Sharon en Tunisie, invité par… Bourguiba

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 3 minutes.

Shaker Al-Nabulsi est un écrivain et chercheur jordanien établi aux États-Unis. Il fait partie des intellectuels progressistes et néolibéraux arabes. Il est l’initiateur de la pétition adressée à l’ONU en vue d’établir un tribunal international pour poursuivre les terroristes ainsi que les personnes et institutions, et en premier lieu des dignitaires religieux, qui encouragent le terrorisme. Il publie ses articles sur les sites arabes www.elaph.com et www.metransparent.com, d’où sont tirés les extraits de l’article publié ici.

Pour les Arabes, est-ce plus terrifiant de recevoir la visite d’un chef de gouvernement israélien que de subir le refus d’un président d’avancer sur la voie des réformes politiques [allusion à l’Égyptien Hosni Moubarak] et de toucher à l’article de la Constitution lui permettant de se présenter à sa propre succession autant de fois qu’il le voudrait, sans limitation dans le temps ?
L’invitation en Tunisie adressée par le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali à Ariel Sharon, à l’occasion du Sommet mondial des technologies de l’information en novembre 2005, n’est pas étrangère à l’approche politique tunisienne, inaugurée par Habib Bourguiba. Ce dernier fut, en effet, le premier chef d’État de la région à appeler les Arabes à reconnaître la résolution 181, adoptée en 1947 par les Nations unies, relative à la partition [de la Palestine]. « Prenez ce qu’on vous donne et demandez davantage ! » leur a-t-il dit. Avant d’ajouter : « Ne pas reconnaître l’État d’Israël est une erreur. La politique du tout ou rien nous a conduits à la défaite. Seule la stratégie des étapes peut nous conduire au but. »
Bourguiba a prévenu les Arabes : « La paix réelle n’est pas celle que signent les vainqueurs et les vaincus. On pourrait, en effet, coexister avec les Juifs. Il viendra un jour l’on découvrira que toutes ces tragédies étaient insensées et qu’elles auraient pu être évitées. […] La haine conduit à la confusion entre antisionisme et antisémitisme et, par ricochet, à l’exaltation et au fanatisme qui auront des conséquences négatives le jour où nous devrons enfin négocier. »
C’est, en substance, le discours prononcé par Bourguiba au camp de réfugiés de Jéricho, le 3 mars 1965. […] Ces déclarations lui ont valu d’être accusé par les médias panarabes et nassériens de l’époque – de trahir la cause arabe et de servir les intérêts d’Israël. Elles lui ont apporté le respect de la communauté internationale, qui l’avait alors pressenti pour le prix Nobel de la paix. Ces mêmes accusations sont aujourd’hui adressées aux hommes politiques, penseurs et analystes arabes qui font preuve de rationalisme et de réalisme. L’invitation de Ben Ali à Sharon n’est pas la première initiative tunisienne du genre, elle ne sera pas la dernière.
[…] Le président Ben Ali n’a pas invité Sharon, c’est Bourguiba qui s’est réveillé dans sa tombe et a convié le Premier ministre israélien dans son pays, après avoir constaté l’état de décadence du monde arabe. Il ne l’a pas fait pour Sharon, destiné à disparaître bientôt de la scène politique israélienne, mais pour redonner vie au legs rationaliste et réaliste bourguibien, dont les Israéliens et les Palestiniens ont beaucoup bénéficié lors des discussions ayant conduit à l’accord d’Oslo en 1993. Lequel a d’ailleurs rapporté aux Palestiniens bien moins que les propositions de Bourguiba en 1965, comme l’a souligné l’écrivain tunisien Lotfi Hajji dans son ouvrage Bourguiba et l’islam : du leadership à l’imamat (Sud-Éditions, Tunis, 2004).
Pourquoi l’opposition tunisienne fait-elle tout ce tapage, agitant, pour l’occasion, des slogans puisés dans le marché aux puces de la politique arabe ? […] Ceux qui les entendent […] croient que la Tunisie est devenue un acteur important du conflit arabo-israélien, alors que le pays ne possède même pas les armes pour affronter une superpuissance régionale comme Israël. […]
À travers cette levée de boucliers, l’opposition tunisienne cherche, en réalité, à régler ses comptes avec le président Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, qu’elle accuse de vouloir y demeurer le plus longtemps possible. […] Elle sait pertinemment que cette invitation s’inscrit dans le cadre du processus de normalisation totale des relations arabo-israéliennes, mené actuellement par l’Autorité palestinienne et certains pays arabes, unique solution au problème palestinien à la lumière des évolutions actuelles sur la scène internationale et de l’échec retentissant de la seconde Intifada, laquelle a renvoyé la cause des Palestiniens une dizaine d’années en arrière. […]
(Traduit de l’arabe par Ridha Kéfi)

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires