29 avril 1992 : Los Angeles à feu et à sang
Non coupables ! Le sergent Stacey Koon, les agents Theodore Briseno, Laurence Powell et Timothy Wind, tous membres de la police de Los Angeles, s’en tirent mieux que bien. Le monde entier a vu Rodney King se faire tabasser avec une violence incroyable. Comment le jury a-t-il pu oublier les événements du 3 mars 1991, quatorze mois plus tôt ?
Ce jour-là, une patrouille de police prend en chasse un automobiliste en excès de vitesse. S’engage une course-poursuite à 180 km/heure dans les rues de la ville. Le fuyard est intercepté. Deux hommes sortent du véhicule et se laissent passer les menottes. Le conducteur, Rodney King, semble s’y opposer. Il est jeune – 27 ans -, noir, a fait de la prison pour vol. Il est en liberté conditionnelle depuis deux mois. La suite est filmée par un passant, George Holiday. Quatre-vingt-une secondes de honte. Rodney King est plaqué à terre. Sous l’oeil du sergent Koon, les trois agents s’occupent de lui : cinquante-six coups de matraques, des coups de pied, au visage, sur tout le corps. King s’en sortira avec une jambe cassée, de multiples fractures de la boîte crânienne et des troubles neurologiques. Les images passent en boucle sur toutes les chaînes de télévision.
Ce mercredi 29 avril, à l’issue du jugement, même le président George H. Bush se dit « aussi stupéfait que quiconque aux États-Unis par la disparité entre ce qu’on voit sur la vidéo et le verdict ». Le procès a été « délocalisé » à Simi Valley, une bourgade conservatrice et blanche du comté de Ventura, à quelques kilomètres au nord-ouest de Los Angeles. Le jury est composé de six hommes et de six femmes, âgés de 38 à 65 ans. Tous blancs… La communauté noire de L.A., déjà plus durement touchée par la récession et le chômage que les autres, y voit une injustice de plus. La tension raciale est à son comble.
Les émeutes commencent à South Central, quartier pauvre du sud-ouest de la ville. Si tant est qu’il y ait « un » quartier pauvre. Aux États-Unis, les classes moyennes ont quitté les centres-villes pour des banlieues verdoyantes et plus sûres, laissant la place aux minorités, aux démunis et aux trafiquants de drogue. En fin d’après-midi, au coin des avenues Florence et Normandy, une manifestation dégénère. King doit être vengé. Tous les automobilistes blancs sont agressés, rançonnés, roués de coups à l’aide de battes de base-ball, de bouteilles de verre ou de grosses pierres. Les Asiatiques aussi, et surtout les Coréens, fortement représentés à L.A. et qui possèdent nombre des commerces. Immédiatement débutent les pillages. Tous les magasins sont éventrés, vidés, puis brûlés. On met même le feu à des stations-service. Quelques commerçants tirent à vue pour se protéger. La folie gagne les autres quartiers. Devant le poste de police central, quatre cents personnes affrontent les forces de l’ordre. On brûle le drapeau américain. La Cité des anges ressemble de plus en plus à l’enfer. Les hélicoptères qui survolent la poudrière essuient des coups de feu. La ville résonne d’alarmes de magasins, de sirènes de police et de pompiers, et de détonations d’armes automatiques.
La nuit ne ramène pas le calme. Le lendemain, jeudi, la pagaille est indescriptible. On pille en famille ; plus d’un millier d’incendies ont été déclenchés. La zone de conflit forme désormais un rectangle de 20 km sur 16. Au Nord, Hollywood ; à l’Est, Compton ; au Sud, Long Beach, et à l’Ouest, Santa Monica. Tom Bradley, le maire – noir -, a beau appeler au calme, rien n’y fait. À 16 heures, les autorités proclament l’état d’urgence et instaurent un couvre-feu. La Garde nationale est mobilisée. Sans succès. Vendredi, George Bush annonce l’envoi de 4 000 soldats et 1 000 policiers fédéraux. La violence gagne San Francisco, Dallas, Atlanta ou encore Seattle. Les six jours d’émeutes raciales se soldent par 58 morts, en majorité noirs (dont 8 du fait de la police), plus de 2 300 blessés, près de 12 000 interpellations, environ 5 000 incendies, et des dégâts matériels estimés à 785 millions de dollars.
Quelques mois plus tard, les quatre policiers acquittés en première instance seront poursuivis par l’État pour avoir « privé Rodney King de ses droits civiques et constitutionnels garantis par la loi fédérale » lors de son arrestation. Le 17 avril 1993, Laurence Powell et Stacey Koon sont déclarés coupables : ils écoperont de trente mois de prison. Les deux autres sont relaxés. Los Angeles reste calme. Presque soulagé.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?