Ces couples qui font le Maghreb

Bien qu’épargnées par les problèmes de langue et de religion, les unions intermaghrébines sont mises à l’épreuve par les réalités administratives et sociales. Ainsi, pour le conjoint marocain ou algérien d’une Tunisienne, trouver un emploi ou obtenir une

Publié le 28 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

Couple mixte ? La formulation fait bondir Férielle, une enseignante algérienne mariée à un Tunisien : « Les vrais couples mixtes sont formés de deux personnes de confession différente ! » Et d’ajouter : « Le mariage intermaghrébin fait l’économie de deux difficultés majeures : la religion et la langue. Nous appartenons à une seule communauté arabe, et nos problèmes ne sont jamais aussi importants que ceux d’un couple mixte. »
Même propos chez sa compatriote Assia. Cette jeune mère au foyer, de père algérien et de mère tunisienne, est parfaitement intégrée, parle tunisois et affirme que la différence de comportement est minime au sein de son couple : « Nous célébrons les mêmes fêtes et les mêmes traditions. Seule la recette des gâteaux de l’Aïd change… » Ahmed, son époux tunisien, a beau chercher des divergences, il aboutit à la même conclusion : « Nous sommes un couple, c’est tout. »
Pour autant, le cours de la conversation ne tarde pas à faire surgir le doute. Au détour d’une phrase, Assia lâche : « C’est vrai que je suis tunisienne de langue et d’allure, mais je me sens d’abord algérienne. » Qu’elle ait grandi en Tunisie ne change rien à son sentiment de forte appartenance à son pays de naissance. Son mari ne semble guère contrarié : « Cela ne me gêne pas qu’elle reste attachée à ses origines. Ce qui m’aurait dérangé, en revanche, c’est d’être marié à une Algérienne qui n’apprécie pas l’Algérie. »
Cette revendication de la différence est plus visible chez les hommes et s’exprime parfois par une difficulté à s’intégrer : « Nos compatriotes masculins s’adaptent plus difficilement », avance Assia. Ce que confirme la Tunisienne Zohra, une avocate quinquagénaire : « Dans les périodes de cafard, mon mari va se ressourcer en Algérie, car il n’aime pas trop être envahi par ma famille et fustige le côté tribal des Tunisiens. » Leïla, originaire d’une famille bourgeoise et divorcée d’un Marocain après vingt ans de mariage, abonde dans le même sens : « L’harmonie apparente entre mon ex-mari et moi ne m’empêchait pas de constater qu’il était chauvin. Il s’adonnait toujours à des comparaisons au profit du Maroc qu’il idéalisait. De fait, il ne s’est jamais adapté à la Tunisie. »
Si certains de ces époux se montrent au départ libéraux, leurs réflexes machistes reviennent à la moindre altercation. « Mon mari savait que nous ne faisons pas ramadan chez nous et que nous mangeons devant mon père, raconte Leïla. Il appréciait ce libéralisme, parce qu’il était de gauche, mais dès qu’il y avait une faille dans le couple, il montait cela en épingle. » Zohra, elle, reproche surtout à son époux algérien « les propos impulsifs et les vérités méchantes qu’il profère à l’encontre de mon entourage ». Quant à Leïla, c’est en vain qu’elle a tenté de sauvegarder son couple : « Je lui disais que j’étais prête à le suivre au Maroc s’il le voulait. Mais il ne répondait pas. Il persistait à se sentir rejeté, et cela lui donnait une excuse pour ne pas s’intégrer. »
À les entendre, il semble que les femmes ont plus de capacité à s’adapter. Zohra a vécu à Béchar (Ouest algérien) pendant douze ans. « C’est seulement lorsque nous avons vu apparaître les barbes et les djellabas, en 1985, que nous avons décidé de revenir en Tunisie. » « Au Maroc, dans ma belle-famille que je savais de condition modeste, relate Leïla, j’ai tout fait pour lui ressembler. J’acceptais le fait d’être séparée des hommes, alors que chez moi on prenait l’apéritif avec mon père. Je mangeais avec les doigts sans rechigner, bien que, petite, je prenais une gifle pour moins que ça. Mon mari mettait mes efforts sur le compte de l’hypocrisie. Je répondais que c’était de la politesse et un parti pris de ne pas critiquer. »
