Délocalisations à valeur ajoutée

Employant plus de cent mille salariés tunisiens, les sociétés à participation française diversifient leurs activités et recherchent des personnels de plus en plus qualifiés.

Publié le 28 avril 2008 Lecture : 6 minutes.

« Contrairement aux autres Européens, qui investissent essentiellement dans l’énergie, les Français présents ici le sont sur des secteurs très diversifiés », avance, non sans fierté, le responsable d’une PME établie près de Tunis. « Il y a dix ans, nous avions encore un problème pour fidéliser nos salariés, mais, aujourd’hui, la plupart ont intégré la culture d’entreprise.Et puis, à qualité égale, les coûts de façon sont deux à trois fois inférieurs à ce qu’ils sont en France, poursuit le dirigeant d’un grand nom de la lingerie. Sans oublier les avantages fiscaux accordés aux sociétés totalement exportatrices dont les bénéfices sont exonérés de toute imposition depuis la loi de 1972. » Dans la loi de finances 2008, le gouvernement a en effet décidé de repousser à 2011 la taxation de 10 % des bénéfices issus de l’exportation. « De nombreux projets français sont créés ou délocalisés vers la Tunisie parce qu’on se rend compte qu’ici, ce n’est pas que de l’exécution », s’enthousiasme pour sa part Hassane Hamza, le PDG de Cortix, leader dans l’offre globale Internet pour les entreprises. Le groupe français, qui dispose d’une vingtaine d’agences en Europe, a commencé son expérience tunisienne en 2004 pour concevoir des sites Web et s’est rapidement aperçu qu’il y avait beaucoup d’autres possibilités dans le pays. Peu à peu, Cortix y a installé son centre d’appels, puis y a délocalisé la gestion des appels entrants, le traitement du courrier et, finalement, son service du contentieux. La moitié des 645 salariés sont désormais basés en Tunisie et, puisque d’importantes fonctions analytiques y sont traitées, le groupe recrutera de plus en plus de personnel de haut niveau sur place. Outre les compétences en technologie et en gestion, l’ouverture sur l’Europe est aussi un plus. Par exemple, la maîtrise de l’espagnol par l’équipe tunisienne est à l’origine d’une grande partie des nouveaux contrats de Cortix en Espagne.

Les patrons se mobilisent
L’humeur des entrepreneurs français qui ont choisi la Tunisie semble au beau fixe et reflète celle des responsables patronaux, de part et d’autre de la Méditerranée. À commencer par Laurence Parisot, la présidente du Medef (le patronat français), qui, le 27 février dernier à Tunis, a signé avec son homologue Hédi Djilani, président de l’Utica (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat), un « protocole d’accord pour la promotion et la coopération économique et commerciale, ainsi que la multiplication des rencontres bilatérales et actions communes ». L’occasion d’une déclaration enflammée de la patronne des patrons français : « Nous nous sentons plus proches des chefs d’entreprise tunisiens que des chefs d’entreprise anglais. Il y a une proximité, une connaissance, une affinité, une facilité d’échange dont il faut savoir tirer profit. » Pour elle, la Tunisie est « un pays modèle dans le monde arabo-musulman, particulièrement en ce qui concerne l’émancipation de la femme et son implication dans le développement et la croissance du pays. C’est également un pays qui attire en permanence les investissements à forte valeur ajoutée dans certains secteurs. » Elle a également précisé que, à ses yeux, « la délocalisation n’est pas une perte pour l’économie française mais une valeur ajoutée supplémentaire », et a souligné l’importance pour les multinationales françaises de poursuivre leurs investissements en Tunisie.
Sur ce point, Hédi Djilani a rappelé que l’implantation des grands projets d’infrastructures constitue une nouvelle donne. Ne serait-ce que pour l’approvisionnement en matériaux de construction et les services liés à l’investissement immobilier, ces chantiers représentent une réelle opportunité pour les entreprises tunisiennes et pour leurs consÂÂÂurs françaises « dans le cadre d’un partenariat efficient et gagnant-gagnant ». Pour le président du patronat tunisien, il est grand temps que la Tunisie et la France, « qui ont, les premiers, fait le pari sur EuroMed, puissent y trouver leur compte » – rappelant au passage que la mise en ÂÂÂoeuvre de l’Union pour la Méditerranée (UPM) constitue une occasion des plus propice pour relancer concrètement ce partenariat. Dont acte : les 3 et 4 juillet prochain, les chefs d’entreprise du pourtour méditerranéen participeront à Marseille aux Journées de la compétitivité EuroMed, organisées à l’initiative du couple Utica-Medef, de Business Europe et de l’Union méditerranéenne des confédérations d’entreprises (UMCE). Un rendez-vous qui se tiendra au lendemain de la réunion, également à Marseille, des ministres méditerranéens du Commerce.
Avec une certaine longueur d’avance, la Tunisie est, depuis le 1er janvier 2008, le premier pays du sud de la Méditerranée à avoir libéralisé les échanges de produits industriels avec l’Union européenne. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Les demandes des entreprises françaises pour investir en Tunisie ont augmenté de 15 % depuis le début de l’année. Mais, comme le souligne Foued Lakhoua, président de la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie (CFTCI), déjà « entre 1995, date à laquelle la Tunisie a signé l’Accord de libre-échange avec l’Union européenne, et 2007, notre partenariat bilatéral n’a cessé de se renforcer. Les échanges sont passés de moins de 2 milliards à 7 milliards d’euros, les exportations tunisiennes vers la France ont quadruplé et les importations tunisiennes en provenance de la France ont presque triplé. »
Le bilan publié fin mars par la Mission économique française montre ainsi que, hors énergie, la France reste le premier investisseur étranger dans le pays, avec 92 millions d’euros d’investissements directs étrangers (IDE) en provenance de l’Hexagone, dont 70 millions dans l’industrie (76 %), 15,4 millions d’euros dans le secteur de l’énergie (16,8 %), 3,4 millions dans celui des services (3,7 %), 1,7 million dans le tourisme (1,9 %) et 1,5 million dans l’agriculture (1,6 %). Une diversification des IDE français qui s’est faite au profit de l’industrie et au détriment du tourisme. La France est également le premier pourvoyeur étranger d’emplois dans le pays avec 1 180 entreprises à participation française (elles n’étaient que de 400 en 1995), qui comptent plus de 106 000 salariés et ont généré la création de près de 5 000 emplois en 2007.

