Une crise, deux règles

Publié le 28 avril 2008 Lecture : 5 minutes.

Nous avons déjà à faire face au problème de l’eau potable : indispensable à la santé, et même à la vie de chacun, elle n’est toujours pas accessible à tous, loin s’en faut. Nous voici – de surcroît en plein choc pétrolier – confrontés à une crise alimentaire de grande ampleur.
S’étant bouché les oreilles pour ne pas entendre les avertissements qui annonçaient la crise, les dirigeants de tous les pays « découvrent » donc que la production agricole ne suffit plus à nourrir les populations et que sa répartition est inadéquate.
Pour justifier la raréfaction et le renchérissement spectaculaire – insoutenable – des produits agricoles (en particulier ceux qui servent à nourrir les hommes et les animaux), on invoque aujourd’hui les problèmes et les coûts du transport, les fluctuations des taux de change, l’intervention des spéculateurs, les aléas du climat, l’affectation récente d’une partie des terres agricoles aux biocarburants, etc.
Chacun de ces facteurs a sa part, bien sûr, dans la très grave crise alimentaire que vont traverser les pays qui n’assurent pas leur autosuffisance dans ce domaine. Les plus exposés d’entre eux, où déjà grondent « les émeutes de la faim », sont ceux qui n’ont pas les ressources financières pour importer, à leurs nouveaux prix, le riz, le blé, le maïs, le lait, le sucre, l’huile et tous les autres produits nécessaires à la subsistance de leurs populations.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, chargé d’apporter de l’aide à 100 millions de personnes dans les 80 pays qui manquent de ressources vivrières, a du mal à faire face aux besoins et appelle déjà à l’aide.

Favorisée par les facteurs conjoncturels cités ci-dessus, cette crise alimentaire nous « pendait au nez », si je puis dire. Elle devait éclater un jour ou l’autre car elle est le fruit d’une mauvaise stratégie dont nous sommes tous responsables : les pays riches d’Europe et d’Amérique, et les pays moins développés d’Afrique et d’Asie, sans oublier les organismes internationaux, en particulier le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
Les pays déjà industrialisés ont su créer, ces dernières décennies, une agriculture qui produit beaucoup mais n’emploie que 4 % ou 5 % de leur population. Ils l’ont subventionnée largement – 1 milliard de dollars/jour – pour qu’elle produise moins (10 % de terres mises en jachère, 3,5 millions d’hectares stérilisés) etÂÂ exporte ses surplus à des prix artificiellement bas, empêchant ainsi les autres de produire.
Sous l’influence néfaste de la Banque mondiale et d’autres tenants d’une mauvaise « pensée unique », les pays en développement – pas encore industrialisés par définition – ont été amenés à négliger leur agriculture, à en détourner les investissements ou, au mieux, à ne s’intéresser qu’aux cultures d’exportation (café, coton, cacao), au détriment de l’agriculture vivrière.
On est ainsi arrivé dans beaucoup de pays du Tiers Monde, où 70 % des gens habitent dans des zones rurales, à ne consacrer à ces zones et à l’agriculture que 5 % à 10 % des investissements. Elles ont dépéri.

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Un mot de l’Afrique en particulier : continent agricole, elle importait peu de produits alimentaires. Il y a cinquante ans, la plupart des pays nouvellement indépendants (37 sur 42) étaient en situation excédentaire. Aujourd’hui, ils sont devenus déficitaires. Et ce déficit est aggravé par la hausse générale des prix (plus grande pour l’Afrique où le coût des transactions est le plus élevé au monde : à cause du prix du fret, de l’énergie, de l’assuranceÂÂ).
Dans l’ensemble, la facture alimentaire s’est à ce jour accrue de 56 %, après avoir augmenté de 37 % en 2006-2007. Et ce renchérissement pèse encore plus lourd sur le budget des ménages africains : la part de l’alimentation accapare en effet entre 60 % et 80 % du revenu, contre 10 % à 20 % dans les pays riches.
Les conséquences de la hausse sont donc ressenties en Afrique plus douloureusement qu’ailleurs.

Pendant que l’agriculture était négligée et que la production stagnait, la population mondiale augmentait au rythme moyen de 2 % à 3 % par an et les nouvelles classes moyennes des pays émergents, quelque six cents millions de personnes – soit deux fois les États-Unis et une fois et demi l’Union européenne -, se sont mises à consommer beaucoup plus et beaucoup mieuxÂÂ
Résultat : l’offre ne suffit plus à satisfaire une demande grandissante. Et c’est la crise.

L’expérience montre qu’un événement ressenti comme détestable est en réalité le passage obligé vers un mieux-être. Je suis persuadé pour ma part que cette crise agricole et alimentaire, dont beaucoup vont souffrir, sera salutaire.
Elle nous obligera à corriger les graves erreurs qui ont conduit aux émeutes de la faim.
Écoutons ce que disent déjà deux dirigeants, l’un africain, l’autre asiatique :
Le président du Sénégal Abdoulaye Wade : « Il nous faut augmenter notre production de riz. Dans six ans, nous devons pouvoir produire localement les 600 000 tonnes que nous achetons à l’extérieur, à raison de 100 000 tonnes de plus par an. [ÂÂ] Nous avons la terre, la volonté, les gens, les machines. Nous pouvons irriguer 240 000 hectares dans la région du fleuve Sénégal. »
Bonnes décisions ! Que n’ont-elles été prises il y a six ans !
Le Premier ministre de Thaïlande, Samak Sundaravej : « Mon pays est le grenier à riz du monde : il produit 20 millions de tonnes par an et en exporte la moitié. Le prix du riz augmente ? Tant mieux, nos paysans en produiront plus et gagneront mieux leur vie.
Et cela nous permettra de rétablir l’équilibre entre nos villes, où se concentraient l’activité et les richesses économiques, et nos campagnes, moins favoriséesÂÂ »

Cette crise nous apprend qu’aucun pays n’a intérêt à (trop) dépendre de l’importation pour assurer la subsistance de ses habitants. Il n’est, certes, pas nécessaire d’être autosuffisant, mais il faut que chaque pays ait une agriculture digne de ce nom. Certains produiront plus qu’ils ne consomment, pour contribuer à nourrir ceux qui ne produisent pas assez. Tous les autres devront s’efforcer de produire l’essentiel des besoins de leur population.
L’histoire du développement et les exemples récents de la Chine, de l’Inde, du Vietnam, du Brésil et de quelques autres nous apprennent, eux, que c’est par le développement de l’agriculture qu’un pays peut extirper une bonne partie de sa population de la pauvreté et permettre à son économie de décoller.
L’industrialisation ? Elle commence bien souvent par la création d’industriesÂÂ agroalimentaires qui prolongent l’agriculture.

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D’ici à 2050, nous passerons de 6,5 milliards à 9 milliards d’êtres humains. Et, nous sommes en droit de l’escompter, la moitié de ces 9 milliards aura un niveau de vie de classe moyenne : la demande des produits alimentaires devrait donc doubler d’ici à 2050.
L’agriculture, ses productions et les industries de transformation de ces dernières sont donc vitales et leur avenir est assuré.
Pour résoudre cette crise (que nous aurions pu éviter), il nous faut désormais observer deux règles : règle n° 1, ne pas négliger l’agriculture ; règle n° 2, ne pas oublier la règle 1.

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