Les raisons de la colère

Mauvaise campagne agricole, croissance en berne, flambée des prix des denrées de consommation courante Le cocktail tourne à l’épreuve de force entre pouvoirs publics et populations.

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 6 minutes.

Quels que soient les sujets à l’ordre du jour de la IXe réunion ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) qui s’ouvre à Niamey le 30 mars, les discussions ne pourront faire l’impasse sur les conflits sociaux qui secouent l’Afrique de l’Ouest. Mauvaise campagne agricole, hausse des prix du brut, croissance en berne… Le malaise est profond et touche aussi bien le Mali, le Sénégal que le Niger où il a littéralement jeté les populations dans la rue.
À Niamey, les manifestations ont pris une tournure radicale. Le 15 mars, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale pour protester contre l’application de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur plusieurs produits de base, qui étaient jusqu’alors exonérés d’impôts. Les manifestants ont scandé des slogans hostiles au gouvernement et aux députés, accusés d’avoir « trahi » leurs promesses électorales, moins de trois mois après les élections législatives et la présidentielle qui a reconduit le président Mamadou Tandja au pouvoir pour un deuxième mandat. Forte de ce succès, la « Coalition contre la vie chère », créée en janvier par les principales associations de consommateurs et les syndicats nigériens, a décidé de poursuivre le mouvement en appelant à une journée « Ville morte » dans la capitale le 22 mars. Et le mot d’ordre a été largement suivi. Marchés déserts, devantures closes, administration aux abonnés absents, avenues désertes… Niamey, et, dans une moindre mesure, Zinder, ont été paralysés.
Les manifestants et les consommateurs demandent l’abrogation pure et simple de la loi de finances rectificative, adoptée le 4 janvier 2005, qui étend l’application de TVA à toute une gamme de produits : lait, thé, sucre, farine, café et huiles alimentaires. Ils dénoncent aussi l’abaissement des tranches de déclenchement de la TVA sur l’eau et l’électricité, des mesures qui ont fait passer le prix du mètre cube d’eau de 336 F CFA à 403 F CFA. « Ce n’est plus tenable. En juin 2004, le gouvernement avait déjà relevé la TVA sur les céréales. La population est prise à la gorge. Le sac de riz de 50 kg est passé de 12 500 F CFA à 15 000 F CFA, et le pain [de 150 F CFA à 180 F CFA] est hors de prix », indique Nouhou Arzika (voir encadré ci-dessous), le président de la Coalition contre la vie chère, également chef de file de l’Organisation des consommateurs du Niger (Orconi).
Réponse du Premier ministre, Hama Amadou, de passage à Paris du 20 au 25 mars pour la préparation des 5e jeux de la Francophonie que son pays accueille en décembre prochain : « La flambée des prix n’a rien à voir avec l’augmentation de la TVA. Le riz est soumis à la TVA depuis juin 2004, et les productions locales – comme le mil et le sorgho – ne sont assujetties à aucune taxe. L’augmentation de la TVA à 19 % ne concerne qu’un certain nombre de produits importés, essentiellement consommés par les fonctionnaires et les citadins. Le problème actuel tient au comportement de certains commerçants qui, alors que la hausse n’est pas encore effective, ont déjà augmenté leurs prix ! » « Faux », répond Boubacar Bagourne, secrétaire général des commerçants, qui indique que les autorités appliquent déjà les nouvelles taxes.
Il n’empêche que ces nouvelles dispositions interviennent au plus mauvais moment : la campagne agricole 2004-2005 a été désastreuse. La sécheresse et les attaques de criquets ont gravement endommagé les récoltes. Si bien que le pays devra importer plus de 220 000 tonnes de céréales pour subvenir aux besoins des populations en 2005. « La situation est inquiétante. On assiste déjà à l’exode d’une partie de la population rurale, particulièrement de la région de Maradi, dans l’est du pays, qui vient à Niamey chercher de quoi se nourrir », indique un bailleur de fonds. En ces périodes difficiles, tout le monde attend que l’État gère au mieux les maigres ressources budgétaires et fasse la chasse aux gabegies. D’autant que les Nigériens – qui sont parmi les plus pauvres au monde (selon l’indice de développement humain des Nations unies, le pays est 176e sur 177) – observent que si le prix de leur panier de provisions a presque doublé, le train de vie de l’État ne cesse d’augmenter.
