Flottement dans les banques tunisiennes

De soudains changements de patrons témoignent des difficultés d’un secteur qui peine à se moderniser.

Publié le 28 avril 2008 Lecture : 4 minutes.

Une succession inhabituelle de changements de dirigeants a agité les banques tunisiennes à la mi-avril. Le 7, Alya Abdallah a pris les commandes de la Banque de Tunisie (BT), succédant à Faouzi Belkahia, qui se retire pour raisons de santé après avoir contribué pendant seize ans à faire de la BT l’un des établissements les plus solides du pays. La nomination d’Alya Abdallah, par ailleurs épouse d’Abdelwahab Abdallah, le chef de la diplomatie tunisienne, entraîne une permutation à l’Union internationale de banques (UIB), filiale à 52 % de la Société générale française depuis 2002, dont elle présidait le conseil d’administration.
C’est un Français qui lui succède, en l’occurrence Bernard David, directeur délégué de la banque de détail hors France métropolitaine du groupe de la Société générale. Mais c’est un Tunisien qui devient directeur général de l’UIB, responsabilité tenue par Philippe Amestoy depuis 2003, puis Dominique Poignon à partir d’août 2007. Kamel Néji, 53 ans, prend leur place. PDG de la Banque tuniso-libyenne (BTL) depuis 2004, il a passé la quasi-totalité de sa carrière dans des banques d’investissement et dans l’ingénierie financière à l’université. Enfin, c’est Golsom Jaziri qui a été pressentie pour diriger la Banque tuniso-libyenne (BTL). Elle était jusque-là directrice générale des changes à la Banque centrale de Tunisie (BCT), grade jamais atteint par une femme dans cette institution.

L’UIB en déficit depuis 2002
Si la promotion quasi simultanée de deux femmes à de telles fonctions est un fait sans précédent dans un secteur financier réputé réservé aux hommes, elle ne peut masquer la période délicate que traversent deux des trois banques concernées, toutes deux liées à des groupes français : l’UIB et la BT, respectivement 8e et 9e banques du pays par le total de bilan. La première connaît des difficultés financières depuis plusieurs années. Cotée en Bourse, elle n’a pas réalisé de bénéfices nets depuis l’exercice 2002. L’insuffisance de provisionnements des créances « accrochées » (impayées – aussi nommées classées), qui existait avant la privatisation, s’est aggravée. Le taux de couverture par les provisions atteint l’un des niveaux les plus bas du pays, à 27 %, contre 50 % pour les banques publiques. Le cabinet Deloitte-Ahmed Mansour & Associés, l’un des deux commissaires aux comptes, a d’ailleurs refusé de certifier les comptes de l’exercice 2006, ce qui représente une première dans le pays. « Cette situation, écrit pour sa part le second commissaire aux comptes, d’AMC Ernst & Young, fait peser un risque sur la continuité de l’exploitation. »
Il appartient désormais à un Tunisien de redresser la barre. Dès sa prise de fonctions, Kamel Néji a parlé de « refondation » de l’UIB. Et il semble que le mouvement soit déjà engagé. Selon nos informations, un compromis aurait été trouvé entre les autorités financières tunisiennes et la Société générale pour assainir les comptes de sa filiale tunisienne. Le groupe français, qui garantissait jusqu’à présent 52 % des créances classées (à hauteur de sa part au capital), en couvrirait désormais la totalité. Les autorités financières tunisiennes accompagneraient cette opération d’assainissement par des mesures spécifiques. La réussite confirmée d’Attijari Bank (ex-Banque du Sud) dans le même domaine est dans tous les esprits. En deux exercices déficitaires, la filiale du groupe marocain a pratiquement éliminé ses risques crédits, qui ne représentent plus que 3 % du total, contre 19 % en moyenne pour les banques tunisiennes.
À la différence de l’UIB, la Banque de Tunisie dispose d’une assise financière solide et affiche les meilleurs indicateurs de la place, dont un taux de couverture des créances classées de 97 %, le meilleur de la place. Mais c’est du côté de l’actionnariat qu’il y a problème. La banque est sous-capitalisée, bien qu’elle dispose d’importants fonds propres : à 1,8 milliard de dinars tunisiens (DT ; 1 milliard d’euros), son total de bilan est équivalent à celui de l’UIB, dont le capital est double. L’annonce du départ de Belkahia s’est accompagnée d’un cafouillage qui témoigne d’une lutte sourde autour de l’augmentation du capital de cette banque privée dont 27 % des actions sont détenus par des actionnaires étrangers, avec à leur tête le Crédit industriel et commercial (CIC, 20 %) français.
Fin mars, le conseil d’administration avait décidé d’un doublement du capital par incorporation de réserves avec attribution d’une action nouvelle gratuite pour une ancienne. Le communiqué fut publié dans le journal officiel du Conseil du marché financier et dans celui de la Bourse de Tunis. Cinq jours plus tard, le 2 avril, un second communiqué annulait purement et simplement le premier. En cause, la méthode choisie pour l’augmentation de capital, qui fermait la porte à de nouveaux actionnaires et empêchait l’arrivée d’un actionnaire de référence. Quelle sera la prochaine étape ? Alya Abdallah doit désormais débloquer la situation pour procéder à la nécessaire recapitalisation. En gardant à l’esprit qu’une banque aussi rentable que la BT ne peut guère rester longtemps à l’abri des convoitises ?

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