Et maintenant ?

Jamais scrutin présidentiel n’aura été, dans le pays et dans la région, aussi ouvert et aussi serré. Les opérations de vote se sont correctement déroulées, dans un climat étonnamment calme.

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 5 minutes.

Démocratie et journalisme ont leurs exigences – et leurs incompatibilités techniques. À preuve : pour des raisons, éminemment louables, de vérification et de recomptage, la Cemi (Commission électorale mixte indépendante) centrafricaine n’était toujours pas en mesure, à l’heure où nous « bouclions » cette édition de J.A.I., de produire les résultats définitifs de l’élection présidentielle. En ce vendredi 25 mars, douze jours après le scrutin, le tout-Bangui des chancelleries et des observateurs électoraux, tout comme les états-majors des onze candidats en lice, bruissaient encore de rumeurs contradictoires. « Pour nous, c’est Bozizé au premier tour, avec 51 % des voix », assure, confiant, Job Isima, directeur de campagne du président sortant. « Pour nous, Bozizé ne dépasse pas 45, % et je suis au second tour », affirme, définitif, son principal challengeur, Martin Ziguélé. Une chose est sûre : quel qu’en soit le résultat, jamais scrutin n’aura été, en Centrafrique et dans la région, aussi ouvert et aussi serré.
Le mérite, si l’on peut dire, en revient à la Cemi, organisme paritaire dirigé par un homme réputé très indépendant, Jean Willybiro Sako, adoubé à la fois par le pouvoir et par l’opposition, laquelle a exigé et obtenu que ce soit lui qui proclame les résultats en lieu et place de la Cour constitutionnelle. Surveillées par une trentaine de délégués de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), sous la houlette de l’ex-président burundais Pierre Buyoya la Francophonie ayant été pratiquement la seule à dépêcher des observateurs sur place, seul son rapport fait foi, ce qui n’est sans doute pas l’idéal -, les opérations de vote se sont, dans l’ensemble, correctement déroulées, dans un climat étonnamment calme pour qui connaît la Centrafrique. L’unique vrai dérapage enregistré, un accrochage entre éléments de la Garde républicaine et gardes du corps du candidat André Kolingba devant le domicile de ce dernier, le 22 mars, relevait à cet égard de la « bavure », en aucun cas de la tentative d’assassinat, comme les partisans de l’ex-président l’ont trop hâtivement avancé. Pour bien le démontrer, François Bozizé est d’ailleurs allé rendre visite au général Kolingba chez lui, après avoir reçu Ziguélé à la présidence – une double démarche suffisamment rare pour être soulignée.
Second tour ou non – la première hypothèse était jugée, le 25 mars, aussi plausible que la seconde -, le général Bozizé sort largement en tête de l’élection du 13 mars. Deux ans après son coup d’État, l’ancien chef d’état-major a su asseoir sa popularité dans l’Est, le Centre, une partie de l’Ouest dont il est originaire (l’Ouham), mais aussi dans certaines préfectures du Sud comme la Lobaye, l’ex-fief de David Dacko. Surtout, il l’emporte à Bangui, assez loin devant Kolingba, dont la capitale était pourtant l’une des places fortes. Second presque partout et vraisemblablement premier dans la très peuplée préfecture de l’Ouham Pende, Martin Ziguélé, qui ne disposait évidemment pas des mêmes moyens financiers que le chef de l’État sortant, peut s’estimer satisfait. La redoutable machine du MLPC (Mouvement de libération du peuple centrafricain) s’est mise à son service, en dépit des appels en sens contraire émis depuis Lomé par son fondateur, Ange-Félix Patassé, pour qui la candidature de Ziguélé – qui fut son Premier ministre – relevait de la haute trahison. Satisfait également, tout au moins au vu des résultats partiels : Jean-Paul Ngoupandé. L’intellectuel le plus en vue du paysage politique centrafricain réalise certes des scores très éloignés des deux précédents candidats, mais il finit troisième à Bangui, quatrième au classement national, et ses résultats sont intéressants dans l’Ouaka et dans son fief de la Kémo. En revanche, si le palmarès ébauché le 25 mars se confirmait, l’ancien président André Kolingba enregistrerait un échec personnel. Battu à Bangui et dans la Lobaye, il ne réalise pas le plein des voix de la communauté yakoma et paie cher le fait de ne pas avoir voulu (ou pu, pour raisons de santé) faire campagne : il est troisième, à de longues encablures de Bozizé et de Ziguélé. Enfin, cette élection a sans doute été celle de trop pour le doyen, Abel Goumba. Distancé par trois candidats dans la capitale et – plus grave – dans sa propre région de l’Ouaka, le vieux lutteur de 78 ans, personnalité estimable mais solitaire, voit sonner l’heure de la retraite politique : Ngoupandé et même Charles Massi, candidat pourtant marginal, ont fait mieux que lui. Pour conclure et pour l’anecdote, on relèvera le cas original de Jean-Jacques Demafouth, ex-ministre de la Défense et enfant terrible du patassisme : depuis Paris et sans mettre les pieds à Bangui, où il est sous le coup d’une procédure judiciaire, il finit neuvième sur onze, tout au moins au vu des résultats disponibles…
La situation était encore plus complexe, au soir du 25 mars, quant à l’autre scrutin pour lequel un million et demi de Centrafricains étaient appelés à se rendre aux urnes : les législatives. Des indications persistantes signalaient des seconds tours quasi généralisés avec une performance relativement décevante pour la convergence Kwa Na Kwa de François Bozizé, sorte de mouvement attrape-tout dont la structuration et l’implantation n’ont que peu de choses à voir avec celles du MLPC ou du RDC (le Rassemblement démocratique centrafricain, d’André Kolingba). Côté figures connues, à Bangui, l’indépendant Nicolas Tiangaye était donné en ballottage favorable (tout comme la première dame, Monique Bozizé, à Bimbo, aux portes de la capitale), et le ministre de l’Éducation Karim Meckassoua – qui affrontait l’une des soeurs du président Bozizé -, en ballottage difficile.
Et maintenant ? Trois possibilités plus ou moins crédibles demeurent ouvertes. La première serait un « passage en force » du candidat Bozizé faisant fi de l’annonce d’un second tour par la Cemi. Une option peu probable, car proprement suicidaire : il s’agirait d’un coup d’État avec l’armée dans les rues de Bangui et un isolement international consécutif totalement étanche du régime. Seconde possibilité : la Cemi proclame la victoire de François Bozizé au premier tour. Cette option prendrait de court une opposition qui n’a pas, jusqu’ici, contesté l’impartialité de ladite commission et serait accueillie avec satisfaction dans les pays voisins, dont les présidents ont en horreur les seconds tours avec leur lot d’incertitudes. Troisième possibilité, enfin : le fameux second tour Bozizé-Ziguélé. Dans cette dernière hypothèse, tout dépendra du report des voix des candidats éliminés, un jeu auquel le président sortant est loin de partir perdant. Rien ne prouve en effet que l’électorat d’André Kolingba votera sans défections majeures pour le représentant d’un parti – le MLPC – qu’il a âprement combattu pendant vingt ans.
Lorsque ces lignes seront lues, l’une de ces trois possibilités sera devenue certitude. On saura alors si une nouvelle campagne s’ouvre, avec en ligne de mire un nouveau scrutin le 10 avril. On saura surtout quand un nouveau président, quel qu’il soit, pourra enfin, l’esprit libéré des joutes politiciennes, s’attaquer à l’essentiel : 95 % des quelque 4 millions de Centrafricains vivent avec moins de 1 dollar par jour, un pourcentage qui rend un peu dérisoire celui de n’importe quelle élection…

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