Fath-Allah Berrada

Président du directoire de la BVC, il hérite d’un imposant cahier des charges : faire passer la place financière à la vitesse supérieure, tant au plan national que régional.

Publié le 28 avril 2008 Lecture : 6 minutes.

Fath-Allah Berrada est un homme pressé. Si le nouveau président du directoire de la Bourse de Casablanca reçoit chaleureusement ses interlocuteurs, il chronomètre chacun de ses entretiens. Il est vrai que l’homme a du pain sur la planche. Depuis la grande réforme de 1993, qui a largement contribué à la modernisation du marché et instauré la Société de la Bourse des valeurs de Casablanca (BVC), le Maroc s’est endormi sur ses lauriers. Bien sûr, le marché a connu un boom ces dernières années. Bien sûr, les introductions en Bourse se sont multipliées. Bien sûr, le volume global a explosé (+ 134 % en 2007). Bien sûr, les souscripteurs sont de plus en plus nombreux. Mais en matière de réformes ou de nouveaux produits financiers, la Bourse de Casablanca a fait du surplace. Les six derniers mois de vacances managériales – depuis le départ du directoire d’Amine Benabdeslam fin juillet 2007 – n’ont pas arrangé les choses. Et les attentes des professionnels se font pressantes. « La Bourse s’est dotée d’un nouveau système de cotation électronique aux meilleurs standards internationaux. En revanche, il n’y a toujours pas de marché à terme. C’est comme si vous achetiez une Formule 1 pour rouler sur une route de campagne », s’énerve un financier.
Face à ces enjeux, le conseil de surveillance de la Bourse – constitué par les différentes sociétés de Bourse – semble avoir pris tout son temps pour choisir un nouveau président du directoire. Nommé le 18 février, Fath-Allah Berrada a donc hérité d’un imposant cahier des charges. À lui de faire passer la place à la vitesse supérieure, tant sur le plan national qu’international. Visiblement, l’ampleur de la tâche n’a pas fait perdre son sens de l’humour à cet habitué des milieux financiers. Il analyse chaque question point par point sans jamais se défaire d’un large sourire ni s’embarrasser de circonvolutions.
S’il reste volontairement généraliste sur sa stratégie – « Nous sommes en train de l’élaborer », s’excuse-t-il -, cet expert-comptable de formation connaît bien les objectifs à atteindre et les attentes des professionnels. « Aujourd’hui, le marché est mature pour accepter des produits plus structurés, explique-t-il. Les outils techniques sont là et un projet de loi a été déposé au secrétariat général du gouvernement. Il faut à présent que quelqu’un prenne ce dossier à bras-le-corps. Je ne sais pas si nous allons jouer le rôle de locomotive, mais nous allons faire en sorte de le faire aboutir le plus rapidement possible. » Peut-on envisager un marché à terme avant la fin de l’année ? Berrada y compte bien. « Nous avons aujourd’hui 73 sociétés cotées : c’est extrêmement faible, poursuit-il. Avec les volumes drainés, les outils financiers que nous avons et la maturité des intervenants, nous avons tous les ingrédients pour avoir autant d’entreprises qu’en Égypte [soit 430, NDLR]. Bien sûr, nous ne voulons pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Nous visons les cent sociétés cotées d’ici à 2010. Mais nous sommes outillés pour les recevoir dès aujourd’hui ! »
À 52 ans, il s’apprête à prendre son bâton de pèlerin pour drainer de nouveaux entrepreneurs marocains vers la Bourse tout en essayant d’augmenter le nombre de souscripteurs. Pour cette mission, Fath-Allah Berrada possède deux atouts de taille : son franc-parler ainsi qu’une solide expérience et un important réseau. Sa carrière, il la résume ainsi : « Vingt-cinq ans à rouler ma bosse dans le monde de la finance. » Après des débuts dans le cabinet d’audit parisien Pricewaterhouse, il fait ses premières armes au Maroc chez Wafa Invest, la compagnie financière d’investissement de l’ex-Wafa Bank avant de participer, en 1995, à la création de la banque d’affaires Wafa Trust comme directeur général. Il n’y restera qu’un an pour rejoindre la société d’investissements saoudo-marocaine Asma Invest. Depuis 1998, il s’occupait de son propre cabinet de conseil.

