Même crise agricole de Rabat à Libreville

Publié le 28 avril 2008 Lecture : 6 minutes.

Les choix politiques faits par les dirigeants et les bailleurs de fonds depuis les années 1970 continuent d’avoir des conséquences parfois dramatiques sur le secteur agricole et les populations rurales en Afrique. Zoom sur cinq pays africains.

Maroc
Croissance et météo

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« Quand l’agriculture va, tout va ! » a-t-on coutume de dire au Maroc. Représentant 15 % à 20 % du Produit intérieur brut (PIB) et employant près de 80 % de la population active en milieu rural, le secteur agricole influe directement et très largement sur la croissance du pays. Et pourtant, il est soumis à des dysfonctionnements structurels, tels que le manque de financements, l’exiguïté des exploitations (moins de 3 hectares en moyenne) ou encore la faible modernisation des infrastructures. L’agriculture chérifienne est donc exposée aux chocs extérieurs, principalement les aléas climatiques (l’essentiel de la production n’est pas irriguée) et à la hausse du prix des intrants due ces derniers temps à l’augmentation du prix du baril de pétrole. En fonction des variations pluviométriques, la production nationale satisfait entre 25 % et 75 % de la demande céréalière, environ 50 % des besoins en sucre, 25 % de la demande en huiles. Seules les productions de fruits et légumes permettent de répondre à l’ensemble de la demande marocaine.
La majorité des fermes, peu productives et orientées vers la céréaliculture (60 millions de quintaux prévus en 2008), fonctionne selon un modèle archaïque. Il existe pourtant une filière moderne, irriguée, dans le secteur maraîcher et fruitier, mais dont la production est essentiellement destinée aux exportations vers le marché européen.
Depuis plusieurs mois, de nombreuses manifestations ont été organisées dans les grandes villes du pays (la dernière remontant au 15 avril à Rabat) pour dénoncer la hausse des prix des produits alimentaires, qui varie entre 7 % et 18 % selon les produits. Voyant leur pouvoir d’achat diminuer, les populations en appellent au gouvernement pour qu’il prenne davantage de mesures de soutien (notamment via la subvention publique de certaines productions). Ce dernier en a d’ailleurs les moyens. Il réfléchit à des baisses d’impôts.

Cameroun
Une crise à hauts risques politiques

Comme tous ses voisins du continent, le Cameroun fait les frais de la hausse généralisée des prix des produits de première nécessité. Mais plus qu’ailleurs, le mécontentement populaire y est exacerbé par le contexte politique. C’est la conjugaison de la cherté de la vie et de la volonté du chef de l’État, Paul Biya, de modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat qui, fin février dernier, a poussé les jeunes manifestants dans les rues de Douala et de Yaoundé.
La dépendance alimentaire du Cameroun s’accroît. D’après l’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), le pays a importé 300 000 tonnes de riz et 261 000 tonnes de blé en 2004 (statistique la plus récente), soit l’essentiel de la consommation nationale. Importateur de denrées alimentaires à hauteur de 15 % seulement à la fin des années 1980, il l’est aujourd’hui à 45 %.
Depuis que Yaoundé a fait son entrée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1995, l’essentiel des barrières douanières sont tombées. Conséquences : les importations agricoles – tomates, oignons, riz notamment – ont augmenté et contraint les producteurs locaux à abandonner certaines cultures vivrières. Ces derniers ne peuvent en effet concurrencer les produits importés en masse vendus bon marché : la rentabilité de leurs parcelles étant limitée par leur petite taille (85 % des exploitations ont une superficie inférieure à 1 hectare), ils ne peuvent donc pas baisser leurs prix de vente. Sans compter que les subventions qu’ils reçoivent sont minces : en 2007, la part du budget national allouée au ministère de l’Agriculture et du Développement rural représente 1,7 % du total, soit autant que l’allocation à la présidence de la République et trois fois moins que l’enveloppe prévue pour l’éducation de base. Pour l’agronome et porte-parole du monde paysan Bernard Njonga, « le Cameroun manque d’une politique agricole sur cinq ou dix ans ».

Algérie
Retour à la terre

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L’organisation du secteur agricole est passée par toutes sortes d’expériences : autogestion en 1963, nationalisation et « redistribution des terres au profit de ceux qui la travaillent » en 1973, gestion socialiste des domaines agricoles durant les années 1980Â L’agriculture a fini au bord du gouffre avec des systèmes de production inadaptés, des exploitations à la taille modeste peu efficaces, une fonctionnarisation de l’ouvrier agricole. Le peu d’intérêt des banques pour ce secteur en déshérence a limité les possibilités de financement de la production.
Érigé en priorité par le chef de l’État Abdelaziz Bouteflika, le sauvetage de l’agriculture a pris la forme d’un Plan national pour le développement agricole et rural (PNDAR) mis en Âuvre depuis 2000. Outre sa substantielle enveloppe financière (6 milliards de dollars sous forme de subvention à la production), le PNDAR a entamé la modernisation du secteur, grâce à la généralisation du système d’irrigation au goutte-à-goutte et à l’extension de la surface agricole utile. Résultat : une sensible diminution de la facture alimentaire. Hormis le lait et les céréales, l’agriculture algérienne a réussi, en quelques années, le pari de couvrir la totalité des besoins alimentaires de la population et, avec 6 % de croissance moyenne annuelle, de devenir un des moteurs de l’expansion économique. n Ch.O.

Sénégal
Les arachides ne nourrissent plus

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L’agriculture fait vivre plus de 60 % des Sénégalais mais ne bénéficie pas des moyens que justifierait son poids économique et social. Peu de subventions publiques, quelque 440 000 exploitations familiales pratiquant une culture extensive faiblement mécanisée : le secteur est peu performant, en dépit des engagements du président Wade à le moderniser. En conséquence, les populations rurales ne cessent de s’appauvrir. Les conditions climatiques aléatoires, avec des sécheresses de plus en plus fréquentes, ne facilitent pas la mise en place d’une agriculture efficace. Mais c’est surtout l’insistance mise à développer la filière arachidière qui a détruit le tissu vivrier du pays. Encouragés depuis les années 1960 à cultiver massivement cette légumineuse, les paysans sénégalais ont délaissé les autres productions. S’est ensuivie une hausse importante des importations d’autres produits alimentaires de base, principalement le riz, à la base de l’alimentation de la majorité de la population. La domination de l’arachide a accentué la vulnérabilité des couches paysannes. Si elle a représenté par le passé une importante source de revenus, la chute des cours – conjuguée à la libéralisation de la filière – a plongé les petits producteurs dans la précarité. Après avoir d’abord ignoré l’ampleur de la crise alimentaire et agricole – et durement traité les manifestants contre la vie chère -, le gouvernement sénégalais a débloqué d’urgence, fin mars, 15 millions d’euros pour aider le monde rural à surmonter la mauvaise production agricole de 2007-2008. Il ne fera toutefois pas l’économie d’une réforme en profondeur du secteur.

Gabon
La malédiction du pétrole

Une faible population (1,5 million d’habitants), tout aussi peu de surfaces cultivables : les raisons de la faiblesse du secteur primaire gabonais sont évidentes. En 2006, l’agriculture n’a contribué qu’à 5,7 % du PIB. Mais, surtout, la montée en puissance de l’industrie pétrolière depuis les années 1970 est loin d’être sans conséquences sur le faible niveau de la production agricole locale. Comme en Guinée équatoriale, le secteur des hydrocarbures offre de meilleurs salaires, y compris par rapport aux cultures de rente comme le café ; il a détourné de nombreux paysans de leurs activités. Cette évolution a parallèlement entraîné une profonde modification de la consommation des ménages depuis vingt-cinq ans. Une partie des Gabonais, qui a vu son pouvoir d’achat augmenter, plébiscite les produits importés, en particulier depuis l’Union européenne. En zones péri-urbaines et rurales, en revanche, d’autres couches de la population n’y ont pas accès et sont contraintes de se rabattre sur les cultures vivrières. D’où, malgré la richesse du pays, la persistance de la sous-alimentation et la malnutrition.
Aujourd’hui, les productions locales (manioc, maïs, taroÂ), l’élevage et la pêche ne couvrent que 40 % des besoins alimentaires, ce qui rend le Gabon dangereusement dépendant de l’extérieur. Un déséquilibre qui pourrait constituer une menace encore plus sérieuse quand la production de pétrole déclinera encore davantage. La mise en place de programmes nationaux visant à relancer le secteur primaire est plus qu’urgente.

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