Un rebond à confirmer

Avec une croissance supérieure à 5 % attendue dans les prochaines années, le pays a de quoi séduire les investisseurs. Mais la dette et les tensions sociales pourraient refroidir leurs ardeurs.

Publié le 28 avril 2008 Lecture : 6 minutes.

L’économie du Sénégal serait-elle en perte de vitesse ? « Il y a un an encore, nous envisagions de faire du Sénégal notre tête de pont pour développer nos activités bancaires en Afrique de l’Ouest. Mais l’augmentation des prix du pétrole et des matières premières a redessiné la carte géographique de nos intérêts. Aujourd’hui, nous sommes plus confiants dans le dynamisme économique de la Côte d’Ivoire, où nous comptons finalement nous installer. Les tensions sociales qui agitent le Sénégal nous inquiètent, et nous ne voyons pas comment il s’en sortira. » La vision de ce dirigeant d’un groupe bancaire africain n’est pas isolée. L’envolée des cours du pétrole, du café robusta, du caoutchouc et du cacao a également redonné confiance aux chefs d’entreprise qui s’étaient réfugiés au pays de la Teranga. Beaucoup ?s’apprêteraient à rebrousser chemin.
Mais cette nouvelle donne ne devrait pas pénaliser l’économie sénégalaise. « La Côte d’Ivoire était le pôle de développement principal de l’Afrique de l’Ouest. Il se relance. C’est même bon pour le Sénégal », insiste Gilles Hervio, le représentant de l’Union européenne (UE) à Dakar. De fait, l’économie sénégalaise est sur les bons rails. Le trou d’air de 2006, avec une croissance de 2,3 %, a été effacé en 2007 (+ 4,8 %). Un taux qui devrait atteindre, selon le FMI, 5,3 % en 2008 et grimper à 5,9 % en 2009 et 2010.
Deux activités, le BTP et les services, surtout les télécommunications, tirent l’économie vers le haut. Le BTP (5,4 % du PIB) connaît depuis quatre ans une croissance à deux chiffres qui devrait se poursuivre en 2008 (+ 13,2 %). « Nous recevons quotidiennement des appels pour des postes de middle-management dans le secteur bancaire, ainsi que dans les technnologies de l’information, notamment de la part de PME », confirme Amadou Diaw, directeur général de l’Insitut supérieur du management (ISM) de Dakar. Un boom qui profite à une dizaine d’entreprises locales, à des filiales de groupes internationaux français, marocains, ivoiriens ou chinois, et à une grande partie des 20 000 entreprises du secteur informel Jusque-là, le dynamisme du marché a principalement reposé sur l’accueil, par Dakar, à la mi-mars, du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Réhabilitation de la Corniche, aménagements routiers, construction de six hôtels de luxe (toujours inachevés) l’événement a mobilisé 356 milliards de F CFA (540 millions d’euros), financés notamment par des pays du Golfe. Mais si les retombées du sommet de l’OCI restent à prouver, ces structures devraient favoriser l’arrivée de touristes, dont les autorités espèrent porter le nombre de 700 000 aujourd’hui à 1,5 million d’ici à 2010.