Direction collégiale
Le nouveau patron de la Bourse se définit lui-même comme « l’animateur d’un directoire ». « J’ai toujours travaillé de manière collégiale, rappelle-t-il. J’essaie d’être un bon chef d’orchestre. Je ne sais pas si la partition sera bien jouée, mais j’essaye de faire de mon mieux. » Il dispose d’ailleurs d’une collaboratrice de choix. Sa nomination, le 18 février, a en effet coïncidé avec celle d’Hind Bouhia au poste de directeur général. Une fonction toute nouvelle au sein du directoire, qui annonce la couleur : le pilotage des différents chantiers se fera en équipe. À 35 ans, la jeune femme affiche un CV impressionnant. Diplômée de l’École centrale de Paris, elle a enseigné à l’université Harvard après y avoir préparé un PhD en recherche opérationnelle, économie du développement, avant de rejoindre la Banque mondiale puis le cabinet du Premier ministre. « Un tel travail ne peut pas reposer sur les épaules d’une seule personne, confirme-t-elle. C’est dans cet esprit de cohérence, d’intégration et de coordination que nous avons été nommés. »
Si les deux ne se connaissent que depuis quelques semaines, ils semblent déjà être sur la même longueur d’onde. Fath-Allah Berrada ne tarit d’ailleurs pas d’éloge sur les mérites de sa jeune collègue. « Nous sommes animés par la même volonté de développer ce marché et nous partageons la même vision », explique-t-il, confiant. Bien qu’il soit trop tôt pour connaître la manière dont ils se répartiront les rôles, les milieux financiers se livrent déjà à quelques spéculations. « Monsieur Berrada devrait davantage se consacrer aux relations avec le Conseil déontologique des valeurs mobilières – le gendarme de la Bourse -, le Trésor et le ministère des Finances ainsi qu’au développement des marchés et au management, qui a cruellement manqué ces six derniers mois, analyse Youssef Benkirane, président du directoire de BMCE Capital et président de l’Association professionnelle des sociétés de Bourse. Quant à madame Bouhia, au regard de son parcours, elle devrait s’orienter naturellement vers tous les projets de développement à l’international. »
Car c’est bien sûr cet axe que la nouvelle équipe dirigeante va devoir travailler : le rayonnement de la place au niveau régional. Aujourd’hui, Casablanca fonctionne encore en circuit fermé. Si cette situation l’a protégée de la crise de confiance qui a envahi les marchés internationaux, elle freine également ses aspirations à devenir une place financière régionale. Les investisseurs étrangers ne sont pas légion et ont tendance à considérer la Bourse de Casablanca comme surévaluée. Avec un PER d’environ 25 (contre 13 en moyenne en Europe) et l’envolée de certains titres, on peut les comprendre L’institution semble de plus en plus spéculative et déconnectée des fondamentaux économiques. « Ce n’est pas mon rôle de commenter ce genre de chose, poursuit Fath-Allah Berrada. Ce que je sais, c’est que Casablanca marche bien, avec des entreprises en bonne santé et qui distribuent des dividendes. La valorisation intrinsèque des sociétés cotées s’est accrue de 30 % en 2007. »

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Ouverture à l’international
La mise en place de nouveaux instruments financiers permettant les transactions sur des produits dérivés est de nature à attirer une nouvelle génération d’investisseurs. D’autant plus que les ambitions de la Bourse de Casablanca vont au-delà de ses frontières. Les places subsahariennes et maghrébines sont amenées à se développer et Casablanca compte bien développer des partenariats, à l’image de celui signé avec la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMac de Libreville). On évoque déjà quelques pistes comme la Mauritanie ou la Libye. « Techniquement, rien n’empêche des sociétés étrangères qui ont une taille critique et une capitalisation trop importante pour leur Bourse locale de venir se faire coter à Casablanca, ajoute Berrada. J’espère que l’on va y arriver. Nous allons tout faire pour offrir les conditions idéales à des sociétés de la région Meda et de l’Afrique subsaharienne. » Reste à savoir quand, comment ou encore la nature des mesures incitatives qui seront mises en place pour attirer ces entreprises et les investisseurs étrangers. Un premier pas vient peut-être d’être franchi avec l’installation à Casablanca d’une première société de Bourse à capitaux tunisiens (lire encadré), qui pourra intervenir pour ses clients sur la place de Casa. Alors que la loi marocaine n’autorise pas les investisseurs institutionnels à investir plus de 10 % de leurs avoirs sur les marchés étrangers. Tout un symbole…

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