Communiquer en trois lettres

Moins coûteux qu’un appel, les Textos, messages écrits transmis par téléphones mobiles, modifient peu à peu les relations humaines.

Publié le 25 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Des « JTM » à foison : à la Saint-Valentin, tous les opérateurs de téléphonie mobile sont à la fête. Après l’explosion du nouvel an, le 14 février est une date symbolique pour tous les utilisateurs de SMS. Ce terme barbare, Short Message System, recouvre une réalité beaucoup plus romantique : l’envoi réciproque de mots doux, avec comme seule contrainte un message n’excédant pas les cent soixante caractères. En moins de dix ans (la première expérience a eu lieu en Scandinavie en 1995), la pratique du SMS est entrée dans les moeurs. D’après le dernier rapport de Netsize, le groupe leader des solutions SMS en Europe, un milliard de minimessages seraient échangés dans le monde par jour ! Le phénomène est tel qu’une récente étude scientifique américaine a démontré que le pouce était devenu le doigt le plus habile chez les moins de 25 ans.
Est-on en passe d’entrer dans la « civilisation du pouce » ? En tout cas, une chose est certaine : le développement du message court a véritablement dopé la téléphonie mobile. D’un point de vue technique, le SMS occupe une très faible place sur le canal de signalisation des réseaux. D’où un coût infime pour l’opérateur et, par voie de conséquence, de juteux bénéfices. « Pour l’instant, le marché du SMS représente 5 % de notre chiffre d’affaires, mais il devrait encore progresser, car le volume d’envoi de SMS double tous les six mois ! » explique Philippe Guyon, directeur marketing du groupe MSI, propriétaire de la marque Celtel, opérateur de téléphonie mobile présent dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne (Burkina, Niger, Tchad, RD Congo, Congo-Brazza, etc.).
En Afrique, le SMS a connu une ascension fulgurante au cours des six derniers mois. Sur un marché qui paraissait saturé, cette nouvelle technique a permis de créer de nouvelles marges bénéficiaires. D’autant que, pour contourner des réseaux souvent engorgés, le SMS est apparu comme une solution très attractive. Parti avec un retard certain, le continent ne cesse de le combler pour répondre à une demande toujours plus importante : les opérateurs ont même commencé à offrir des services supplémentaires comme les prévisions météo ou les résultats sportifs… Maroc Télécom a, par exemple, développé un service payant permettant de recevoir un message SMS avec la liste des pharmacies de garde ouvertes après 20 heures, les programmes télé, les horaires des trains, et même ceux des prières.
« Les utilisateurs africains sont à l’affût : ils veulent toujours avoir le « top » du portable et sont, beaucoup plus qu’ailleurs, curieux de découvrir de nouvelles fonctions », poursuit Philippe Guyon, qui se rappelle des premières campagnes de sensibilisation à travers le continent… Dans un marché africain qui fonctionne à 99 % avec des cartes prépayées, le Texto – équivalent francophone du SMS – a un caractère rassurant, car il permet de contrôler son budget. Et ce dernier argument fonctionne particulièrement en direction des jeunes, qui en restent les premiers utilisateurs. Pour fixer un rendez-vous ou pour se rappeler au bon souvenir de son amoureux : le Texto – ou « petit texte » – est devenu une pratique de communication à part entière, et le langage s’est « SMS-isé ». Forme hybride d’écriture parlée, le SMS joue sur les conventions. À ce propos, la sociologue française Carole-Anne Rivière, qui a étudié différents groupes d’utilisateurs, remarque que « l’écriture phonétique associée à la liberté de segmentation des mots et d’orthographe met en place un langage qui prend presque valeur d’écriture secrète, magique, où le plaisir d’invention côtoie le plaisir de déchiffrage. »
Des codes amicaux se créent, un langage communautaire apparaît même au sein d’une population peu éduquée : « On a pensé que la mauvaise maîtrise de l’écrit serait un frein au développement, souligne Philippe Guyon. Mais grâce aux abréviations, des gens peu lettrés utilisent le SMS. » Autre bonne surprise pour l’opérateur, certaines langues vernaculaires, comme le swahili, s’adaptent très bien, par sa phonétique et la brièveté de ses mots, à l’écriture sur miniécran.
Faut-il en déduire que l’Afrique est pleinement entrée dans l’ère du SMS ? Les résultats sont contrastés. Dans les pays couverts par Celtel, le taux d’utilisation par rapport au nombre d’abonnés subit de fortes fluctuations : la RD Congo et le Burkina arrivent en tête alors que le Tchad demeure la lanterne rouge. Cette différence s’explique aussi par le différentiel de coûts entre les réseaux : de 5 à 12 centimes d’euros suivant les opérateurs nationaux.
On peut parier que pour répondre à l’engouement de plus en plus marqué des abonnés pour ce service, les opérateurs trouveront des solutions pour rendre les prix plus compétitifs. En attendant, la vieille technique du « bip » reste très en vogue auprès des jeunes : une simple sonnerie avant de raccrocher indiquant à l’interlocuteur qu’il faut qu’il se rende à la cabine publique la plus proche pour rappeler ! Simple comme un message codé…

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