« Benflis ne pèse pas plus que Bouteflika »

Publié le 25 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

«Rester aussi propre quand on a fait toute sa carrière dans l’armée, c’est exceptionnel », disent de lui ceux qui le connaissent bien. Aujourd’hui à la retraite, le général Rachid Benyellès, 64 ans, n’est pas seulement un homme intègre. Il a aussi de fortes convictions, qu’il exprime, à l’occasion, sans ménagement. Voire de manière abrupte. Tour à tour chef d’état-major de la marine, secrétaire général de la Défense et ministre des Transports, il n’a pas hésité à claquer la porte du gouvernement Brahimi, après la répression des émeutes d’octobre 1988. Puis, en mars 2002, à rendre publique, avec d’autres anciens responsables comme Chérif Belkacem ou Sid Ahmed Ghozali, une lettre ouverte appelant l’armée à renverser le président Abdelaziz Bouteflika. La rédaction de J.A.I. ne partage pas ses analyses, mais a néanmoins décidé de lui donner la parole. Parce qu’il représente une fraction, certes minoritaire, de l’opinion algérienne.

J.A./L’INTELLIGENT : Qui gagnerait une élection présidentielle libre et transparente ?
RACHID BENYELLÈS : Je ne sais pas qui la gagnerait, mais je sais qu’Abdelaziz Bouteflika la perdrait. De toute façon, il y aura l’an prochain une fraude massive, comme lors des législatives de l’an dernier. Et avec les votes des militaires et des Algériens de l’étranger, le pouvoir disposera de deux millions de voix à sa guise. Sur quinze millions d’électeurs, c’est considérable.

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JAI : Les islamistes peuvent-ils l’emporter ?
RB : Personnellement, je l’exclus. Après toute cette période de violence, les Algériens sont vaccinés contre les islamistes. On parle beaucoup de la percée du Mouvement pour la réforme nationale (MRN) Islah d’Abdallah Djaballah aux dernières législatives, mais en réalité un régime comme le nôtre pousse ou freine qui il veut. À la différence du FIS des années quatre-vingt-dix, les partis islamistes d’aujourd’hui sont domestiqués. En faisant monter le MRN Islah, le pouvoir a voulu remettre le Hamas de Mahfoud Nahna à sa place.

JAI : Le président Bouteflika n’a-t-il pas réussi à contenir la violence islamiste ?
RB : Dans les grandes villes, c’est vrai, la situation s’est considérablement améliorée. Mais c’est parce que la population est plus vigilante, qu’elle coopère davantage. La Concorde civile n’y est pour rien. D’ailleurs, en dehors des villes, l’insécurité persiste. La preuve, c’est qu’après la tombée de la nuit personne ne s’aventure sur les routes.

JAI : N’est-il pas parvenu à redresser l’image de son pays à l’étranger ?
RB : Il a redressé son image personnelle, mais certainement pas celle de l’Algérie. La voix de mon pays n’est pas prise en compte sur la scène internationale. Mes compatriotes font toujours la queue pour obtenir un hypothétique visa et sont malmenés aux frontières.

JAI : Le gouvernement n’a-t-il pas condamné l’agression contre l’Irak ?
RB : Le ministre des Affaires étrangères s’est contenté de réclamer le respect de la légalité internationale. Quant au président, il n’a jamais désigné l’agresseur, ne serait-ce que par allusion. D’ailleurs, il est logique avec lui-même. Depuis son arrivée au pouvoir, il cherche la protection des Américains et des Français pour se maintenir à son poste. Il ne fait donc rien qui puisse déplaire aux États-Unis.

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JAI : Qui soutient Bouteflika, selon vous ?
RB : Les deux ou trois personnes qui dirigent l’armée. Je ne les nommerai pas, mais ce sont elles qui l’ont ramené au pouvoir et qui, probablement, le soutiendront pour un second mandat. À la différence de beaucoup d’observateurs, je pense que ces militaires ne le lâcheront pas, parce qu’il a été très loyal envers eux. Il leur a accordé un budget de la défense quasi illimité et, malgré les très graves défaillances des services de sécurité face aux terroristes, il n’a jamais réclamé de sanctions.

JAI : S’il est aussi impopulaire que vous le dites, pourquoi les militaires ne cherchent-ils pas un candidat plus présentable ?
RB : Parce que le régime actuel est bien vu par les Occidentaux. Grâce aux concessions de Bouteflika, les militaires sont parvenus à convaincre Washington et Paris que ce régime était préférable à tout autre.

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JAI : Une candidature du Premier ministre Ali Benflis ne serait-elle pas de nature à brouiller les cartes ?
RB : Je ne le crois pas. Benflis ne pèse pas plus que Bouteflika. C’est un homme du sérail, comme lui. Ce sont les militaires qui l’ont nommé directeur de campagne, puis directeur de cabinet, puis Premier ministre pour encadrer Bouteflika. Le prétendu soutien du FLN ne compte pas, ce parti n’est qu’une coquille vide. Ses candidats n’ont été élus, l’année dernière, que parce que les services de sécurité et l’administration l’ont bien voulu. Benflis ne pourra pas se présenter sans l’aval des militaires. Or, pour l’instant, je n’ai aucune indication en ce sens. Bouteflika et les militaires sont toujours main dans la main. Donc, sauf bouleversement d’ici à avril 2004, je ne pense pas que Benflis se présentera. s

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