En 2015, 15 % du PIB grâce aux télécoms
De son côté, le secteur des télécoms, avec un chiffre d’affaires de 440 milliards de F CFA en 2007, continuera d’alimenter la croissance. De 7 % l’an passé, l’activité représentera 10 % du PIB en 2010 et 15 % en 2015 grâce à des investissements publics et privés estimés à 421 milliards de F CFA entre 2007 et 2010. Et à 621 milliards entre 2011 et 2015. Un essor qui bénéficie d’abord à l’opérateur historique, Sonatel.
Ce dynamisme sénégalais n’a pas manqué de susciter l’intérêt des investisseurs étrangers. « Les investissements privés sont relativement importants. C’est très positif pour le Sénégal, encore faut-il qu’ils se concrétisent », explique Gilles Hervio. De 28 milliards de F CFA en 2005, le montant des investissements directs étrangers (IDE) est passé à 128 milliards en 2007. Il devrait approcher 430 milliards en 2010, soit le niveau de la Côte d’Ivoire aujourd’hui. « Le Sénégal consacre à l’investissement 40 % de ses ressources propres. Sa politique économique et monétaire est bien orientée. C’est pourquoi les bailleurs de fonds soutiennent notre pays », précise Abdoulaye Diop, le ministre de l’Économie et des Finances. À preuve, le géant de la gestion des infrastructures portuaires DP World a promis d’investir 300 milliards de F CFA pour relancer le port de Dakar à partir de juin. Le groupe sidérurgique Arcelor Mittal a quant à lui décroché l’exploitation, d’ici à 2012, des mines de fer de la Falémé. Les travaux d’aménagement – avec la réalisation d’une ligne de chemin de fer pour acheminer le minerai de Tamabacounda à Bargny, à une trentaine de kilomètres de Dakar, où est également prévue la construction d’un port – ont démarré pour un projet évalué à 1 100 milliards de F CFA.
Par ailleurs, alors que des capitaux iraniens sont attendus pour renflouer l’unique raffinerie du pays, la Société africaine de raffinage (SAR) – un gouffre pour les finances publiques -, Khodro, le constructeur automobile originaire du même pays, construit un site d’assemblage de 10 000 véhicules par an à Thiès, seconde ville du Sénégal. Autre source de satisfaction : la relance des Industries chimiques du Sénégal (ICS). Après d’interminables négociations, le groupe indien Iffco s’est engagé, en mars, à en acquérir 85 % et à injecter 100 millions de dollars d’investissements en trois ans. Véritable poumon économique, les ICS étaient quasiment à l’arrêt. L’effondrement des exportations de phosphates – 61 millions de dollars en 2006, contre 187 millions en 2005 – coûte au pays 1,5 point de croissance.
Les bons résultats sont là, mais l’équilibre reste fragile. Déjà, les perspectives de croissance se fondent sur un baril à 100 dollars. Or chaque hausse de son prix de 10 dollars coûte 0,3 point de PIB. De plus, l’issue des tensions sociales dues à la crise alimentaire demeure incertaine. Et le gouvernement doit poursuivre les réformes s’il veut atteindre son objectif de 9 % de croissance en 2015, indispensable pour réduire la pauvreté. « Si les réformes du gouvernement pour améliorer le climat des affaires se concrétisent, la croissance grimpera à 8 %. C’est faisable », insiste Alex Segura, le responsable du FMI au Sénégal.
Les experts de Bretton-Woods ont d’ailleurs rendez-vous en juin avec le gouvernement sénégalais pour évaluer les performances économiques du pays et établir un premier bilan des réformes engagées depuis la signature, le 2 novembre 2007, d’un programme de mesures (Instrument de soutien à la politique économique) pour lutter contre la pauvreté, validé par le FMI sans être accompagné d’un concours financier.
« Le résultat est déjà très satisfaisant, souligne Alex Segura. Sur les douze réformes structurelles engagées, onze ont été respectées et la douzième est partiellement réalisée. » L’une des plus importantes a visé à améliorer la transparence et l’efficacité de la gestion des marchés publics (700 milliards de F CFA par an). Depuis le 1er janvier 2008, le nouveau code des marchés publics encadre et limite l’attribution des marchés de gré à gré, une pratique opaque mais qui était la règle sous couvert d’urgence. Depuis cette date, 71 % des marchés publics ont suivi la nouvelle procédure.

la suite après cette publicité

Réduire le train de vie de l’Etat
À l’avenir, toutefois, le risque de dérapage budgétaire est réel. Les hausses des matières premières plombent le budget. En 2007, l’État a consacré plus de 150 milliards de F CFA pour enrayer l’envolée du carburant et des produits de première nécessité (subventions, suspension des droits de douanesÂ). En 2008, la facture devrait passer à 170 milliards de F CFA. Soit 3 % du PIB ! Des sommes colossales à l’efficacité limitée. « Dans les magasins, les produits ne baissent que de 1 % à 5 %. L’État doit réorienter sa politique de subventions et viser un meilleur ciblage, juge Alex Segura. Il perd d’importantes recettes fiscales sans avoir beaucoup d’impact sur la baisse des prix, qui ne bénéficie pas toujours aux plus pauvres. »
Mais la pression sur les finances publiques est bien plus large. En 2007, l’État a injecté 65 milliards de F CFA pour recapitaliser la Senelec, le producteur national d’électricité. Mauvais payeur, l’État aurait une ardoise de factures impayées auprès des entreprises du pays qui avoisinerait 100 milliards de F CFA ! Le ministère des Finances tente d’en établir le montant pour régler ce problème d’ici à 2009 et éviter d’échauder les investisseurs étrangers. « L’État vit au-dessus de ses moyens, estime Alex Segura. Il doit réduire ses dépenses non prioritaires tout en protégeant les dépenses sociales. » Mais où réaliser des économies ? Sur le train de vie de l’État ? Des doigts se pointent vers l’entretien des avions de la présidence de la République (1,15 milliard de F CFA en 2007), le fonctionnement du Sénat (2 milliards), l’acquisition de véhicules par les assemblées parlementaires (2,2 milliards) ou le salaire des ministres (2 millions par mois pour chacun des vingt-neuf titulaires d’un maroquin).
Pour renflouer les caisses, les autorités pourraient céder les 27 % de participation publique dans la Sonatel. Ce qui leur rapporterait 600 milliards de F CFA. Soit un tiers du budget de l’État ! La question fait débat entre la présidence, plutôt favorable, et le ministère des Finances, qui hésite à se priver de substantiels dividendes : 20 à 25 milliards de F CFA par an. Soit 0,5 % du PIB. Difficile de se séparer d’un tel joyau.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires