Tunisie : quelles pistes pour faire redécoller le tourisme ?
Les chiffres sont rassurants : plus de six millions de visiteurs sont venus en Tunisie au cours des neuf derniers mois. Encore mieux qu’en 2014, année de la reprise, mais les problèmes structurels du secteur restent les mêmes depuis 2011.
Avant la révolution, la Tunisie était une destination de choix : proche de l’Europe, pas chère et immuable, à en croire l’image d’Épinal habilement verrouillée par l’ancien régime. Elle accueillait alors sept millions de visiteurs. Après le soulèvement populaire de 2011 et ses soubresauts, il aura fallu attendre 2014 pour voir la reprise s’amorcer, puis que des attentats en série viennent ternir la carte postale et que les agences déprogramment la destination.
Aujourd’hui, le pays est revenu au niveau de ses plus belles heures, puisqu’il a déjà accueilli quelque 6,24 millions de visiteurs depuis le début de l’année, d’après les chiffres du ministère de tutelle – soit près de 17% de plus que l’an dernier. Les Européens et les Russes sont en tête, suivis des maghrébins. Djerba, île fleurie située à l’est, écartelée entre une côte sauvage et un littoral envahi par les hôtels « all you can drink » (proposant des formules pension complète tout compris), profite le plus de cette embellie. La hausse y serait de plus de 50%.
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Mais ces chiffres sont à relativiser, selon Mohamed Ali Toumi, ex-président de la Fédération des agences de voyages (FTAV). D’après lui, ils prendraient en compte pêle-mêle toutes les arrivées aux frontières, y compris celles des Tunisiens de l’étranger qui viennent passer quelques jours dans leurs familles.
Recettes insuffisantes
Cette embellie est vitale pour la Tunisie, puisque le secteur représente plus de 7% du PIB, de même que 50 000 emplois directs permanents, au moins 300 000 contractuels et de nombreux postes indirects. Seulement, les recettes suivent mais ne suffisent pas. Si elles ont augmenté de 28 % en un an, approchant le milliard d’euros, c’est toujours moins qu’en 2014 (1,59 milliard). Le nombre de nuitées n’est certes pas aussi important qu’à l’époque, mais cela n’explique pas tout.
L’inflation joue beaucoup et les coûts fixes augmentent. Bien qu’elle serve d’argument pour attirer les touristes, la dépréciation du dinar est aussi en défaveur du pays car les retombées économiques sont moindres. Plusieurs voix appellent à ce que les transferts soient faits en devises étrangères, d’autant plus que les réserves de l’État restent maigres. Certains mettent par ailleurs en garde contre des supposées rentrées d’argent « au noir ».
Le secteur a besoin d’être assaini car de nombreuses structures sont endettées
« Ce regain est encourageant. Nous espérons commencer à rembourser ce qu’on doit », confie de son côté Farhat Ben Tanfous, directeur général adjoint des Jardins de Toumana, résidence dans la zone touristique de Midoun (nord-est de Djerba). Le secteur a besoin d’être assaini, de nombreuses structures étant endettées et leurs résultats bruts d’exploitation ne suffisant plus à leur faire remonter la pente. Cela pèse aussi sur les banques.
Les crédits avaient pu être consolidés en 2015, ce qui a permis à plusieurs établissements de tenir malgré une dette encore très élevée. D’autres avaient dû mettre la clef sous la porte, et laisser les ronces envahir leurs jardins. « Beaucoup ont rouvert en 2018, d’autres seraient en négociation pour se relancer l’an prochain. On voit des façades en train d’être repeintes, ça nous réjouit », poursuit-il.
Changer de cible et ouvrir le ciel ?
Comment faire mieux ? En améliorant la qualité, répond Jalel Henchiri, président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH) dans la région de Djerba-Zarzis. Cela passerait par la formation, avec une mise à niveau d’un personnel qui tend à déserter ce secteur sinistré.
Il évalue à 240 000 le nombre de lits qui doivent être remplacés depuis 2010, et à plus de 50% les structures ayant besoin d’être rénovées. « On voit une nouvelle génération de clients qui ne se satisfont pas des hôtels construits pour leurs pères et leurs grands-pères », schématise-t-il. Il faudrait miser sur le tourisme « économique familial », et non pas « bas de gamme », fait-il valoir.
On pourrait attirer une clientèle qui paie mieux en développant les destinations culturelles
Pour Mohamed Ali Toumi, les plages et les palmiers ne suffisent plus. Le professionnel du secteur appelle à sortir du tourisme de masse, via une meilleure promotion de la part du ministère. « Nos prix sont encore très bas. On pourrait attirer une nouvelle clientèle qui paie mieux, en développant les destinations culturelles encore inconnues, l’événementiel, le luxe. Cela demande toute une stratégie, mais rien n’a été fait », soupire-t-il.
La dépendance aux tour-opérateurs est souvent pointée du doigt. Les arrivées via les plateformes de ces voyagistes représentent par exemple 60% du chiffre d’affaires de Farhat Ben Tanfous, car ce sont surtout eux qui affrètent des avions pour l’île de Djerba. Depuis des années se sont multipliés les appels à l’ouverture du ciel pour permettre une arrivée des compagnies aériennes low-cost. « Il nous faut aussi en parallèle une compagnie nationale plus forte. Tunisair doit être restructurée », plaide Mohamed Ali Toumi.
« Si on a une vision, tout cela se résoudra. Mais tout ce qu’on a fait depuis 2011, c’est seulement essayer d’éteindre le feu », conclut Jalel Henchiri.
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