Le fauteuil de Vergennes

Ami personnel, ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand pendant huit ans (sur quatorze), Roland Dumas est un esthète et un séducteur. Il a tout eu : l’argent et les honneurs, jusqu’à ce que la chance tourne.Son livre, L’Épreuve, les preuv

Publié le 28 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

Depuis la création, au XVIe siècle, de la charge de secrétaire d’État et ministre des Affaires étrangères par Henri III, plus de deux cents titulaires de ces départements se sont succédé à cette haute charge de la Royauté, de l’Empire puis de la République. Des records de durée ont été battus, des retours en force ont vu le jour, des passages rapides se sont produits pour les uns comme pour les autres. Quelques-uns ont laissé un faible souvenir, d’autres ont marqué leur temps et l’Histoire. J’ai occupé cette place à mon tour du 7 décembre 1984 au 20 mars 1986, puis du 12 mai 1988 au 30 mars 1993, battant moi aussi quelques records.
Vergennes – dont l’encrier est resté plus célèbre que le bureau qui n’existe plus – ne fut pas des moindres dans cette longue liste. Charles Gravier, comte de Vergennes, resta en fonction jusqu’à sa mort et régna sur la diplomatie de Louis XVI pendant treize années. Il étonna la Cour. Il stupéfia le monde en aidant quelques colonies britanniques à se proclamer indépendantes avant de devenir l’embryon de la plus puissante des nations : les États-Unis d’Amérique. Il est plus connu pour sa politique que pour ses frasques, qui défrayèrent pourtant la chronique, les gazettes et la Cour de Versailles.
Je lui emprunte la description qu’il laissa de son rôle de ministre des Affaires étrangères et qu’un chroniqueur avisé nous a transmise une année après sa mort. On admirera le style fleuri de cette fin de siècle, la qualité du vocabulaire du narrateur, lequel tenait de la bouche même de l’intéressé, close depuis un an au moment de cette publication, un ensemble de vérités qui n’ont pas vieilli.
« Il semblerait que le département des Affaires étrangères, chez une grande puissance, est une charge trop disproportionnée avec les moyens d’un seul homme. Y a-t-il en effet beaucoup de têtes assez bien organisées pour s’occuper à la fois d’une médiation, d’un traité de commerce, d’une discussion politique, d’un projet d’union, de l’intérêt de ses alliés, des mouvements de ses rivaux ? Ici du soin caché de fomenter des troubles, là de les prévenir, plus souvent de les apaiser ? Veiller à l’honneur de la nation, aux intérêts du commerce, à la liberté des mers ; diriger les organes particuliers de la volonté souveraine, avancer le système d’amélioration, etc. Quels détails ! À cette action continuelle de la pensée joignons le travail courant, les dépêches, les conseils, les audiences, les événements, les remplacements, les instructions, la surveillance des bureaux, l’importunité des sollicitations, les devoirs de la place, et surtout les luttes continuelles contre l’intrigue, l’envie, l’esprit des cours.

«Rapprochons de ce fardeau immense la capacité de l’esprit humain, en général timide parce qu’il est borné, imprudent s’il est hardi, incertain s’il est prévoyant, confiant si le succès le favorise, embarrassé au milieu de ses propres connaissances, mêlant à l’habileté de la finesse, à la finesse de l’astuce, à l’astuce de la mauvaise foi, abattu par les difficultés, opiniâtre dans l’erreur, sensible au doux encens de la flatterie, irritable à l’apparence du blâme.
« Après cette double considération, il est aisé de conclure si la place de ministre des Affaires étrangères est facile à remplir, s’il en est qui ait plus de droits à l’indulgence. »
Deux siècles plus tard, ce texte est toujours d’actualité.
Vergennes a connu les jalousies de ses collègues, les chausse-trappes de ses contemporains, les tentations de son entourage. Fort de la confiance de son souverain, il a traversé les tempêtes, les plus anodines comme les plus menaçantes.

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