Idées reçues

Publié le 28 avril 2008 Lecture : 3 minutes.

Les commentaires de ceux qu’il est convenu d’appeler les partenaires au développement de l’Afrique  experts, ONG, fonctionnaires internationaux, ministres et même chefs d’État Â, à propos de la crise alimentaire, oscillent entre deux pôles souvent associés dans le même discours: le catastrophisme (« tsunami silencieux ») et l’optimisme (« du mal va surgir le bien: le réveil agricole du continent »). S’il est encore trop tôt pour juger de la validité apocalyptique de la première prévision, il est temps, d’ores et déjà, de relativiser la seconde. Certes, si la production augmente parce que les prix augmentent, si la faible rémunération du travail agricole évolue quelque peu, si on sort du cercle vicieux cultures de rente (d’exportation) contre cultures vivrières parce que ces dernières seront devenues commercialement rentables, si les paysans échappent enfin à la logique d’autoconsommation à laquelle ils sont réduits depuis des décennies, bref, si l’aide et le marché se conjuguent pour soutenir un développement productif capable d’assurer l’autosuffisance, la crise alimentaire aura été, in fine, un bienfait.

Une telle perspective présuppose néanmoins des conditions que l’Afrique  tout au moins dans sa partie subsaharienne  est loin de réunir. L’état des lieux est en effet plus qu’inquiétant. Au sud du Sahara, les deux tiers de la population vivent de l’agriculture, mais seuls quatre ou cinq pays sur quarante- huit peuvent être considérés comme proches de l’autosuffisance, alors qu’ils étaient plus du double lors des indépendances. La ration calorique moyenne par habitant a baissé depuis vingt ans et la FAO estime que 25 % des sols dégradés dans le monde se situent sur le continent. Partout, les politiques agricoles des États ont sombré au cours des années 1980, avec les encouragements coupables du FMI et de la Banque mondiale. La recherche scientifique a totalement délaissé les cultures vivrières purement africaines (mil, sorgho, ignameÂ) au profit des plantes que l’Afrique est toujours contrainte d’importer en masse (riz, maïs). Le niveau des rendements à l’hectare est dramatiquement bas et en cinq décennies de développement très peu d’engrais et de semences améliorées ont été introduits*, réduisant à néant les espoirs de voir éclore une « révolution verte » à l’asiatique  cette fameuse combinaison miracle de l’eau, des pesticides, des engrais et de la culture unique sans jachère.

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Des facteurs externes au continent expliquent sans doute ce constat désolant. Mais pas seulement. La responsabilité politique des dirigeants africains est lourdement engagée, tout comme la persistance de facteurs culturels paralysants. En Afrique centrale, par exemple, le retour au village, où les conditions de vie du point de vue alimentaire sont pourtant meilleures, afin d’y cultiver la terre, est vécu comme une punition et une humiliation par nombre d’urbains en situation d’extrême précarité, qui attendent toujours tout d’un État incapable d’assurer comme avant-hier ses fonctions de redistribution. Faut-il pour autant désespérer? Assurément non. Contrairement à ce que suggérait Nicolas Sarkozy dans son étrange discours de Dakar, le paysan africain n’est ni immobile, ni rétif par nature à l’innovation. Son savoir agronomique est réel même s’il ne prend pas toujours les voies prévues par les agronomes. Des pays comme le Rwanda et le Burundi, surpeuplés et où 90 % de la population vit de la terre, ont ainsi entamé de véritables révolutions agricoles invisibles en multipliant, de façon parfois autoritaire, les productions vivrières imposées et les cycles de culture. Tout comme l’aide n’a pas permis à l’Afrique de s’en sortir (l’Inde, pourtant plus peuplée, s’en est globalement passée pour réussir), il serait donc irresponsable d’annoncer que les effets de la crise alimentaire vont mécaniquement déboucher sur les rivages mythiques de l’autosuffisance. Plus que jamais, c’est par leurs propres moyens que les Africains ont l’obligation d’améliorer leur sort.

* Pour obtenir, dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, un dixième des nutriments à l’hectare que produit l’agriculture européenne, il faudrait multiplier par cent les apports moyens en engrais !

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