La diagonale du fou

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 2 minutes.

Ce coup-là lui a pris huit mois, mais il l’a réussi, comme toutes les parties, ou presque, qu’il a disputées sur l’échiquier depuis que sa soeur lui a offert son premier jeu, pour ses 6 ans. Désormais protégé par la nationalité islandaise que lui confère une « loi spéciale » votée au Parlement de son nouveau pays d’adoption, l’ancien champion du monde est sorti, le 24 mars, la casquette haute, de sa cellule de la prison de Tokyo, où il se morfondait après avoir failli être extradé vers les États-Unis pour une sombre histoire de passeport non valide. Âgé de 62 ans, le grand-maître a déclaré qu’il allait désormais se reposer à Reykjavik. Des retrouvailles avec la capitale de cette île volcanique et glacée, voisine du Groenland, qui fut jadis le théâtre des exploits de sa période de splendeur. C’est là qu’en 1972, dans ce qu’on a qualifié de « match du siècle », le prodige venu de Manhattan avait incarné la victoire du monde libre sur le communisme en mettant échecs et mat Boris Spassky, le meilleur représentant de l’école soviétique.

Pour autant, ce génial porte-drapeau de l’Amérique triomphante, fils d’un physicien d’origine allemande et d’une infirmière suisse d’origine juive, n’a jamais su marcher au pas : sa paranoïa et ses débordements dans la vie sont aussi célèbres que sa stratégie au jeu. Fischer, qui s’était fait retirer les plombages des dents – non sans qu’on lui en ait arraché quelques-unes, au passage – de peur qu’on y ait dissimulé un dispositif électronique diminuant ses capacités mentales, a multiplié, tout au long de sa carrière, les caprices, les bagarres, les invectives, les infractions. Ainsi, il a violé en 1992 l’embargo contre l’ex-Yougoslavie en y disputant contre Spassky un match-revanche doté de plus de 3 millions de dollars, après avoir craché sur la lettre du gouvernement américain exigeant de lui qu’il renonce à cette rencontre. Mais c’est l’attentat du 11 Septembre à New York qui lui a permis de donner, sur une radio des Philippines, le meilleur d’un style où le « politiquement incorrect » le dispute au désordre psychiatrique : « C’est une formidable nouvelle, il est temps que ces putains de juifs se fassent casser la tête […]. Je dis : mort aux États-Unis ! Qu’ils aillent se faire foutre ! » Comme, en prime, Fischer, dont le délire antisémite n’a jamais cessé, a traité, depuis, George W. Bush de « criminel » et le Japon de « pays, très, très, corrompu », on imagine que son séjour annoncé sur les rives des fjords islandais ne fait pas grand plaisir à ceux qui préféreraient le savoir enfermé dans un pénitencier. La nouvelle fiancée de Bobby, la présidente de la Fédération japonaise d’échecs, saura-t-elle le débarrasser de cette « case en trop » qui brouille l’échiquier de ses fantasmes ?

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