Un E.T. dans le ciel africain

En dépit de la crise que traverse le secteur, la compagnie nationale affiche un quatrième exercice bénéficiaire consécutif. Retour sur une «success story» amorcée il y a soixante ans.

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 6 minutes.

Qui, à sa création en 1945, aurait pu imaginer qu’Ethiopian Airlines – « E.T. », comme aiment à l’appeler ses habitués – survivrait à TWA, son partenaire américain ? Et figurerait, soixante ans plus tard, dans le cercle restreint des compagnies africaines rentables, aux côtés de South African Airways, Tunisair, Kenya Airways, Royal Air Maroc et Air Mauritius ? Le discret pavillon national d’un des pays les plus pauvres d’Afrique peut même se targuer d’une marge d’exploitation de 8 %, de quoi faire pâlir d’envie Air France-KLM, numéro un mondial, qui doit se contenter d’un petit 1 %. Le résultat d’exploitation d’Ethiopian pour 2003-2004 – une exclusivité J.A.I. – atteint en effet 31 millions de dollars pour un chiffre d’affaires de 395 millions. Avec un quatrième exercice bénéficiaire consécutif, la compagnie affiche une santé insolente malgré la crise que traverse le secteur. Retour sur l’un des succès les plus durables du ciel africain.
Créée par l’État éthiopien en collaboration avec le département d’État américain, la compagnie publique a commencé par exploiter cinq Dakota DC3 et inauguré son premier vol international vers Le Caire. Ensuite, E.T. a connu un développement quasi régulier, interrompu en 1999 et 2000 par la guerre avec l’Érythrée. En 1975, elle a mis fin au contrat de management, sans lien capitalistique, de TWA, qui, depuis, a fait faillite. Soutenue par son actionnaire unique, l’État éthiopien, elle a su rester indépendante. Contrairement aux compagnies ouest-africaines, qui ont dû se regrouper ou disparaître. Royal Air Maroc a ainsi filialisé Air Sénégal et chapeaute la création d’Air Cemac. La prestigieuse Air Afrique a trépassé en 2002, ainsi que Nigerian Airways, toutes deux rejointes par l’orgueilleuse Camair, en liquidation. En Afrique de l’Est, la rivale Kenyan Airways s’est associée à KLM, qui détient 26 % de son capital depuis sa privatisation en 1996, tandis que South African règne sur l’Afrique australe. E.T. n’en envisage pas moins des partenariats. « Nous sommes en discussion avec Ghana Airways et d’autres transporteurs », nous a confié Kagnew Fisseha, directeur des relations publiques.
Pour soutenir sa compagnie, l’État éthiopien n’a pas hésité à se brouiller avec le FMI. En 1997, E.T. avait tenté de renégocier un prêt conclu à un taux prohibitif pour financer l’achat de quatre Boeing. Face au refus de son créancier, une banque américaine, Addis-Abeba a volé à son secours et remboursé l’emprunt par anticipation en puisant dans les réserves de la Banque centrale, mais sans en avertir le FMI, qui, vexé, a suspendu le versement de tous ses crédits. Mais la compagnie a finalement obtenu gain de cause. Désormais, l’Eximbank, organisme d’assurance-crédit américain, garantit les financements de tous ses Boeing.
E.T. est la fierté du pays. En témoigne l’indignation des Éthiopiens lorsque, pour des raisons commerciales, le transporteur a dû modifier son logo, sans toutefois abandonner ses couleurs nationales – vert, jaune et rouge. Mais son statut de compagnie publique ne suffit pas à expliquer la réussite d’E.T.. « La clé du succès d’Ethiopian repose sur l’indépendance de son management, la formation du personnel et sa desserte africaine », résume Kagnew Fisseha. La direction applique les méthodes de gestion des compagnies occidentales. Il existe même une école de marketing et de finances afin de familiariser les employés au yield management (tarification en fonction de la demande).
E.T. transporte 1,2 million de passagers par an et emploie 4 579 personnes. Sa stratégie de « niche » repose sur son hub, au nouvel aéroport de Bolé, à Addis-Abeba. Véritable plaque tournante permettant de relier l’Ouest africain, le Golfe et l’Europe, il rivalise avec Nairobi et, dans une moindre mesure, avec Johannesburg. Grâce à ce hub, E.T. dessert plus de destinations en Afrique que n’importe quelle autre compagnie : de 24 à 27 selon les saisons. Sa force repose sur les liaisons transversales est-ouest, qu’elle assure depuis 1960, avec son premier vol vers le Liberia, via Khartoum et Accra. Un choix judicieux qui lui a permis d’éviter la concurrence frontale des européens comme Sabena ou Air France, tout en profitant de la disparition d’Air Afrique. Ce réseau africain s’articule à un réseau international : E.T. a été la première compagnie non-asiatique à desservir Pékin (en 1973), auquel sont venus s’ajouter Delhi, Bombay et Hong Kong. Son réseau européen est riche de six destinations : Paris, Londres, Francfort, Amsterdam, Rome, et Stockholm, ouverte en 2004. Sur le Vieux Continent, son concurrent principal est Lufthansa, qui effectue trois vols par semaine sur gros-porteur A-340 vers Addis-Abeba, et, dans une moindre mesure, British Airways. Quant à Alitalia, elle s’est retirée d’Éthiopie en 2002.
En 1998, E.T. a lancé un ambitieux programme d’ouverture de lignes vers les pays du Golfe et les États-Unis. Mettant à profit l’emplacement privilégié de sa plate-forme face à la péninsule Arabique, elle a ouvert de nouvelles routes au Moyen-Orient. Outre Dubaï, Djedda et Riyad, elle dessert Beyrouth, Koweït-City et Tel-Aviv. Pour la diaspora éthiopienne de la côte est-américaine, E.T. rallie aussi Washington, via New York (3 à 4 vols par semaine). Au total, son trafic est à 79 % international et à 21 % domestique, avec 44 destinations mondiales et 30 nationales.
Le positionnement d’E.T. n’est pas celui d’une low cost – l’Afrique n’offrant pas le volume suffisant -, mais celui d’une compagnie régulière qui a décidé de miser sur la qualité. À la différence de ses concurrents, son offre ne comporte que deux classes, la classe « Cloud 9 », un service de première classe au prix de la classe affaires, et la classe économique. Les Africains apprécient sa ponctualité, sa flotte moderne et la qualité de son service (réservations par Internet, programme de fidélisation). La mission en cours de SH & E, le consultant aéronautique américain, devrait inciter E.T. à augmenter ses fréquences, notamment à destination de Lagos (10 vols hebdomadaires actuellement), Hong Kong, Canton, Dar es-Salaam et Khartoum. Pour ce faire, E.T. a commandé – encore une première en Afrique – plusieurs Boeing 787 Dreamliner à long rayon d’action (de 6 500 à 16 000 km). Elle a signé, en février, une lettre d’intention d’achat pour 10 avions, 5 commandes fermes et 5 options, livrables en 2008 pour un prix de 1,3 milliard de dollars. Et envisage de se doter de 7 appareils supplémentaires à l’horizon 2010, d’où la récente visite d’Airbus, qui essaye de placer ses A-330. Car E.T. est une compagnie « 100 % Boeing ». Elle avait déjà innové, en 1963, en introduisant sur le continent le B-720, une version allégée du Boeing 707. Sa flotte actuelle se compose de 21 avions : 14 Boeing, dont 4 B-737-700 flambant neufs court-courrier, 5 B-767-300 long-courrier, 5 B-757 moyen-courriers, auxquels s’ajoutent 5 Fokker F-50 à hélices pour les liaisons nationales et 2 Lockheed L-100 « cargo ». L’activité fret représente 12 % du chiffre d’affaires. La livraison d’un dernier B-737-700 et d’un B-767-300 achèvera, en juillet, son programme de renouvellement. E.T. possède tous ses aéronefs, hormis cinq appareils en leasing.
Outre la modernité de sa flotte, E.T. compte parmi ses atouts la formation de ses personnels. Elle dispose non seulement d’une école de pilotage, certifiée ICAO (International Civil Aviation Organization), ouverte à ses homologues africains et dotée d’un simulateur de vol sur Boeing 767 et 757, mais aussi d’une école de techniciens. En termes de sécurité, la compagnie a reçu l’agrément « catégorie 1 » de la Federal Aviation Agency (FAA) des États-Unis, privilège de cinq compagnies africaines seulement. Sa flotte est récente, avec une moyenne d’âge de un an pour les 737, de trois ans pour les 767 et de treize ans pour les 757. Son entretien est assuré par 750 techniciens. Ethiopian consacre 13 % de ses charges d’exploitation à la maintenance, contre 11 % en moyenne pour les autres compagnies.
Rançon du succès, Ethiopian pourrait se retrouver encerclée par Kenyan Airways et son partenaire KLM. Le groupe Air France-KLM, non content de sa position dominante sur le marché de l’Afrique de l’Ouest, a décidé de concurrencer la petite Ethiopian dès le mois d’avril en lançant deux vols par semaine Amsterdam/Addis-Abeba. Mais E.T. en a vu d’autres et attend ses rivaux de pied ferme.

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