Davantage que les frictions culturelles, les conditions de séjour et d’emploi mettent parfois en péril l’équilibre de ces couples vivant en Tunisie. De l’avis des conjoints étrangers, les tracas administratifs sont réels : obtenir une carte de résident peut demander parfois des années. De nombreux Algériens qui avaient cherché refuge en Tunisie après la crise de 1992 ont plié bagage en direction de l’Europe, en raison de l’impossibilité de décrocher un emploi stable. Certes, rien dans la loi tunisienne n’interdit à un Algérien ou à un Marocain de bénéficier d’une autorisation de travail, et les conventions destinées à faciliter l’installation des « frères et voisins » ne manquent pas. Pour autant, la réalité est différente et les obstacles sont insidieux, de l’évocation de « la menace du terrorisme algérien » dans les couloirs du ministère de l’Intérieur aux préjugés ancrés chez l’homme du peuple (voir encadré).
« Ce n’est pas tant la loi qui met les bâtons dans les roues que les mentalités, souligne Leïla. En vertu d’une règle tacite, les Tunisiens ne facilitent guère l’obtention d’un visa de travail pour les médecins ou les avocats, alors qu’ils peuvent s’établir au Maroc comme dentistes, juristes ou publicitaires. Ici, on ne dit pas non, mais on ne donne rien. »
Il s’avère également plus aisé de décrocher un poste dans les filières de la banque, de l’industrie ou dans les bureaux d’études que dans les secteurs étatiques. Férielle confirme : « Je n’ai pas trouvé de poste d’enseignante dans le public, alors je me suis tournée vers le privé et j’ai pu donner des cours dans un institut universitaire. Cela ne m’a toutefois pas permis de rentrer réellement dans le monde du travail. Comme partout, un étranger a plus de difficultés à trouver un emploi qu’un autochtone. »
Si Férielle dit comprendre cet état de fait, elle relève que la sécurité de l’emploi est essentielle dans le cadre de la mixité : « L’autonomie financière et l’épanouissement professionnel sont une source de stabilité du couple. » Ce que Leïla confirme en imputant l’échec de son mariage au fait, entre autres, que son mari marocain n’avait jamais pu exercer sa profession d’archéologue en Tunisie : « La réussite de la mixité ne tient pas seulement à l’amour, plutôt au travail et à la circulation des compétences. »
Il n’en demeure pas moins qu’il fait bon vivre en Tunisie pour ces couples qui aspirent à un contexte libéral et à une loi égalitaire. « Le statut de la femme est un aspect positif de la société tunisienne, c’est d’ailleurs ce qui a motivé ma présence ici, reconnaît Férielle. Ce pays nous permet de jouer un rôle et nous donne des droits. La femme y a la possibilité d’autonomie nécessaire dans un couple mixte. »
Fatima, une sociologue algérienne installée en Tunisie et à l’origine de plusieurs rencontres entre femmes du Maghreb, veut croire que ces nouveaux couples bénéficiant d’un haut niveau intellectuel peuvent faire évoluer les relations intermaghrébines. « Parce que nous ne cessons de poser des questions à nos consulats, affirme Férielle. Parce que nous suscitons des solutions et une coopération plus active destinées à résoudre les problèmes de séjour et de circulation, parce que nous poussons à la signature d’accords de réciprocité et faisons évoluer les imaginaires ! »
Ces unions renforcent le réflexe maghrébin, analyse Fatima : « En Algérie, les idées sur les femmes évoluent parce que des Algériennes citent l’exemple tunisien. Et Férielle de conclure : « Pour moi, se marier entre Maghrébins est une forme de militantisme au bénéfice de nos enfants, qui, eux, préparent les structures du Maghreb de demain. »

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