Quand l’opposition cherche ses marques…
Depuis l’investiture, le 19 avril 2007, du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, ses rivaux – qui détiennent 34 sièges sur 95 à l’Assemblée – découvrent, non sans quelque difficulté, les vertus de la démocratisation.
Fini la prison, les interdictions, les humiliations, les tracasseries administratives Depuis l’investiture, le 19 avril 2007, du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, l’opposition mauritanienne – qui détient 34 sièges sur 95 à l’Assemblée – vit au rythme paisible de la démocratisation. En un an, les leaders des cinq partis qui la composent ont été régulièrement reçus par le chef de l’État. « Il nous consulte, nous expose son point de vue et tient compte de ce qu’on lui dit », reconnaît l’un d’entre eux, l’ancien militant gauchiste et président de l’Union des forces de progrès (UFP) Mohamed Ould Maouloud. « Entre Sidi et nous, il n’y a pas d’animosité et nous ne sommes plus dans la clandestinité », se félicite, de son côté, Ibrahima Sarr, dirigeant négro-mauritanien de l’Alliance pour la justice et la démocratie-Mouvement pour la rénovation (AJD-MR).
En avril 2007, pour mettre un terme à une longue période de marginalisation, une ordonnance a été adoptée qui grave dans le marbre un « statut de l’opposition démocratique » (comme c’est notamment le cas en Grande-Bretagne). Le texte légalise ses activités, oblige le président de la République à recevoir son chef de file – le leader du parti d’opposition arrivé en tête aux législatives, en l’occurrence Ahmed Ould Daddah, du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) – au moins une fois tous les trois mois et garantit à ce dernier un rang de ministre ainsi qu’un salaire mensuel.
La mue n’a toujours pas eu lieu
Après quasiment vingt ans de parti unique et trente de pouvoir militaire, les ténors de l’opposition découvrent les vertus des rapports normaux et apaisés avec la majorité. Ahmed Ould Daddah, Mohamed Ould Maouloud, Ibrahima Sarr, Jemil Ould Mansour, président du Rassemblement national pour la réforme et le développement (RNRD, formation « à référentiel islamique »), Saleh Ould Hanena, ex-putschiste et leader du Parti mauritanien de l’unité et du changement (PMUC) : tous ont fait un séjour en résidence surveillée ou derrière les barreaux sous Maaouiya Ould Taya. À l’époque, le cheval de bataille de ces « martyrs » est simple : la liberté. Pour les islamistes, les esclaves, les Négro-Mauritaniens, leurs militantsÂ
Autant de combats dépassés aujourd’hui : le 3 août dernier, le parti de Jemil Ould Mansour, situé dans la mouvance islamiste, est autorisé ; quelques jours plus tard, une loi criminalisant l’esclavage est votée à l’unanimité ; depuis janvier dernier, les déportés négro-mauritaniens reviennent du Sénégal et du Mali « Les fondamentaux sont désormais acquis, reconnaît Lo Gourmo, avocat et responsable des relations internationales à l’UFP. Notre discours doit se déplacer sur les champs économiques et sociaux. Et nous ne devons plus contester, mais proposer une alternative. »
Mais la mue n’a toujours pas eu lieu. « Il y a des sujets essentiels que l’opposition n’aborde jamais, par exemple l’intégration de notre pays dans un espace économique régional », estime Ahmed Ould Sidi Baba, figure inamovible de la scène politique nouakchottoise devenue membre du Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD), le parti de la majorité présidentielle né en janvier dernier. De fait, les formations de l’opposition n’ont pas encore accouché d’idées neuves. Pour le moment, elles naviguent à court terme, se contentant d’alerter l’opinion et le pouvoir au gré de l’actualité. L’UFP y est allée de sa condamnation de l’évasion, le 2 avril, de l’un des trois assassins présumés des touristes français et des affrontements, cinq jours plus tard, entre forces de sécurité et terroristes, stigmatisant les « tergiversations et les hésitations » de la « puissance publique ». Idem pour le RFD, qui a rappelé au gouvernement « sa responsabilité pleine et entière dans la gestion de ces dossiers ». Quelques jours plus tôt, le plan d’urgence mis en place pour endiguer la crise alimentaire était lui aussi critiqué, Jemil Ould Mansour mettant en garde contre sa possible « récupération politique ».
