L’affaire Kojo Annan (suite)

Le fils du secrétaire général a reçu 300 000 dollars d’une société suisse chargée par contrat de superviser le programme « Pétrole contre nourriture » en Irak. En échange de quoi ?

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 6 minutes.

Kofi Annan a rendu public le 20 mars un ambitieux projet de réforme des Nations unies. Par ailleurs, la commission indépendante qui, sous la présidence de Paul Volcker, enquête sur les irrégularités de la gestion onusienne du programme « Pétrole contre nourriture » en Irak rendra son rapport dans les prochains jours. Dans ce contexte, les révélations publiées dans l’édition du 23 mars du Financial Times, le quotidien britannique des affaires, tombent on ne peut plus mal pour le secrétaire général. Elles apportent en effet de nouvelles et troublantes précisions sur le rôle joué dans cette dernière affaire par Kojo Annan, son fils. Nous publions ici une traduction intégrale de cet article.

A la fin de 1997, après avoir été mêlée à une affaire de pots-de-vin au Pakistan et s’être vu refuser un important contrat au Nigeria, la Cotecna, une société de Genève spécialisée dans l’import-export, était fort impatiente de repartir du bon pied. Elle comptait pour cela sur l’entregent de Kojo Annan, qui travaillait pour elle depuis 1995, en partie à Lagos.
Kofi, le père de ce dernier, venait d’être nommé secrétaire général des Nations unies. L’organisation déboursait à l’époque des dizaines de millions de dollars dans le cadre du programme « Pétrole contre nourriture », qui autorisait l’Irak à acheter des vivres et des médicaments avec l’argent retiré de la vente de pétrole brut. « La Cotecna était dans une très mauvaise passe, raconte l’un des enquêteurs qui travaillent sur les accusations de corruption portées contre l’ONU. Un contrat avec l’organisation aurait été pour elle une excellente occasion de se renflouer. »
En décembre 1998, alors que Kojo est passé du statut de salarié à celui de consultant, la Cotecna obtient un contrat pour la supervision des échanges « Pétrole contre nourriture » de l’Irak. Six ans durant, le contrat rapportera à la firme genevoise environ 10 millions de dollars (7,6 millions d’euros) par an. Soit à peu près 11 % de ses rentrées.
Ces derniers mois, les enquêteurs du Congrès américain et de la commission indépendante de l’ONU présidée par Paul Volcker ont tenté d’établir si la Cotecna s’est oui ou non servie de Kojo et de ses liens familiaux pour décrocher le contrat. L’entreprise, relayée par Kofi Annan, jure qu’aucune irrégularité n’a été commise et rappelle qu’en 1992, date à laquelle Kojo n’était pas son salarié, elle avait fait une première offre pour un contrat avec l’ONU, et qu’elle a connu un échec en 1996, alors qu’il l’était.
Une enquête menée par Il Sole 24 Ore* et le Financial Times apporte de nouvelles précisions sur les liens financiers unissant la Cotecna à Kojo Annan. Elle révèle également que, dans les déclarations qu’il a faites, l’an dernier, concernant l’argent touché par son fils, le secrétaire général a omis d’indiquer qu’il avait rencontré les dirigeants de la Cotecna.
L’une de ces rencontres a eu lieu en janvier 1997, à l’occasion du Forum économique de Davos : Elie-Georges Massey, le président de la Cotecna, et Robert Massey, son directeur général, ont pris le thé dans un hôtel de la station suisse avec Kofi Annan et son épouse. Le principal sujet de conversation a été le Ghana, le pays natal de Kofi Annan, avec lequel la société était en affaires. « Ce fut une rencontre très brève, plutôt mondaine, explique-t-on à la Cotecna. L’idée était de garder le contact avec quelqu’un qu’Elie-Georges Massey connaissait déjà. »
En septembre 1998, trois mois avant la signature du contrat « Pétrole contre nourriture » avec la Cotecna, Kofi Annan a reçu Elie-Georges Massey, à New York. Ce dernier souhaitait proposer à l’ONU de sponsoriser une loterie internationale. « Nous voulions savoir si l’organisation accepterait de prêter son nom et son logo », indique l’aîné des frères Massey, qui précise qu’il a obtenu le rendez-vous en téléphonant simplement à l’assistant personnel du secrétaire général.
Un représentant de ce dernier confirme la réalité de ces deux rencontres. La première n’a été, selon lui, qu’un bref échange mondain, et la seconde une « visite de courtoisie faite par une relation ». Il précise que « le secrétaire général n’a rien caché à la commission Volcker » et qu’il est « persuadé que celle-ci confirmera le caractère épisodique de ces contacts et le fait qu’ils n’avaient rien à voir avec le contrat Cotecna ».
Le point central auquel s’attachent les enquêteurs de la commission Volcker et le Sénat américain concerne les relations entre Kojo et la Cotecna. À Genève, on indique que, de janvier 1999 à février 2004, la société a été liée à Kojo par un contrat d’« exclusivité » aux termes duquel il percevait des honoraires de 2 500 dollars par mois, plus une assurance santé. Le montant total de sa rémunération avoisinerait donc 175 000 dollars. « Il était important que Kojo ne travaille pas pour la concurrence, explique-t-on, et 2 500 dollars par mois ne constituait pas une somme énorme compte-tenu de l’importance des enjeux. »
Mais quand on additionne l’argent qui s’est promené entre les différents comptes et entités reliés à la Cotecna ou à Kojo, on arrive à un total de plus de 300 000 dollars. « Tout s’est passé comme si l’entreprise l’avait effectivement gardé comme consultant », dit un enquêteur.
Selon les législations américaine et suisse, un accord d’exclusivité doit être limité dans le temps et l’espace, et réservé à un certain type d’activité. L’article 340a du code des affaires suisse précise qu’il ne doit pas excéder trois ans, sauf dans certaines circonstances. Or le contrat d’exclusivité de Kojo n’avait pas de limites géographiques et il a duré plus de cinq ans.
Jusqu’au mois d’août 2000, les frais de Kojo étaient remboursés, y compris les paiements effectués en 1999 par carte American Express (pour un montant total à cinq chiffres). Selon la Cotecna, il s’agirait du « remboursement différé de dépenses de l’année 1998 », quand Kojo était consultant de la société. Mais les documents en possession des enquêteurs portent bel et bien sur des dépenses faites en octobre, novembre et décembre 1999. Et pas en 1998.
En outre, il ressort des documents que la Cotecna et Kojo ont fournis aux enquêteurs que le mode de paiement a changé à plusieurs reprises. Les trois premiers versements ont été réalisés à partir du compte UBS de la Cotecna au bénéfice du compte Lloyds TBS de Kojo, à Londres. En janvier 1999, peu après que le quotidien britannique Sunday Telegraph se fut étonné que l’ONU ait pu passer un contrat avec une société qui employait le fils du secrétaire général, Kojo a reçu de l’argent d’un autre établissement nommé Meteor, propriété des Massey. L’explication de la Cotecna est que « Kojo préférait recevoir sa mensualité d’une société qui n’était pas en rapport direct avec nous » et que « nous nous sommes arrangés pour lui être agréables ». Elle n’exclut pas l’existence d’un « lien » entre l’article du Sunday Telegraph et cette manière de procéder.
En janvier 2000, Kojo a touché 8 925,45 dollars de Cofinter, une société suisse également propriété des Massey. Celle-là même qu’ils avaient proposé d’utiliser pour la loterie internationale. Ce virement est considéré par la Cotecna comme une « bavure ».
Le mois suivant, au lieu d’être envoyé à Kojo, l’argent a été transféré à Westexim, une société basée à Londres appartenant à… on ne sait trop qui. Mais on a retrouvé dans ses archives un ordre de virement de 4 000 dollars en date du 19 avril 2000. Il est libellé, en français, à l’ordre d’« Ama Annan ». La soeur aînée de Kojo se prénomme Anna.
Le Financial Times et Il Sole 24 Ore n’ont pas la preuve que l’argent a été touché par « Ama » ni que l’expéditeur ait été la Cotecna plutôt que Kojo. La société affirme qu’« elle n’a absolument jamais versé le moindre centime » à Ama Annan, qui vit à Lagos et s’est refusée à tout commentaire, ou à aucun autre membre de la famille.
Le Financial Times et Il Sole 24 Ore ont interrogé l’avocat de Kojo Annan, à Londres, mais celui-ci a fait savoir qu’il « ne souhaite pas donner suite » à notre démarche.

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* Quotidien italien, coauteur de l’enquête.

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