Ben Ali, de Chirac à Sarkozy
Après une première visite en juillet 2007, le chef de l’État français revient à Tunis en terrain familier. Malgré le changement à la tête de l’exécutif intervenu il y a un an, les liens entre les deux pays demeurent très étroits.
Le Maghreb est bien l’une des priorités diplomatiques de Nicolas Sarkozy, qui lui avait réservé son premier déplacement hors d’Europe, les 10 et 11 juillet 2007. Le président français revient en Tunisie en visite d’État du 28 au 30 avril, pour y être accueilli en ami par son homologue Zine el-Abidine Ben Ali. Des échanges économiques et humains d’une densité exceptionnelle et des relations politiques au beau fixe : tout baigne entre Paris et Tunis.
Quelque 600 000 Tunisiens vivent dans l’Hexagone et 25 000 Français sont installés en Tunisie, un chiffre qui progresse de 10 % par an. Près de 1 200 entreprises tricolores sont implantées dans le pays, qui emploient plus de 100 000 personnes. Quant aux échanges bilatéraux, ils ont dépassé les 7 milliards d’euros en 2007. Proportionnellement à son nombre d’habitants, la Tunisie est le pays le plus soutenu par la coopération française. Et la tendance n’est pas prête de s’inverser. Car les deux parties souhaitent faire de l’éducation et de la formation – domaines dans lesquels la Tunisie a enregistré des résultats « remarquables » – les axes majeurs de cette visite d’État avec, à la clé, davantage de bourses et un quota significatif de cartes « Compétences et talents », ces titres de séjour de trois ans renouvelables réservés aux immigrés choisis. « Nous voulons instaurer un partenariat Âgagnant-gagnant pour relever ensemble le défi de la compétition internationale, explique Serge Degallaix, l’ambassadeur de France à Tunis. La Tunisie est à une heure de Marseille. Elle a des gens bien formés, qui parlent bien la langue française, qui connaissent bien le système éducatif français et dont les coûts de travail sont inférieurs aux nôtres. C’est un partenaire économique idéal pour nos entreprises. »
« Chouchou maghrébin »
Modèle de décolonisation réussie, la Tunisie bénéficie depuis longtemps des faveurs de la France et dispute au Maroc le statut de « chouchou » maghrébin. Habib Bourguiba, le père de l’indépendance, était résolument francophile et ne manquait jamais une occasion de signaler à ses visiteurs l’admiration qu’il vouait aux philosophes des Lumières, au poète Alfred de Vigny, dont il aimait à déclamer les vers, et à Pierre Mendès France, avec qui il avait négocié les accords d’autonomie, en 1954, et dont la photographie trônait en évidence sur son bureau du palais de Carthage. Tropisme sentimental, donc, mais aussi choix politique raisonné, celui de l’ancrage à l’Occident. Le pari bourguibien de la modernité, qui s’est traduit d’emblée par la libération de la femme, le contrôle des naissances et la généralisation de l’enseignement, a valu en retour à la Tunisie la sympathie des élites françaises.
Bourguiba, que Charles de Gaulle qualifia un jour de « chef d’État dont l’envergure et l’ambition dépassent les dimensions de son pays », a pourtant entretenu des rapports compliqués avec le général. L’incompréhension entre les deux leaders et leurs divergences de vue sur le calendrier d’évacuation de la base navale de Bizerte ont viré au drame en juillet 1961, dégénérant en affrontements armés entre forces françaises et les militaires tunisiens – affrontements qui firent plus d’un millier de morts côté tunisien. L’indépendance de l’Algérie, en 1962, et l’évacuation de Bizerte, en octobre 1963, ont permis de dissiper les malentendus, mais la normalisation définitive n’est intervenue qu’en novembre 1969, avec la visite à Tunis du ministre des Affaires étrangères Maurice Schumann. Cependant, même au plus fort de la crise, jamais le principe de la coopération culturelle n’a été remis en cause.
L’arrivée de François Mitterrand et des socialistes au pouvoir, en 1981, regardée d’abord avec une certaine méfiance par les Tunisiens plus habitués à traiter avec les gaullistes (Georges Pompidou) et les libéraux (Valéry Giscard d’Estaing) n’a pas eu d’incidence significative sur la qualité de la relation. Pas plus que la déposition d’un Bourguiba devenu sénile par son Premier ministre Zine el-Abidine Ben Ali, le 7 novembre 1987. La petite histoire retiendra malgré tout que les Français n’avaient pas été mis dans la confidence, contrairement aux Algériens, aux Italiens et aux AméricainsÂ
Pendant toute la première moitié des années 1990, la question algérienne a dominé les rapports franco-tunisiens. Et Ben Ali, engagé dans une lutte sans merci contre les islamistes d’Ennahda, a bénéficié du soutien inconditionnel des Occidentaux en général, et de la France en particulier. C’est qu’il n’était dans l’intérêt de personne de voir la Tunisie passer sous la coupe des islamistes et se transformer en base arrière des barbus de l’Armée islamique du salut (AIS) et des égorgeurs des Groupes islamiques armés (GIA). Mais les commentaires acides distillés dans la presse française sur le manque de liberté, la coloration policière du régime ou encore le déficit démocratique, perçus, de l’autre côté de la Méditerranée, comme une insupportable manifestation d’arrogance, ont provoqué un net refroidissement entre les deux capitales à la fin des années 1990. Période qui a coïncidé avec la cohabitation et le passage à Matignon d’un certain Lionel Jospin. Entre les autorités tunisiennes et le Premier ministre socialiste, le courant n’est jamais passé : trop tiède à l’égard des Arabes, trop réticent à venir en Tunisie, trop donneur de leçons et, surtout, issu d’un parti décidément trop complaisant à l’égard des thèses des opposants de la « dissidence démocratique ». Bref, tout l’inverse d’un Jacques ChiracÂ
La réélection de ce dernier, en mai 2002, a été accueillie avec un soulagement non dissimulé à Tunis et s’est immédiatement traduite par un spectaculaire réchauffement diplomatique, preuve que les contentieux accumulés depuis 1999 étaient uniquement politiques.
Nicolas Sarkozy, qui était le candidat préféré de la classe dirigeante tunisienne lors de la présidentielle française de 2007, semble vouloir inscrire ses pas dans ceux de son prédécesseur. « Il y a indéniablement une certaine forme de réussite économique tunisienne depuis la fin des années 1980, avec une croissance toujours supérieure à 5 %, expliquait-il en aparté aux journalistes qui l’accompagnaient lors de son dernier déplacement à Tunis. On ne peut pas condamner un pays qui réussit son développement économique et lutte efficacement contre le terrorisme [Â]. Et l’on ne se pose jamais la question de savoir où en seraient les droits de l’homme en Tunisie si les islamistes avaient pris le pouvoir » Les dissidents, qui n’attendent d’ailleurs pas grand-chose de la visite du président français, sont donc prévenus : la doctrine Chirac est toujours en vigueurÂ
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