Une enfance irakienne

Hassan Massoudy troque sa plume de calligraphe contre celle de l’écrivain pour évoquer sa nostalgie de la terre natale.

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 3 minutes.

Hassan Massoudy est né à Nadjaf, la Ville sainte qui abrite le tombeau de l’imam Ali. Le futur calligraphe y a ouvert les yeux en 1944. Les États-Unis étaient déjà en guerre, mais pas en Irak. Et la ville du Sud irakien ressemblait alors à une oasis calme et poussiéreuse, pétrie de ferveur religieuse et brûlée par le soleil. « Le désert semblait porter la ville comme la mer porte un navire. Mais ici les couleurs étaient ocre jaune, les maisons étaient de briques pâles, le sol était de sable, le ciel était jaune. Des vagues de lumière dorée déferlaient sur le désert pour le rendre de plus en plus sec et aride. »
Dans Si loin de l’Euphrate, Hassan Massoudy évoque son enfance et son adolescence jusqu’à son arrivée en France en 1969. La société traditionnelle dans laquelle il a grandi n’est plus. Tout comme « l’âme cosmopolite du peuple irakien », laminée en 1963 par l’instauration de la dictature.
C’est en 2003, à la veille de l’invasion de l’Irak par les États-Unis, que l’artiste décide de raconter son enfance irakienne. « Tout ce que j’ai refoulé depuis tant d’années remonte à la surface. C’est l’Irak de ma mémoire, de ma mère, que je n’ai pas revue depuis bientôt trente-cinq ans, des êtres humains que j’ai côtoyés, ceux que j’ai aimés, les millions de palmiers, la terre sèche et torride traversée par le Tigre et l’Euphrate », écrit-il.
Les cinq sens en éveil, il fait partager au lecteur le souvenir de la fumée parfumée du narguilé paternel, le goût des dattes, dont l’Irak compte une centaine de variétés. Les mille et une couleurs du souk aux tissus, découvert à 5 ans avec sa mère. La salle de classe donnant sur le marché aux chameaux et les séances de poésie déclamée, dont la tradition remonte au VIIe siècle. La vie au milieu de dix frères et soeurs, les nuits passées avec eux sur la terrasse que surplombe la noire et mystérieuse voûte céleste. Le semoum (« poison », en arabe), vent agressif et glacial qui, une fois par an, rompt la monotonie de la canicule.
Au gré de ces madeleines de Proust orientales se dessine la silhouette du futur artiste. « Je ne sais pas exactement quand j’ai vu pour la première fois une calligraphie. Je pense qu’elle était en moi depuis ma plus tendre enfance », explique Massoudy. Les yeux pleins encore des monumentales calligraphies qui décorent les murs de céramiques de la grande mosquée d’Ali…
Son don se révèle à l’école publique. Un professeur de dessin lui offre ses premières plumes métalliques. « Pour la première fois, j’ai connu le plaisir de faire courir sur le papier l’encre noire et fluide, tel un ruban qui tourne et retourne pour former enfin une calligraphie. Ce plaisir était pour moi très précieux. Je le cherchais et l’attendais depuis longtemps, sans le savoir. » À partir de cet instant, Hassan voit la vie en calligraphie. Le monde se transcrit en courbes, pleins et déliés… à l’image des ruelles de Nadjaf, volontairement étroites afin de conserver un peu de fraîcheur : « Les ruelles noires d’ombre recevaient les rayons de soleil découpés, dessinant sur le sol une écriture de lumière, comme de grandes lettres en kufi géométriques, lettres lumineuses, au graphisme net et contrasté, tant la lumière était intense. »
Après être devenu apprenti calligraphe à Bagdad à 17 ans, après y avoir tenu un atelier et tenté de vivre de son art, Hassan Massoudy quitte l’Irak à 25 ans, fuyant un régime répressif qui l’a mis en prison à plusieurs reprises. Malgré les « trente années passées en France, à découvrir ce monde neuf, l’Occident », l’Orient n’a jamais quitté l’artiste. Il y revient par ce livre de la plus belle manière.

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