[Tribune] L’Afrique n’investit pas assez dans son capital humain

Malgré un recul du taux de pauvreté en Afrique, passé de 54 % à 41 % entre 1990 et 2015, l’accroissement démographique de la région, de 2,6 % par an, efface les gains obtenus et a fait basculer 130 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté.

Une mère et sa fille de quelques jours pendant une consultation au Centre de Protection Maternelle et Infantile (PMI) de la Medina, à Dakar, au Sénégal, le 23 octobre 2013. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Une mère et sa fille de quelques jours pendant une consultation au Centre de Protection Maternelle et Infantile (PMI) de la Medina, à Dakar, au Sénégal, le 23 octobre 2013. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Hafez Ghanem
  • Hafez Ghanem

    Vice-président de la Banque mondiale pour la Région Afrique depuis le 1er juillet 2018.

Publié le 17 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

Aujourd’hui, plus de la moitié des 725 millions d’individus les plus démunis du monde vivent en Afrique. L’issue de la guerre contre la pauvreté dans le monde se jouera donc sur le continent, et c’est une bataille que nous devons gagner.

Pour cela, la planète entière doit se mobiliser. Car si l’augmentation du nombre de pauvres en Afrique constitue sans conteste un enjeu humanitaire et de développement majeur pour le continent, elle peut aussi avoir d’importantes conséquences sociales, politiques et économiques pour le reste du monde et, surtout, pour l’Europe.

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Je suis convaincu que le retard pris par l’Afrique sur le front de la pauvreté provient d’investissements insuffisants dans l’humain. Bien sûr, la croissance et la réduction de la pauvreté passent par le développement des infrastructures, la stabilité macroéconomique, l’efficacité des institutions et la bonne gouvernance. Mais si les Africains ne sont pas en bonne santé ni correctement instruits, le continent ne parviendra pas à attirer suffisamment d’investissements de qualité pour combler le déficit infrastructurel, et les réformes engagées pour améliorer les institutions et la gouvernance continueront de produire des résultats inférieurs aux attentes.

La Banque mondiale a récemment présenté un nouvel « indice du capital humain », qui s’attache à quantifier la productivité et le potentiel économique de la population d’un pays, à partir du taux de survie des enfants, de l’accès à l’éducation et de sa qualité, et des performances sur le plan de la santé. Des études ont montré une corrélation très étroite entre les valeurs de cet indice et les résultats en termes de croissance.

Ces conclusions n’ont rien de véritablement étonnant : sans une population en bonne santé, instruite et résiliente, un pays ne peut espérer soutenir la concurrence dans l’économie mondiale. Et cet impératif va s’accentuer dans les années qui viennent, avec l’impact des technologies sur la nature du travail et l’évolution rapide des compétences exigées, qui sont source d’opportunités autant que de risques.

Investir dans l’éducation ne se résume pas à construire plus d’écoles

Les résultats de l’indice du capital humain pour l’Afrique sont préoccupants : 25 des 30 pays situés en bas du classement se situent dans cette région du monde. Les systèmes éducatifs africains sont en crise, avec environ 50 millions d’enfants non scolarisés, des taux d’achèvement faibles et des acquis scolaires médiocres. La situation sanitaire n’est guère meilleure : près d’un tiers des enfants souffrent d’un retard de croissance, ce qui signifie qu’ils ne s’épanouiront pas pleinement sur le plan physique et intellectuel. Enfin, un trop grand nombre de pauvres ne bénéficient d’aucun programme de protection sociale ou d’aide par le travail et sont ainsi livrés à eux-mêmes en cas de crise.

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Ces constats dramatiques n’ont rien d’inéluctable. En se fixant l’objectif ambitieux d’assurer à long terme une instruction complète à sa population et de la maintenir en bonne santé — autrement dit, en visant le haut du classement de l’indice —, l’Afrique pourrait afficher un PIB par habitant 2,5 fois supérieur à son niveau actuel. Les investissements dans la santé, l’éducation et la protection sociale en Afrique offrent donc un rendement considérable et doivent être une priorité absolue.

Mais investir dans l’éducation ne se résume pas à construire plus d’écoles. Il faut déployer des programmes de développement de la petite enfance, renforcer les programmes scolaires pour les adapter à l’économie moderne, en y introduisant notamment l’acquisition de compétences non techniques comme la résolution de problèmes, et permettre aux enseignants d’être plus efficaces. Quant aux établissements scolaires, ils doivent être davantage responsabilisés sur leurs objectifs éducatifs et les acquis des élèves.

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En matière de santé, il s’agira d’améliorer les systèmes de santé publique et d’attacher une importance accrue à la santé maternelle et infantile, à la nutrition et à la santé de la reproduction. Lors d’un déplacement récent dans un hôpital de Bingerville, une banlieue pauvre d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, j’ai pu constater l’effet de réformes simples sur la mortalité maternelle et les retards de croissance. Une première mesure a conditionné l’octroi de ressources financières supplémentaires à des résultats spécifiques ; une autre a mis en place une structure transparente de supervision et de gestion tenant compte des intérêts des médecins, des usagers et des pouvoirs publics.

Il sera extrêmement compliqué d’améliorer l’indice du capital humain de l’Afrique sans investir davantage dans la santé génésique des femmes avec, à terme, une baisse des taux de fécondité. En moyenne, les femmes africaines mettent au monde 4,8 enfants, contre une moyenne mondiale de 2,4. Souvent, elles ont trop de grossesses à un âge trop jeune et à un rythme trop rapproché pour pouvoir rester en bonne santé. Une tendance qui non seulement met en danger les mères et les enfants mais qui obère aussi les services publics et le budget des États.

L’Afrique peut s’inspirer de l’expérience d’autres pays qui sont parvenus à faire baisser les taux de fécondité. La mobilisation des chefs communautaires et religieux, des initiatives visant à maintenir les filles à l’école et le recul des mariages précoces font partie des interventions les plus efficaces.

La jeunesse d’Afrique, son énergie, sa créativité et sa résilience sont l’un de ses meilleurs atouts. Le 21e siècle pourrait être celui de la renaissance africaine — à condition que les gouvernements et leurs partenaires au développement donnent la priorité aux investissements dans l’humain et, notamment, dans les jeunes.

Le meilleur moyen d’éradiquer la pauvreté en Afrique et de contribuer à la stabilité et la prospérité de notre planète est de doter le continent d’une jeunesse en bonne santé, instruite et parée pour affronter l’avenir.

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