Pascal Lamy

Candidat à la direction générale de l’OMC, l’ex-commissaire européen au Commerce se dit fondamentalement attaché au multilatéralisme.

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 8 minutes.

Pascal Lamy ne manque ni d’idées ni de convictions. Et a l’art et la manière d’expliquer, convaincre, fédérer… Son physique d’ascète, son regard bleu acéré et son crâne rasé servent un discours technique, argumenté, bien huilé. Intarissable sur les grandes questions économiques et sociales, l’ancien commissaire européen au Commerce est beaucoup plus circonspect quand il s’agit de parler de sa personne. L’homme est pragmatique, tient à être jugé sur ses résultats et exprime un certain mépris pour les politiques à l’ego surdimensionné qui « brassent du vent ».
Très attaché au multilatéralisme et ayant achevé son mandat à la Commission en novembre 2004, il brigue le poste de directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il a installé son QG boulevard des Capucines dans le 2e arrondissement de Paris, siège de l’association Notre Europe. Son emploi du temps est toujours aussi chargé : il préside ce laboratoire d’idées et de propositions sur la construction européenne, donne des cours à Sciences-Po, intervient dans de nombreux colloques et conférences… et mène tambour battant sa campagne auprès des membres de l’OMC. Cet adepte de la course à pied s’est récemment déplacé en Chine, en Inde, au Cambodge, en Thaïlande, au Sénégal, au Kenya et en Égypte pour gagner des soutiens. Et prévoit prochainement de voyager aux États-Unis et dans plusieurs autres pays africains.
Diplômés d’HEC (Hautes Études commerciales), de Sciences-Po et de l’ENA (École nationale d’administration) – les meilleures écoles françaises -, l’élève modèle a commencé sa carrière dans la fonction publique, à l’Inspection générale des finances et au Trésor. Avant de devenir le sherpa de Jacques Delors, dont il sera le conseiller au ministère de l’Économie et des Finances, puis le directeur de cabinet à la présidence de la Commission européenne. Un homme à qui il voue une profonde admiration, comme en témoignent les nombreuses photos prises en sa compagnie, qui décorent un bureau très sobre. En novembre 1994, Pascal Lamy rejoint l’équipe du Crédit Lyonnais chargée du redressement de la banque. Avant de reprendre le chemin de Bruxelles, en juillet 1999, pour assurer la fonction de commissaire européen au Commerce. Ses collègues et la presse l’ont affublé de divers surnoms tout au long de sa carrière : l’Exocet, le « moine-soldat », le « monsieur Commerce », l’homme aux mollets d’acier, le parachutiste. Des qualificatifs qui témoignent de sa ténacité et de son sens du devoir.
Pascal Lamy, 58 ans, est-il un bon candidat pour les pays du Sud ? Les actes qu’il a posés à la Commission et ses intentions attestent d’un réel intérêt pour les nations en développement bien que sa mission européenne l’ait amené à défendre avant tout les positions des États membres de la communauté. Chrétien pratiquant, démocrate, socialiste, Lamy se fait l’avocat d’un libéralisme à visage humain.

Jeune Afrique/L’intelligent : Pourquoi vous êtes-vous lancé dans la course à la direction générale de l’OMC ?
Pascal Lamy : J’ai pris ma décision à la fin de mon mandat européen pour éviter tout problème déontologique. J’avais plusieurs propositions intéressantes pour retourner travailler dans une entreprise. Mais je suis fondamentalement attaché au multilatéralisme pour faire progresser la gouvernance mondiale et encadrer les forces du marché. Je suis convaincu de la nécessité que des autorités politiques, publiques, démocratiques gardent le contrôle des processus économiques et sociaux, qui ne doivent pas être seulement influencés par les seuls ressorts du capitalisme.

la suite après cette publicité

J.A.I. : La France a présenté votre candidature alors que le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, vous a fortement critiqué par le passé. Est-ce un soutien franc et massif ?
P.L. : Oui. Mais je ne suis pas pour autant le candidat de l’Europe ou de la France contre celui d’un autre pays ou d’une autre région. Le directeur général de l’OMC n’a pas de rôle au niveau politique. Selon les statuts de l’organisation, ce sont les pays membres qui la conduisent. L’OMC, c’est un gros législatif, un gros judiciaire et un petit exécutif. Le directeur est un organisateur, un go between, qui doit faire fonctionner un secrétariat. Sa mission est donc de faciliter le dialogue plus que de l’orienter.

J.A.I. : Sur le papier, vous n’avez l’appui que des 25 pays européens et celui des États-Unis, alors que le candidat de Maurice, Jaya Krishna Cuttaree, se prévaut du soutien des pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) et de l’Union africaine (UA), soit plus de 70 pays membres de l’OMC. Croyez-vous réellement à vos chances ?
P.L. : Si j’aligne les soutiens déclarés par tous les candidats, j’arrive à plus de 250 membres à l’OMC, alors que l’organisation n’en compte que 148. Il est normal que certaines solidarités régionales s’expriment. Sont-elles suffisantes ? Les diplomates sont des personnes prudentes et cachent parfois leur jeu.

J.A.I. : Quelles sont les priorités actuelles de l’OMC ?
P.L. : L’OMC doit faire des progrès dans l’organisation des réunions, la transparence et l’appui du secrétariat à ses membres. Mais la priorité numéro un est de conclure le round de discussions de Doha sur le commerce et le développement. Nous sommes actuellement à mi-parcours. Après l’échec de Cancún en septembre 2001, nous avons accompli des progrès indéniables en juillet 2004, à Genève. Les négociateurs américains et européens avaient une grosse pression sur les épaules. Mais nous avons réussi à faire avancer les discussions en proposant de réduire les aides agricoles des pays riches. Nous sommes parvenus à établir un cadre général d’orientations qui devra être amélioré lors de la VIe Conférence ministérielle de l’OMC, qui se tiendra à Hong Kong, en décembre 2005. L’objectif est de parvenir à un accord d’ici à la fin 2006, qui portera sur une vingtaine de sujets et qui favorisera le développement des échanges mondiaux au bénéfice de tous.

J.A.I. : Si vous êtes désigné, ne serez-vous pas, en tant qu’ancien commissaire européen, le gardien des intérêts du Vieux Continent ?
P.L. : Tous les candidats ont défendu leur pays ou leur organisation régionale dans leurs fonctions passées. Je pense avoir démontré, lorsque j’officiais à Bruxelles, ma capacité à dépasser les intérêts strictement français, et même européens. J’ai obtenu la suppression des aides agricoles européennes à l’exportation dans le cadre de la réforme de la Politique agricole commune (PAC). Et nous découplons dorénavant les aides de la production, c’est-à-dire que les agriculteurs ne sont plus rétribués en fonction du volume produit. Cela réduit les distorsions sur le marché international. J’ai également beaucoup oeuvré pour le démantèlement des aides aux producteurs de coton qui pénalisent les pays africains et pour l’accès des pays du Sud aux médicaments génériques. De nombreux combats m’ont valu, à l’époque, d’être critiqué ouvertement à Paris ou par d’autres acteurs européens.

la suite après cette publicité

J.A.I. : Les pays pauvres continuent à dénoncer le montant excessif des subventions accordées par les nations riches qui entraînent une baisse des revenus de leurs agriculteurs. L’Europe et les États-Unis doivent-ils faire plus en matière de démantèlement de leurs aides ?
P.L. : Oui. L’Union européenne (UE) s’est engagée à faire plus dans le cadre de la réforme de la PAC en juillet 2003. Les États-Unis ont des efforts à faire, particulièrement pour réduire leurs subventions à l’exportation cotonnière. Les pays développés doivent continuer dans cette voie.