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Les secteurs porteurs
Le fait que la nature des investissements et l’activité des entreprises françaises se soient considérablement diversifiées est un atout notable pour la pérennité des projets. Mention spéciale, en l’occurrence, pour les industries mécanique, électrique et électronique (avec notamment Autoliv, Valeo et Labinal chez les équipementiers automobiles, ou Sagem, Alcatel-Lucent et Bull dans les TIC), qui constituent désormais le premier secteur d’attraction des IDE (tous pays confondus), détrônant le textile.
Avec de nombreuses PME et de grands groupes comme Lacoste, Petit Bateau, Chantelle, Aubade ou Lafuma, les entreprises françaises restent très actives dans les secteurs manufacturiers traditionnels comme le textile, le cuir et la chaussure, où elles représentent la moitié du stock des IDE. Mais il est clair que les industries mécanique, électrique et électronique ainsi que la plasturgie ont désormais le vent en poupe.
C’est aussi le cas de l’aéronautique et du spatial, qui comptent désormais 22 entreprises toutes nationalités confondues. Ce qui a d’ailleurs suscité la création l’an dernier du Groupement des industriels tunisiens de l’aéronautique et du spatial (Gitas), où figurent des groupes français : Zodiac Equipments Tunisie (à Nabeul), EADS Sogerma (à Monastir) et, surtout, Latécoère, qui compte déjà trois usines SEA-LATelec (filiale à 100 % du groupe) spécialisées dans le câblage et qui emploient plus de 600 salariés. La plus ancienne est établie depuis 1995 sur la zone industrielle de la Charguia, près de l’aéroport de Tunis. D’ailleurs, sur ce site, des travaux en cours laissent penser que l’implantation d’une nouvelle unité « en Tunisie ou au Maroc », annoncée en février dernier par le PDG du groupe, François Junca, pourrait bien se faire au profit de TunisÂÂÂ Mais l’équipementier aéronautique réserve sa décision pour la fin d’avril.
La nouvelle usine représente un investissement de 100 millions d’euros. Programmée pour entrer en activité dès la fin de 2009, elle devrait générer 1 500 emplois et attirer dans son sillage une dizaine de ses sous-traitants.
Enfin, la présence des entreprises françaises dans le secteur des services continue de monter en puissance. Banque et finances, assurance, conseils juridiques, formation professionnelle, expertise comptable, centres d’appels, sociétés de services en ingénierie informatiqueÂÂÂ au-delà du traditionnel back-office bancaire et financier et de l’offshoring, la plupart des acteurs diversifient leurs compétences et recrutent de plus en plus de cadres, de diplômés d’écoles de commerce, d’informaticiens et d’ingénieurs. La Tunisie accompagne résolument cette tendance, grâce à son système éducatif et de formation professionnelle. L’objectif étant de travailler non plus seulement pour la sous-traitance, mais aussi en cotraitance. Et donc être plus compétitive.

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