Tunisie – Mohsen Hassen : « Je ne peux plus travailler dans un environnement politique pourri »
Mohsen Hassen, ancien ministre du Commerce et membre fondateur de l’UPL, a annoncé en début de semaine son départ de Nidaa Tounes. S’il dénonce les dérives des partis et appelle au renouvellement de la classe politique, il estime que Youssef Chahed peut incarner une nouvelle dynamique.
Mohsen Hassen a d’abord milité au sein de l’Union patriotique libre (UPL) de Slim Riahi, dont il était porte-parole en 2011. Élu député de Tunis 1 en 2014, il a pris ses distances avec le parti quelques mois après son départ du gouvernement de Habib Essid, dans lequel il a été ministre du Commerce de janvier à août 2016. C’est à cette période qu’il a rejoint Nidaa Tounes, qu’il vient à son tour de quitter. Il travaille aujourd’hui dans le secteur privé tunisien, tout en étant consultant international en économie et finance pour des ONG.
Jeune Afrique : Qu’est-ce qui a motivé votre départ de Nidaa Tounes ?
Mohsen Hassen : Je ne peux plus continuer à travailler dans un environnement politique pourri. Beji Caïd Essebsi a mis en place un projet politique très intéressant : il a su faire l’équilibre avec Ennahdha et éviter ainsi les dérapages, mais malheureusement aujourd’hui je ne reconnais plus la majorité des partis en place.
J’ai un grand respect pour les cadres et militants de Nidaa, mais je ne me retrouve plus non plus dans leurs choix politiques. La Tunisie a besoin d’une classe politique plus dynamique et crédible, davantage portée sur les dossiers économiques et sociaux. Or, c’est aujourd’hui la scène politique qui entrave la sortie de la crise économique et sociale que connaît le pays.
Selon vous, en quoi la classe politique est-elle responsable des difficultés économiques ?
Depuis 2011, le problème majeur du pays est sa stabilité politique. L’ignorance et les mauvais choix des partis le déstabilisent. Tout cela rend l’environnement des affaires morose et retarde les grandes réformes économiques concernant les entreprises publiques, les caisses de sécurité sociale, la compensation, l’administration publique…
Je demeure convaincu que les difficultés économiques de la Tunisie sont conjoncturelles
Je demeure convaincu que les difficultés économiques de la Tunisie sont conjoncturelles, et qu’on pourrait remédier au problème des finances publiques si on arrivait à trouver de bons compromis au niveau politique. Je pense que nos fondamentaux économiques sont encore solides, et qu’on pourra s’en sortir si l’environnement sécuritaire et politique s’améliorait. Il faut que notre classe politique ait une vision claire et clairvoyante. C’est ma conviction pour sortir de la crise.
Les écueils de la classe politique sont pointés du doigt depuis longtemps, et les départs successifs d’autres membres de Nidaa attestent de la crise au sein du parti. Pourquoi annoncer votre départ maintenant ?
Cela fait depuis le mois de mai que je réfléchissais à quitter Nidaa. J’étais le représentant du parti en charge des négociations économiques du pacte de Carthage II. Avec d’autres formations et organisations présentes, on s’est mis d’accord sur 63 points pour sortir de la crise économique et sociale. Mais un 64e point sur le maintien ou non du gouvernement a été parachuté dans cet accord.
Je n’arrive pas à comprendre comment on a pu vouloir impliquer des experts dans cette mascarade. Ce n’est pas notre rôle. J’étais contre cette déstabilisation, qui a fait traîner le pays depuis mai dernier. On est en stand-by à cause de l’arrogance de certains politiciens. On est au chômage technique, en panne, à cause des mauvais choix des responsables politiques qui négligent les priorités.
Certains responsables de l’UPL, ainsi que Hafedh Caïd Essebsi, vous reprochent d’avoir quitté Nidaa car vous n’auriez pas obtenu le poste que vous désiriez. Que leur répondez-vous ?
C’est honteux de dire cela. J’ai d’abord quitté l’UPL, dont j’étais l’un des fondateurs, parce que Slim Riahi et son groupe ont commencé à prendre des décisions unilatérales – notamment celle de constituer une coalition contre le gouvernement. J’étais totalement contre. Je ne vois d’ailleurs pas de différence entre les choix économiques de l’UPL et ceux du gouvernement actuel.
Concernant Nidaa Tounes, je n’ai rien demandé. Je ne suis pas intéressé par un poste ministériel ou autre. Je travaille à l’international, et je participe déjà activement à la vie politique et économique de la Tunisie.
La décision de l’UPL, votre ancien parti, de rejoindre Nidaa, a-t-elle précipité votre choix ?
Ce n’est pas vraiment une raison. Je connais l’UPL et Nidaa : ces deux partis se ressemblent beaucoup. J’espère que leur fusion permettra à la scène politique de mieux évoluer au Parlement. Nous avons besoin d’une stabilité des blocs pour les projets de loi en cours et les instances à créer ou renouveler. Il y a de nombreux chantiers sur les rails.
>>> À LIRE – Tunisie : l’UPL sort de la Coalition nationale, le paysage politique une nouvelle fois recomposé
J’attends de voir les résultats, mais je me demande si cette décision de fusion à été prise en respectant les principes de démocratie et du droit des militants à prendre part aux décisions stratégiques. À ma connaissance, le protocole de fusion à été signé avant même la réunion du comité politique élargi censé statuer sur cette fusion inattendue.
La Coalition nationale, qui est repassée 3e bloc à l’Assemblée à la suite de ce nouveau rebondissement, pourrait-elle aussi être un facteur de stabilité parlementaire ?
Je n’ai aucune aucune idée du projet politique de la Coalition. Mais en tant qu’ancien député, je confirme que les meilleurs parlementaires s’y sont rassemblés. Ce sont les mieux formés et les plus honnêtes, avec tout le respect que je dois aux autres.
Si Chahed crée son parti, cela peut enclencher un processus politique enrichissant
Par ailleurs, Youssef Chahed résiste encore, ce qui est bon signe. Peut-être que s’il crée un parti, cela enclenchera un nouveau processus politique enrichissant, surtout s’il s’entoure d’une nouvelle classe de dirigeants et de militants qui réorientent leur boussole vers les intérêts des citoyens et des régions défavorisées. C’est en tout cas très bon signe que son gouvernement soit encore stable à ce jour.
Pourriez-vous envisager de rejoindre une autre formation ?
Je suis économiste et je travaille dans plusieurs secteurs. Pour le moment, je m’éloigne un peu de la scène politique pour réfléchir. Je souhaite beaucoup de réussite aux partis, et une réorientation de leurs choix vers l’intérêt des citoyens tunisiens et les intérêts économiques du pays. La Tunisie mérite un vrai projet et une classe politique non corrompue. Il existe des politiciens honnêtes, crédibles et patriotes, mais d’autres doivent malheureusement revoir leur vision pour le pays.
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