Enfin, la santé pour tous ?

L’entrée en vigueur de l’Assurance maladie obligatoire suscite de très grands espoirs chezles quelque 80 % de Marocains qui ne bénéficient d’aucune couverture médicale. Mais il faut raison garder : dans un premier temps, seuls les salariés, du public et

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 4 minutes.

« Un tournant, une révolution, une avancée décisive… » Autant de formules dithyrambiques reprises un peu partout au Maroc pour saluer l’entrée en vigueur de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), dont la charte a été signée le 4 janvier 2005 par le gouvernement, les partenaires sociaux et les différents acteurs du secteur médical, la cérémonie étant présidée par le roi Mohammed VI. Le ministre de la Santé, Mohamed Cheikh Biadillah, a parlé de « pas important vers la consolidation de la cohésion sociale ». Après deux longues décennies d’un processus de réflexion, d’hésitations et de négociations pour mettre en place une couverture maladie universelle, le projet d’assurance pour tous se concrétise enfin et sera opérationnel d’ici à la fin de l’année. Il doit se substituer à l’ancien régime de santé inégalitaire et régressif, et permettre de doubler dans un premier temps le nombre de citoyens bénéficiaires des prestations.
Ce projet a suscité de grands espoirs chez les Marocains non assurés, c’est-à-dire la majorité de la population. Mais cet enthousiasme est à nuancer, si l’on considère que le royaume chérifien part d’une situation sanitaire déplorable, et que l’universalité de la couverture médicale ne peut être qu’un objectif à long terme.
L’offre de soins est aujourd’hui répartie entre le secteur public, prédominant, et le privé qui connaît un essor important depuis les années 1980 face à la déficience des investissements de l’État. Deux chiffres indiquent l’ampleur des besoins : le pays compte un lit d’hôpital pour 1 150 habitants et un médecin pour 1 900 habitants (un pour 900 en Algérie, un pour 500 en France). Autre dysfonctionnement notable : la faiblesse des dépenses de fonctionnement dans les hôpitaux publics, avec pour conséquence des carences en seringues, ligatures, fils, médicaments, etc. On note par ailleurs un profond déséquilibre de l’offre entre le milieu urbain et le milieu rural. À cela s’ajoute la faiblesse du taux de couverture médicale : moins de 5 millions de Marocains, sur une population totale de 30 millions d’habitants, en bénéficient. L’AMO devrait porter le taux de couverture de 17 % à 34 % d’ici à la fin 2006 – et à 50 % d’ici à 2010 -, affirment les optimistes.
Seuls les fonctionnaires, les salariés du public, du privé et leurs ayants droit sont concernés dans un premier temps. La liste des bénéficiaires s’étendra ensuite progressivement aux travailleurs indépendants, aux professions libérales, ainsi qu’aux étudiants. Ceux dont les revenus sont insuffisants pour accéder à une assurance maladie bénéficieront du Régime d’assistance médicale (Ramed), financé par l’impôt.
L’ensemble des indicateurs de la santé au Maroc sont édifiants : outre des taux de mortalité néonatale et infantile anormalement élevés, les dépenses globales de santé sont estimées par l’OMS à 16 milliards de dirhams par an (1,44 milliard d’euros), soit 4,7 % du Produit intérieur brut. Les dépenses per capita s’élèvent à 56 dollars, contre le double en Tunisie et quinze fois plus en France. Le financement solidaire de l’État ne dépasse guère 25 %, la part prise en charge par les régimes facultatifs d’assurance maladie s’élevant à 16 %.
Ce sont donc les patients qui assument la plus grande part des dépenses de soins, soit 54 %. Et c’est là que le bât blesse : se soigner est un luxe pour les classes moyennes et a fortiori pour les groupes les plus défavorisés. Plusieurs millions de Marocains n’ont ni accès à l’infrastructure médicale ni les moyens d’assumer leurs frais de santé ; ils sont donc livrés à eux-mêmes face à la maladie. On relève au sein de la population marocaine des différences flagrantes au niveau de la morbidité qui sont liées aux inégalités socio-économiques (travail, éducation, logement), l’exclusion sociale allant de pair avec l’exclusion des services de santé. Même si les personnes à faible revenu présentant un « certificat d’indigence » sont prises en charge quasi gratuitement dans les structures publiques – du moins pour les soins primaires.
Trois questions majeures, qui ont divisé des acteurs dont les intérêts et les logiques sont parfois contradictoires, ont freiné considérablement la mise en oeuvre de l’AMO : le financement, le panier de soins et le taux de couverture. Après d’âpres discussions pour redistribuer les rôles et les responsabilités des partenaires sociaux – autorités publiques, syndicats, corps médical, patronats et assureurs -, la charte est née. Le budget global de couverture sociale va quasiment doubler et passera de 3,6 à 6 milliards de dirhams (de 320 à 540 millions d’euros). Si la santé n’a pas de prix, elle a néanmoins un coût, et l’importance des enjeux financiers – assurer l’équilibre et la viabilité de l’AMO – était l’un des principaux obstacles à la mise en application du système. La solution a finalement été trouvée : l’État et les collectivités locales renforceront leur participation, et les cotisations salariales et patronales augmenteront. Le panier de soins englobera 41 affections graves et de longue durée, ainsi que les hospitalisations. Le taux de couverture des pathologies lourdes a été arrêté à 70 % lorsqu’elles sont traitées dans des cliniques privées, et à 90 % dans les hôpitaux publics.
La mise en place de l’AMO sera progressive, limitée dans un premier temps à certaines catégories de citoyens. Il n’en demeure pas moins que c’est un progrès dans la préservation du capital premier des Marocains : leur santé, condition sine qua non du développement économique et social du pays.

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