveau l’état de siège, ouvrant la voie à une « décennie noire » de guerre civile qui fera officiellement 200 000 morts entre 1992 et 2002.
Scandales de corruption, trafic de drogue, impunité. (…) Le régime est le même
En 1988, « nous étions fiers. Il y avait beaucoup plus d’espoir il y a trente ans qu’aujourd’hui », estime Azaouaou Hamou Lhadj, avant d’énumérer : « scandales de corruption, trafic de drogue, impunité. (…) Le régime est le même », selon lui.
À 21 ans – l’âge auquel il manifestait en 1988 -, son fils, comme de nombreux jeunes Algériens, « a préféré risquer sa vie en traversant clandestinement la Méditerranée pour la France, il y a un an ». « Avant de partir, il m’a dit : ‘toi tu as enduré l’injustice, mais moi je refuse. Je ne veux pas la subir’ », témoigne-t-il.
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