Du Caire à Genève

Alors que l’Égypte est l’invitée d’honneur du Salon du livre de Genève, du 30 avril au 4 mai, de nombreux écrivains du continent sont également attendus à l’occasion de la cinquième édition du Salon africain.

Publié le 28 avril 2008 Lecture : 5 minutes.

L’Égypte est, cette année, l’invitée d’honneur du Salon international du livre et de la presse de Genève. Du 30 avril au 4 mai, des trésors de la grande civilisation égyptienne seront exposés dans la capitale suisse. Les visiteurs du Salon pourront dialoguer avec quelques-uns des écrivains égyptiens les plus connus, comme Alaa El Aswany, l’auteur du best-seller L’Immeuble Yacoubian. Et auront l’occasion de découvrir le pays des Pharaons à travers son théâtre, son cinéma et surtout sa fiction.
Berceau de la renaissance littéraire arabe (« nahda ») au XIXe siècle, l’Égypte s’est imposée au cours des dernières décennies comme l’un des hauts lieux de la littérature romanesque, très populaire depuis la parution en 1914, sous la plume d’un certain Muhammad Husayn Haykal, de Zaynab, considéré comme le premier roman arabe.
La littérature de fiction est devenue la forme privilégiée d’expression de l’imaginaire collectif égyptien. De celui aussi de tout le monde arabe, en particulier de la Syrie et du Liban, où les lettres égyptiennes se sont imposées comme modèle. Ainsi a-t-on coutume de dire que « L’Égypte écrit, le Liban imprime et l’Irak lit ».
Récompensé en 1988 par le prix Nobel de littérature, Naguib Mahfouz (mort en 2006), sans doute le plus emblématique et prolifique, avec ses trente-sept romans et ses deux cents nouvelles, a tracé la voie d’une fiction arabe à souffle épique, en prise directe avec le réel et engagée dans les débats politiques et idéologiques qui n’ont cessé de secouer son pays tout au long du XXe siècle. Puisant sa matière romanesque dans le microcosme du Caire populaire (le quartier de Gamaliya) où il a grandi, il a produit une Âuvre réaliste et critique dont la trilogie (Impasse des deux palais, Le Palais du désir, Le Jardin du passé), qui l’a fait connaître, est peut-être la plus représentative. Elle retrace l’évolution de la société égyptienne pendant la première moitié du XXe siècle, à travers le récit de la réussite sociale et du déclin d’une famille bourgeoise cairote. Originale par son style et par son lyrisme mélancolique, l’Âuvre de Mahfouz s’inscrit toutefois dans le courant réaliste, qui domine la production littéraire de l’Égypte moderne. Selon les historiens littéraires, l’emprise du réalisme a toujours été si totale sur les esprits des lecteurs égyptiens que l’imaginaire romanesque n’a réussi à s’imposer dans le pays qu’en se présentant comme discours de vérité.

Ouvres originales
C’est avec l’entrée en scène d’une nouvelle génération d’écrivains dans les années 1960 que cette esthétique subit ses premiers assauts. Pour Richard Jacquemond, spécialiste des littératures du monde arabe, le traumatisme de la défaite de la guerre des Six Jours en 1967 a libéré les écrivains de l’emprise des idéologies nationalistes. Une avant-garde littéraire, issue essentiellement des couches les plus aisées et européanisées de la société, se forme alors autour de Gamal Ghitany, Sonallah Ibrahim, Baha Taher, Mohammed el-Bisatie, Ibrahim Aslan, Khayri Chalabi, Édouard al-Kharrat, Nabil Naoum.
Producteurs d’Âuvres originales où fusionnent, souvent avec bonheur, les acquis de la modernité littéraire venue d’Europe et les apports multiples de la tradition narrative arabe, ces écrivains ont maille à partir avec le pouvoir. Certains sont emprisonnés, d’autres voient leurs Âuvres saisies. À l’instar de Sonallah Ibrahim, considéré par beaucoup comme le véritable successeur de Mahfouz. Auteur d’une dizaine de romans où l’imagination baroque et post-moderniste cohabite avec la satire féroce de la déliquescence politique et sociale de l’Égypte contemporaine, Sonallah Ibrahim, aujourd’hui septuagénaire, a passé cinq ans dans les geôles de Nasser, de 1959 à 1964, pour militantisme communiste. Son premier roman Cette odeur-là (Actes Sud) a été censuré en 1966. Aussi a-t-il toujours veillé à se situer hors des circuits institutionnels, allant jusqu’à décliner en 2003 le prix littéraire le plus prestigieux du pays (le prix du Caire pour la création romanesque) que Farouk Hosni, ministre de la Culture, se proposait de lui décerner.
Autre voix majeure de cette génération : Gamal Ghitany, ancien membre du Parti communiste égyptien, a lui aussi connu les horreurs de la détention politique sous Nasser. Il doit sa libération à l’intervention de Jean-Paul Sartre, qui lors de sa visite au Caire en 1966 avait exigé du raïs que celui-ci libère les écrivains détenus pour délits d’opinion. Journaliste, Gamal Ghitany a écrit quatorze romans où se mêlent l’historique, le poétique et parfois même le mystique, comme dans son très beau livre intitulé L’Appel du couchant (Actes Sud). Ce roman raconte l’histoire d’Ahmed, qui, en répondant à l’appel d’une voix intérieure, part vers le couchant, dans l’espoir de rejoindre le soleil. C’est dans le langage ésotérique du soufisme que le romancier puise les images d’une quête universelle du destin et de l’inconnaissable.
Mais, depuis une petite dizaine d’années, les femmes ont pris d’assaut la forteresse littéraire, trop longtemps demeurée un espace masculin. May Telmissany, Miral al-Tahawi, Sumayya Ramadan incarnent cette nouvelle vague littéraire. Se situant entre songes et histoire, entre souvenirs et vécus troubles, comme le fait si bien Sumayya Ramadan dans son saisissant Awraq al-Narjis (« Les Feuilles de ­Narcisse »), qui met en scène une narratrice en proie à des troubles psychiques, ces jeunes romancières explosent les frontières classiques entre narration et autres types de discours. Sous leurs plumes, écrit Kadhim Jihad Hassan dans son étude aussi magistrale qu’exhaustive sur Le Roman arabe 1834-2004 (Actes Sud), « le récit se fait tantôt questionnement philosophique, tantôt chant, et donne lieu à une parole multiple déchirant le silence, comme chez certains personnages de Beckett, et n’y parvenant pas ». Et témoigne de la vitalité de la fiction égyptienne contemporaine.
Vitalité confirmée également par la consécration d’Alaa El Aswany, l’auteur de Chicago (Actes Sud) et surtout de L’Immeuble Yacoubian (Actes Sud), un premier roman qui s’est vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires avant de devenir un best-seller mondial et d’être adapté au cinéma en 2006. Il raconte les heurs et malheurs de l’Égypte contemporaine à travers le destin des habitants d’un immeuble vétuste au cÂur de la ville, emblématique de la décadence sociale et politique du pays. Cette allégorie moderniste, alliée à une narration haute en couleur et épique à la Mahfouz, est sans doute le secret du succès planétaire de ce livre-phénomène.

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Renseignements sur : www.salondulivre.ch

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