J.A.I. : Beaucoup d’États africains craignent qu’en signant les accords de Doha ils ne bénéficient plus d’une marge de manoeuvre suffisante pour protéger leurs économies en abaissant leurs barrières tarifaires…
P.L. : Les règles de l’OMC leur permettent de protéger leurs productions névralgiques en jouant sur le niveau de taxation.

la suite après cette publicité

J.A.I. : Défendrez-vous suffisamment leurs intérêts à l’OMC ?
P.L. : Je me suis souvent battu dans les négociations internationales, et même au niveau européen, pour les pays du Sud. Outre la réduction des aides agricoles, j’ai réussi à faire passer la mise en place de l’initiative « Tout sauf les armes »*, qui permet aux nations les plus pauvres d’accéder librement, sans droits de douane ni taxes, au marché européen.

J.A.I. : Mais le bilan de cette initiative est plutôt mitigé…
P.L. : Les exportations des pays pauvres vers l’UE ont progressé. Les statistiques l’attestent. Mais il est vrai qu’ils pourraient en profiter plus largement. Encore faut-il que ces pays aient la capacité d’exporter et ne buttent pas sur des obstacles non tarifaires. Les pays développés doivent les aider à professionnaliser leurs pratiques et à se mettre aux normes internationales.

J.A.I. : Les ONG soutiennent souvent que les normes non tarifaires, comme les exigences sanitaires et phytosanitaires, sont des barrières commerciales déguisées…
P.L. : Il s’agit de mesures de santé publique pour protéger les consommateurs. L’OMC est là pour vérifier qu’il ne s’agit pas de pratiques protectionnistes discriminatoires.

J.A.I. : Mais les États africains n’ont pas les équipes techniques suffisantes ni les mains libres diplomatiquement pour soulever ces questions devant l’organisation…
P.L. : Ils ont la possibilité d’être aidés par le Centre du commerce international (CCI), qui est l’agence de coopération technique de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) et de l’OMC. Je suis, par ailleurs, partisan de renforcer la capacité d’expertise des pays du Sud dans le cadre des moyens de l’OMC. L’UE, les États-Unis et les autres partenaires bilatéraux doivent également apporter leur contribution. L’Europe a d’ailleurs débloqué des fonds importants pour favoriser la mise aux standards internationaux des entreprises africaines, par exemple pour les exportations de fleurs kényanes ou la production de poulets congelés en Égypte.

J.A.I. : Les règles de l’OMC ne protègent pas suffisamment les petits États insulaires face à la libéralisation du commerce mondial. Comment un État comme Maurice peut-il lutter à armes égales avec la Chine ?
P.L. : Je n’ai jamais changé d’avis sur cette question, et vous pourrez vérifier mes déclarations. La globalisation des activités commerciales nécessite de maîtriser les économies d’échelle. Les petits États insulaires ont un problème intrinsèque pour y parvenir du fait de leur enclavement et de leur faiblesse de production. Quelles conséquences en tirer ? Il faut que ces pays bénéficient de dérogations et d’une certaine flexibilité pour appliquer les règles commerciales internationales.

J.A.I. : Faut-il leur donner un statut spécifique ?
P.L. : Je pense que non. Il y a beaucoup d’autres pays, comme les petits États enclavés – Belize par exemple -, qui pourraient revendiquer également un statut spécifique, ce qui ne ferait que compliquer les choses. Nous devons pousser la mise en oeuvre de « souplesses » pour protéger les économies les plus vulnérables. Il existe également d’autres dispositions dans la boîte à outils de l’OMC pour prendre en compte les intérêts spécifiques de certains pays exposés.

J.A.I. : Que ferez-vous si vous ne devenez pas directeur général de l’OMC ?
P.L. : Je n’y ai pas encore réfléchi, mais je ne me fais pas de souci. Ce ne sont pas les propositions qui manquent.

* Initiative adoptée en février 2001, étendant le libre-accès au marché communautaire, en franchise de droits et de quotas, à tous les produits en provenance des Pays les moins avancés (PMA).

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires