Libye : « L’État islamique a changé de zone et de stratégie, mais il est toujours présent »

Forte de 400 à 700 éléments, l’organisation État islamique est en pleine restructuration en Libye. De Syrte, les jihadistes sont descendus plus au sud, délaissant leur stratégie d’expansion territoriale au profit de méthodes de guérilla.

En Libye, la ville de Syrte en ruines, alors que les combattants de l’État islamique y sont encerclés par les forces anti-jihadistes en juin 2016. © Manu Brabo/AP/SIPA

En Libye, la ville de Syrte en ruines, alors que les combattants de l’État islamique y sont encerclés par les forces anti-jihadistes en juin 2016. © Manu Brabo/AP/SIPA

Arianna Poletti

Publié le 19 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

L’armée nationale libyenne a annoncé lundi 8 octobre l’arrestation d’Hisham Ashmawy dans la ville de Derna (près de Tobrouk, à 1 300 kilomètres à l’est de la capitale Tripoli). Le leader égyptien d’Al-Mourabitoune, groupe djihadiste lié à Al-Qaïda et proche de l’État islamique (EI) en Libye, a révélé certaines informations sur l’état actuel de l’organisation. Si ses dires sont difficilement vérifiables, une chose est sûre : deux ans après la chute de son sanctuaire de Syrte, le groupe jihadiste profite du chaos libyen pour se réorganiser.

Arturo Varvelli, à la tête du Centre pour l’Afrique et le Proche-Orient de l’Institut italien d’études politiques internationales (ISPI) et spécialiste de la Libye, analyse la nouvelle stratégie de Daesh dans ce pays et évalue sa force de frappe retrouvée.

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Jeune Afrique : Ghassan Salamé, envoyé spécial de l’ONU en Libye, déclarait début septembre devant le Conseil de sécurité des Nations unies que « la présence et les opérations de l’EI ne font que s’étendre en Libye ». Que reste-t-il de l’organisation jihadiste ?

Arturo Varvelli : L’État islamique en Libye a perdu le contrôle territorial qu’il avait, mais il n’a pas disparu. Il s’est installé en 2014 à Derna, où plusieurs militants venus d’Irak ont rejoint certains groupes sympathisants de Daesh déjà présents dans le pays. En 2015, à cause de querelles internes entre jihadistes, le Gouvernement d’union nationale (GNA) a réussi à reprendre le contrôle de la ville. Le deuxième fief de l’EI était Syrte, où l’organisation occupait aussi une vaste zone de 50 kilomètres carrés.

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À la suite des bombardements américains de 2016, les combattants se sont réfugiés vers le sud. La ville n’a pas été encerclée, ce qui a permis aux jihadistes de s’échapper à environ 80 kilomètres de Syrte. Après d’autres attaques de la part du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom), ils ont encore reculé vers le Sud du pays. Daesh est toujours présent en Libye. Il a seulement changé de zone et de stratégie.

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Que représente aujourd’hui la capacité de nuisance du groupe en Libye ?

Daesh est entré dans une nouvelle phase, en passant de l’expansion territoriale à une stratégie de guérilla. Au cours de la dernière année, l’EI est parvenu à frapper aussi bien les forces de Khalifa Haftar que celles du GNA de Fayez al-Sarraj. Le groupe a essayé de toucher des lieux symboliques, comme le siège de la Compagnie nationale libyenne de pétrole (NOC),  visé le 11 septembre par un attentat.

L’EI est en train de se réorganiser, avec une capacité de frapper une grande partie du pays, y compris Tripoli

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Les attaques ont augmenté par rapport à 2017. L’EI est en train de se réorganiser, avec une capacité de frapper une grande partie du pays, y compris des villes comme Tripoli. Il faut aussi souligner qu’après la chute de Syrte, beaucoup de membres ont rejoint d’autres organisations telles qu’Al-Mourabitoune ou Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les groupes jihadistes du sud du pays en sont sortis renforcés.

Que sont devenus les membres de Daesh en Libye ?

Selon un récent rapport de l’Africom, il y aurait actuellement entre 400 et 700 éléments de l’EI actuellement présents en Libye, majoritairement dans les zones désertiques du sud du pays. Avant la chute de Syrte, les jihadistes étaient quelques milliers. 80% des combattants venaient de l’étranger, dont plus que la moitié de Tunisie, mais aussi d’Égypte, de Syrie ou d’Irak. Aujourd’hui, une grande partie des combattants sont des Tunisiens et des Égyptiens qui n’ont pas réussi à rentrer au pays.

L’État Islamique profite-t-il de la fracture entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque ?

Le jihadisme de matrice islamiste naît et se répand dans un contexte d’États défaillants comme la Libye. Tant qu’il n’y aura pas le monopole de la force dans le pays, l’EI pourra prospérer.

Tant que l’État libyen n’aura pas le monopole de la force, l’EI pourra prospérer

C’est la raison pour laquelle la stratégie de Daesh en Libye n’est plus d’occuper une ville ou une zone, mais de déstabiliser le pays en frappant des endroits stratégiques, afin de nuire à l’économie et aux institutions qui pourraient garantir un minimum de stabilité.

La stabilisation du pays est-elle un préalable indispensable à la lutte contre Daesh ?

Bien sûr, car les frappes de l’Africom ne représentent pas, à mon avis, une solution. Au contraire, le risque est élevé que la Libye devienne une deuxième Somalie. Sans une aide aux organisations locales qui pourraient effectivement contrer l’EI, des frappes ciblées contre les leaders jihadistes n’ont pas d’effet à long terme.

Ce faisant, on ne s’attaque pas aux racines profondes de l’État Islamique libyen, c’est-à-dire l’absence du monopole de la force et la marginalisation de certaines zones du pays, comme celle de Syrte. On ne fait que lutter contre les symptômes.

Je n’ai pas non plus confiance dans la tenue des élections prévues pour le mois de décembre 2018 : ce scrutin, organisé dans la précipitation, sous la pression d’intérêts étrangers, pourrait davantage déstabiliser le pays, comme ça a été le cas en 2014. Un processus graduel, partagé par les acteurs nationaux et internationaux, s’avère nécessaire.

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