Pour autant, « l’opposition n’existe pas », persiflent certains observateurs. « Mais de quelle opposition parlez-vous ? Que dit-elle ? Que fait-elle ? », ironise Mohamed Ould Breideleil, ancien militant baasiste, chroniqueur à ses heures. Rompus à la contestation frontale et systématique, nombre de Mauritaniens ne reconnaissent plus leur opposition. Certains lui reprochent même d’applaudir bêtement la majorité. « Nous adoptons parfois des positions favorables au pouvoir, reconnaît Jemil Ould Mansour. Mais sur des sujets qu’on ne peut contester, comme la libéralisation des médias. » Pour Mohamed Ould Maouloud, la fragilité du pays – nouveau régime, crise alimentaire et sécuritaire – complique la tâche : « Notre rôle n’est pas évident, explique-t-il. Faut-il toujours chercher la petite bête ou, compte tenu de la gravité de la situation, le consensus ? » À la veille de la désignation des ministres, ce dernier plaidait – en vain – pour un gouvernement d’union nationale.
Le temps de la désunion
Contrairement à son prédécesseur Maaouiya Ould Taya, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, enclin au consensus et au dialogue, ne concentre pas entre ses mains tous les leviers du pouvoir. Nombre d’hommes politiques croient même que, dans l’ombre, quelques anciens du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) – qui a renversé Ould Taya le 3 août 2005 – continuent de tirer les ficelles. « Les lieux du pouvoir ne sont pas bien identifiés, se défend Mohamed Ould Maouloud. Tant que ce ne sera pas clarifié, on ne saura pas bien à quoi s’opposer. »
Une chose est sûre : l’opposition s’oppose à elle-même. Il est loin le temps de l’unisson, quand, entre les deux tours de la présidentielle, Ould Maouloud, Sarr, Ould Hanena et Ould Mansour appelaient d’une seule voix à voter pour leur grand frère Ahmed Ould Daddah. Ou quand, le 31 octobre dernier, le quintet organisait un grand meeting au stade de Nouakchott pour dénoncer l’immobilisme gouvernemental face à la hausse des prix. Le vent de la division s’est levé, réveillant d’irréductibles désaccords entre Ould Daddah et Ould Maouloud, deux personnalités et deux cultures politiques bien différentes. Le technocrate et le militant, camarades de parti jusqu’à la fin des années 1990 (au sein de l’Union des forces démocratiques), puis frères ennemis séparés par l’idéologie – l’entrée de nassériens dans l’UFD n’était pas du goût de Ould Maouloud -, ne parviennent pas à s’entendre sur le choix du secrétaire général de l’opposition. Pour le RFD, le poste doit revenir à Ibrahima Sarr, compte tenu de son résultat à la présidentielle : 7,94 %. Mais pour l’UFP, c’est à elle qu’il devrait revenir étant donné les 9 fauteuils qu’elle occupe à l’Assemblée nationale, où elle constitue la deuxième force de l’opposition derrière le RFD. Autre pomme de discorde : la représentativité accordée au chef de file. « Ahmed Ould Daddah ne nous représente pas, martèle Lo Gourmo, de l’UFP. Il n’y a pas de parti unique de l’opposition ! » À la faveur d’une révision de l’ordonnance – proposée par l’UFP -, la dimension représentative a été supprimée. Ahmed Ould Daddah conserve néanmoins ses prérogatives. Le jeu démocratique a maintenant ses règles. À charge pour l’opposition d’apprendre à jouerÂ
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