« Le budget de fonctionnement de la primature est passé de 2,7 milliards de F CFA en 1994 à 11 milliards en 2004, celui de l’Assemblée nationale de 1,24 milliard à 7 milliards pendant la même période. Tandis que les ressources consacrées à l’enseignement supérieur, qui étaient de 4 milliards de F CFA pour 6 600 étudiants, ne sont plus que 2 milliards pour 11 600 étudiants ! On nous dit aujourd’hui que les nouvelles recettes fiscales iront au fonctionnement de la Haute Cour de justice, du Conseil économique et social et de la Médiature [les deux dernières ayant été récemment créées, NDLR], mais le Niger a d’autres priorités. Nous n’avons pas le luxe de nous payer toutes ces institutions ! » s’indigne Arzika.
Pour justifier ces nouvelles mesures, le gouvernement insiste, lui, sur la nécessité de relancer la production intérieure. « Nous sommes un pays d’élevage, nous avons le plus gros cheptel de la région, explique Hama Amadou. Or nous importons du lait. Est-ce normal ? De même, faut-il continuer à importer du riz qui est vendu sur nos marchés à des prix défiant toute concurrence – et par là même déséquilibrer notre balance des paiements – ou encourager la production locale ? Nous ne pouvons continuellement dépendre de l’étranger pour notre alimentation. »
Autre argument clé : l’obligation de se conformer aux critères de convergence de l’Uemoa, c’est-à-dire à l’harmonisation des politiques économiques de la sous-région, notamment à travers l’augmentation des recettes fiscales. Mais s’il ne fait aucun doute que les pays de l’Uemoa doivent impérativement augmenter leurs ressources propres afin de garantir leurs dépenses, « la fixation du niveau de la TVA, ainsi que le choix des produits qui y sont soumis, relèvent de la souveraineté de chaque pays, précise Frédéric Korsaga, commissaire chargé des politiques économiques de l’organisation. L’Uemoa demande simplement de respecter une fourchette allant de 15 % à 20 % » (voir encadré ci-dessous et Indicateurs page 78). Ainsi, au Mali, au Sénégal, au Burkina, au Bénin et au Togo, la TVA est à 18 %. La Côte d’Ivoire applique un taux de 20 %. Au Niger, avant l’adoption de la nouvelle loi de finances, la TVA était de 17 %. Elle a été augmentée à 19 %, notamment sur des produits jusque-là exonérés.
Faut-il y voir un excès de zèle ? Le budget 2005 du Niger est déficitaire. Pour le réduire, le pays n’a d’autre choix que d’augmenter la fiscalité. De quoi conforter les dires du Premier ministre lorsqu’il explique que, « pour équilibrer le budget de l’État, il faut que les recettes intérieures augmentent pour se substituer, peu à peu, aux ressources extérieures, essentiellement allouées par les bailleurs de fonds, car, chaque année, ces aides diminuent. Sinon l’État fera faillite et le pays avec », prévient-il. La nouvelle imposition devrait générer 23 milliards de F CFA, selon le gouvernement. Certes, mais pourquoi ne pas avoir consulté, ou du moins prévenu, au préalable les consommateurs et les commerçants ? Pourquoi ne pas avoir pris dès le départ des mesures étouffant chez les commerçants toutes velléités de jouer à la valse des étiquettes ? « Nous ne sommes pas contre l’accroissement de la fiscalisation de notre économie, insiste Nouhou Arzika. Mais, dans une démocratie, l’imposition de nouvelles taxes doit être discutée avec les opérateurs économiques et sociaux. »
Les pouvoirs publics n’ont pas jugé cela nécessaire. Et malgré la grogne qui enfle, « il n’est pas question de revenir en arrière », indique le Premier ministre. Seule concession : l’ouverture d’un dialogue avec les consommateurs et les commerçants. Non pas pour abolir les nouvelles dispositions, mais pour réfléchir aux mesures d’accompagnement qui s’imposent. Et, surtout, pour « assainir les moeurs des vendeurs » en mettant fin à leurs pratiques spéculatives.
Cela suffira-t-il à apaiser la grogne et à aider les Nigériens à traverser une période particulièrement difficile ? Le président nigérien Mamadou Tandja, qui cumule les mandats de président en exercice de l’Uemoa et, depuis peu, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), aura à coeur de trouver une solution au conflit. Et le plus tôt sera le mieux. Le 30 mars, il doit accueillir ses pairs à Niamey. Et ne souhaite probablement pas que la rencontre se déroule sur fond de crise sociale et fasse tache d’huile. Ce n’est pas gagné d’avance. La Coalition peut compter sur le soutien de l’Organisation internationale des consommateurs, basée à Londres, et sur celui d’associations et de syndicats de la sous-région. Qui aimeraient d’ailleurs s’inspirer de son mouvement.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires