Ni guerre ni paix

Compte tenu des rapports de force militaires, nettement à l’avantage d’Israël, l’initiative de l’escalade que d’aucuns redoutent ne peut revenir qu’à l’État hébreu. Qui n’y a guère intérêt.

Publié le 28 avril 2008 Lecture : 5 minutes.

Le Moyen-Orient connaît une situation particulièrement explosive. Il y a tant de comptes à régler, de violents désaccords, de haines implacables qu’il suffirait d’une étincelle pour que toute la région s’embrase. Beaucoup d’observateurs prévoient un été brûlant et sanglant. Ce qu’ils redoutent, ce n’est pas seulement la poursuite des guerres d’Irak et d’Afghanistan, et la possible extension du conflit afghan aux zones tribales du Pakistan, mais plutôt une grande guerre au Levant entre Israël et ses voisins, où seraient entraînés le Liban, la Syrie et les territoires palestiniens occupés, avec même le risque d’une intervention de l’Iran. Vu l’alliance étroite des États-Unis avec Israël, les intérêts américains seraient inévitablement affectés. Le département d’État a du reste vivement conseillé aux Américains, la semaine dernière, de différer tout voyage au Liban, et invité ceux qui sont sur place à « réfléchir sérieusement aux risques qu’ils courraient s’ils restaient ».
Cette menace est-elle imminente ? Les Arabes vont-ils déclencher une guerre ? C’est hautement improbable. Le Hezbollah et le Hamas ont les moyens de harceler Israël à coups d’épingle, mais quoi qu’ils fassent – avec les roquettes Qassam ou les raids éclairs transfrontaliers -, l’initiative de l’escalade et du passage à une guerre généralisée reviendrait toujours à Israël. La Syrie est le seul voisin de l’État hébreu qui dispose de moyens militaires dignes de ce nom. Mais il est également fortement improbable qu’elle déclenche les hostilités en raison des désaccords entre ses hauts responsables militaires, mais aussi parce qu’Israël est beaucoup plus puissant. De fait, la position actuelle de la Syrie semble être simplement défensive. Loin de vouloir la guerre, Damas a, au contraire, cherché à apaiser les tensions en proposant à maintes reprises des pourparlers de paix avec Tel-Aviv – tout récemment dans le message transmis par l’ex-président Jimmy Carter (voir p. 49). Le président syrien Bachar al-Assad a indiqué à Carter qu’il pensait qu’« environ 85 % » des problèmes entre la Syrie et Israël avaient été réglés par les négociations des années 1990 et qu’il était impatient de conclure un accord « dès que possible ».

