Buhari boudé par les urnes

Les Nigérians ont peut-être eu peur de ramener au pouvoir un général à la poigne de fer

Publié le 25 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

Après deux décennies dans l’anonymat, le général à la retraite Muhammadu Buhari a porté les couleurs du All Nigerian’s People Party (ANPP), première formation de l’opposition, lors de la présidentielle du 19 avril. Au terme d’un scrutin controversé, les Nigérians ont choisi de reconduire l’autre général retraité, le chef de l’État sortant Olusegun Obasanjo. Que feront ses partisans de l’ANPP ? Que fera le perdant de son score, pas ridicule, de 32 %, mais qu’il estime ne pas traduire son poids électoral, qui serait autrement plus important sans un trucage organisé ? Retournera-t-il dans son Daura natal, dans le nord du pays, ou prendra-t-il la tête de l’opposition ? Le come-back de Buhari au premier plan et sa défaite « fabriquée » par son adversaire sont dans tous les cas symptomatiques des difficultés du pays à tourner la page.
Les Nigérians ont eu peur de ramener au pouvoir le major-général réputé incorruptible qui effraya la population, il y a vingt ans, par sa « guerre contre l’indiscipline ». Sous Buhari, les services de renseignements pouvaient garder à vue n’importe quelle personne soupçonnée, par exemple, de corruption pour une durée de trois mois renouvelable et on pouvait jeter en prison des journalistes « portant atteinte aux autorités ».
Buhari avait 41 ans lorsqu’il accéda au pouvoir par un coup d’État le 31 décembre 1983. Grand, mince, engoncé dans l’uniforme vert bardé de médailles, représentatif à l’époque des dirigeants militaires new look du Tiers Monde, le putschiste est bien accueilli. Le gouvernement du président (civil) Shehu Shagari, miné par la corruption et le laxisme, a vite déçu. Les hommes en uniforme, sous la férule du discipliné Buhari, ont repris les choses en main. Le 28 août 1985, une révolution de palais conduite par le général Ibrahim Babangida met fin au régime de Buhari et à sa rudesse devenue rédhibitoire.
Droit dans ses bottes, l’homme l’est resté, même s’il a troqué l’uniforme de l’officier contre le boubou traditionnel. Le Nigeria est maintenant une démocratie et il faut séduire la majorité des 61 millions d’électeurs pour s’installer au palais présidentiel d’Aso Rock, dans la capitale fédérale, Abuja. Les Nigérians ont préféré Obasanjo, le globe-trotter libéral et mondialiste, à Buhari, le nationaliste austère ancré dans les valeurs du Nord musulman.
C’est à Daura, dans l’État de Katsina, que Buhari voit le jour le 17 décembre 1942. Études primaires à Daura et à Mai’adua, puis l’école secondaire provinciale de Katsina. Il entre ensuite à l’école militaire de Kaduna en 1963 et se perfectionne en Angleterre et en Inde. Carrière militaire, mais aussi incursion dans la gestion de l’économie. De 1976 à 1978, Buhari sera successivement, sous Obasanjo, le commissaire fédéral pour les ressources pétrolières et le patron de l’entreprise nationale qui gère l’or noir du pays. Au plus près des milliards du pétrole, il conservera son étiquette de « monsieur Propre ».
Cette carte de l’intégrité personnelle, Buhari la jouera tout au long de la dernière campagne présidentielle, tout comme celle de sa région et de la confession musulmane qui y domine. Une partie de la presse nigériane ne manquera pas, du reste, de le dépeindre comme le champion du régionalisme, de l’islamisme.
Si lui et son parti ont réalisé leurs meilleurs scores dans la partie septentrionale du pays, la réduction du jeu politique à l’opposition entre un Nord séduit par un islam rigoriste et un Sud chrétien et animiste éclaté entre les Yoroubas et les Ibos est simpliste. L’État de Katsina, dont Buhari est originaire, demeure par exemple sous le contrôle d’un gouverneur du People’s Democratic Party (PDP) d’Obasanjo. Buhari est certes un homme ancré dans son terroir. Pendant sa longue traversée du désert, il s’est terré à Daura, apparaissant à Kaduna, mais évitant Lagos comme la peste. Cela n’en fait pas un champion du régionalisme.
La loi et l’ordre ne règnent toujours pas au Nigeria. Mais à quoi aurait de toute façon servi l’honnêteté personnelle et la droiture de Buhari alors qu’il était entouré lors de sa campagne par des proches du défunt général Sani Abacha, dictateur corrompu ? En préférant Obasanjo, les Nigérians ont opté pour un régime qui ne résoudra peut-être pas leurs problèmes fondamentaux. Mais qui les laissera au moins tranquilles, en attendant 2007 et une nouvelle « élection de tous les dangers ».

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