La bourde irakienne
La question de savoir si la guerre éclatera cet été dépend donc d’Israël et de sa volonté de continuer ou non de privilégier la force pour résoudre certains de ses problèmes stratégiques. Trois de ces problèmes sont particulièrement urgents. Le premier est la montée en puissance de la République islamique d’Iran. Le deuxième est le défi que représentent le Hezbollah et le Hamas. Le troisième, ce sont les changements éventuels que le prochain président américain pourrait apporter à la politique moyen-orientale des États-Unis.
L’Iran apparaît aujourd’hui comme un rival régional non seulement d’Israël, mais aussi des États-Unis. Son influence est immense en Irak, se renforce en Syrie et au Liban, et s’étend désormais aux territoires palestiniens et aux pays du Golfe. Il constitue une menace pour l’hégémonie régionale dont les États-Unis ont bénéficié depuis la chute de l’URSS. Stupidement, Washington n’a pas prévu qu’en attaquant ou en détruisant l’Irak avec les encouragements de Tel-Aviv il créait les conditions de l’émergence de l’Iran. Les États-Unis et Israël doivent aujourd’hui assumer les conséquences de leur bourde stratégique. Mais contrairement aux craintes et à la propagande d’Israël, le programme nucléaire de l’Iran ne représente aucune « menace existentielle » reconnue pour l’État hébreu. Mais il pourrait déposséder Israël de sa position de premier État nucléaire et militaire du Moyen-Orient, et donc limiter sa liberté d’action contre des adversaires locaux comme la Syrie, le Hezbollah et le Hamas.
Israël, avec ou sans l’aide des États-Unis, attaquera-t-il les installations nucléaires de l’Iran ? En dépit des déclarations belliqueuses de certains de ses dirigeants, rien n’est moins sûr. Les conséquences prévisibles pour la région, pour Israël et pour les intérêts américains seraient trop graves. Les États-Unis et Israël devront probablement se contenter de l’endiguement et de la dissuasion, poursuivant leurs efforts pour saboter l’économie iranienne et mobiliser contre Téhéran des pays arabes.
L’État hébreu, naturellement, aimerait bien éliminer le Hezbollah et le Hamas. Mais ce n’est pas une tâche facile, car les deux organisations sont profondément implantées dans les populations locales et mènent une forme de guérilla « asymétrique » qu’une armée conventionnelle et au moral de plus en plus fragilisé comme celle d’Israël a beaucoup de mal à combattre. L’État hébreu a cherché – vainement – à se débarrasser du Hezbollah lors de la coûteuse guerre du Liban de 2006. Seul un leader israélien très téméraire s’y risquerait à nouveau. Israël devra sans doute accepter l’existence d’un Hezbollah puissant, soutenu par l’Iran et par la Syrie, dictant l’ordre politique au Liban, tout en poursuivant ses efforts pour essayer d’éliminer le gouvernement du Hamas en assiégeant, en affamant et en bombardant le million et demi d’habitants de Gaza. Pour le Hamas, accepter le siège serait se condamner à une mort lente. Il lutte donc contre le blocus en lançant, quand il le peut, des attaques ponctuelles contre les Israéliens.

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Qui à la Maison Blanche ?
Autre grand souci à l’horizon israélien : que le prochain président américain ne soit pas aussi pro-israélien que l’était George W. Bush. La possibilité d’un retrait américain d’Irak et d’un « grand marché » entre les États-Unis et l’Iran doit être aussi une grande source d’inquiétude. Il n’est pas surprenant que les lobbyistes américano-israéliens apportent un soutien sans réserve à John McCain, traînent Barack Obama dans la boue et mènent une campagne venimeuse contre Jimmy Carter.
Israël a-t-il le choix ? Oui, l’autre possibilité est une paix globale. Mais l’État hébreu ne veut pas et en vérité ne peut pas – payer le prix de la paix, à savoir le retrait sur les frontières de 1967. Aucun dirigeant israélien n’a la vision politique ni l’autorité morale pour envisager une telle perspective. Il y a eu trop de « faits accomplis » sur le territoire palestinien. Le rêve messianique des Israéliens de mettre la main sur la totalité de la Palestine historique est toujours vivace.
Israël ne peut pas non plus se plier aux conditions du Hamas, qui sont un échange de prisonniers, la levée du siège de Gaza et une trêve de dix ans. Accepter de telles conditions serait accepter une forme de dissuasion mutuelle, ce qu’Israël a toujours refusé. La vérité semble être qu’Israël ne peut ni mener une guerre totale contre ses adversaires ni faire la paix avec eux. L’État hébreu est donc condamné à poursuivre sa politique actuelle : assiéger Gaza, intimider ses adversaires par des raids aériens et des opérations de commando, et décapiter par des assassinats les mouvements de résistance. De telles escarmouches semblent devoir se poursuivre, maintenant la région sous haute tension et faisant de nombreuses victimes civiles, surtout parmi les Palestiniens. Sauf erreur de calcul d’un côté ou de l’autre, cette « drôle de guerre » a, cependant, le mérite d’épargner à la région une conflagration majeure. L’été ne sera peut-être pas aussi sanglant que certains le craignent.

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