Crimes pour un coelacanthe

Christine Adamo a choisi la forme du thriller scientifique pour retracer les soixante années qui ont suivi la découverte du premier spécimen de ce « fossile vivant ».

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 6 minutes.

Son âge est plus que canonique : 400 millions d’années. On le nomme m’tsamboïdoï ou gombessa aux Comores, ikan malam ou ikan raja laut en Indonésie. Son nom scientifique est Latimeria chalumnae, son nom français coelacanthe. Découvert au début du XXe siècle en Afrique du Sud, cet étrange poisson ne cesse, depuis, d’intriguer les spécialistes, qui voient en lui un proche parent de nos lointains ancêtres. Au point de susciter bien des controverses et bien des convoitises dans les milieux scientifiques…
Le coelacanthe, mobile explicatif d’une série de meurtres ? La romancière française Christine Adamo a osé. Son livre, Requiem pour un poisson, est un thriller scientifique qui retrace les quelque soixante années qui ont suivi la découverte du premier spécimen, à la fin des années 1930.
Si l’intrigue policière est fictive, nombre de personnages ont existé. « J’ai beaucoup écrit sur ce poisson : une thèse, des articles, un bouquin de vulgarisation scientifique… Un jour, un critique m’a dit que, vu la manière dont c’était écrit, cela donnerait un excellent roman policier », se souvient Christine Adamo. Il faut dire que l’histoire avait de quoi séduire…
En 1938, en Afrique du Sud, le capitaine du chalut La Nerine, Hendrick Goosen (Jan, dans le livre), capture un étrange poisson dans l’estuaire de la rivière Chalumna. Des écailles bleues, une gueule énorme, une queue arrondie divisée en trois lobes, des nageoires qui ressemblent à des embryons de pattes, un poids qui avoisine 60 kg pour 1,50 mètre de long… L’animal est tellement bizarre que le pêcheur le transporte jusqu’au Muséum d’histoire naturelle d’East London, sur la côte est de l’Afrique du Sud. C’est là que la jeune conservatrice, Marjorie Latimer (Helen Arundel, dans le livre), voit pour la première fois un coelacanthe en chair et en arêtes. Les seuls spécimens connus étaient alors des fossiles. Inexpérimentée, Marjorie Latimer prévient J.B.L. Smith (Charles Easton, dans le livre), professeur de chimie de l’université de Grahamstown et ichtyologiste amateur de talent.
Dès qu’il voit le poisson, Smith comprend que la découverte est majeure. Il le nomme Latimeria chalumnae, en référence au nom de la jeune conservatrice et à celui de l’estuaire où il a été pêché. Pour lui, ce poisson est proche du « chaînon manquant » – voire le chaînon manquant ? – qui fait le lien entre les espèces aquatiques et les premiers reptiles terrestres. Une hypothèse qui se révélera vite fausse. Mais, pour l’heure, la découverte du « poisson fossile » suscite l’émoi du monde scientifique et médiatique. Smith ne rêve plus que d’une chose : en observer un mieux conservé ou… encore en vie. Il lui faudra attendre quatorze ans.
En 1952, le capitaine Erik Hunt colle des affiches représentant le coelacanthe sur les côtes de l’est de l’Afrique. Le 20 décembre, un spécimen est pêché au large d’Anjouan, et conservé en bon état grâce aux soins de Hunt. Avant de se rendre compte qu’il s’agit de la même espèce que le premier exemplaire, Smith le nomme Malania anjouanae. C’est en effet l’avion fourni par le Premier ministre sud-africain d’alors, le docteur Malan (l’un des pères de l’apartheid), qui lui a permis de récupérer ce deuxième spécimen, provoquant un grave incident diplomatique avec la France, puissance coloniale régnant sur les Comores. Devenu célèbre et donnant des conférences partout dans le monde, Smith est interdit de séjour dans l’archipel, qui est selon lui le biotope unique du coelacanthe.
Les scientifiques français – Jacques Millot, Jean Anthony et Daniel Robineau – sont désormais aux premières loges pour étudier le poisson. Ils prouvent qu’il n’est pas le chaînon manquant entre mer et terre, mais seulement un « grand-oncle primitif ». Il n’empêche : les Comores, où la chair du poisson était utilisée comme… diurétique, deviennent le lieu d’un intense trafic de coelacanthes. Tous les musées du monde en veulent un pour agrémenter leurs collections.
En 1987, nouveau rebondissement. Hans Fricke, de l’Institut Max-Planck de Seewiesen (Allemagne), et Raphaël Plante, du Centre d’océanologie de Marseille, observent pour la première fois le poisson dans son milieu naturel, 200 mètres sous la surface, à bord d’un sous-marin de poche. Constatant le déclin de l’espèce, les chercheurs envisagent de créer un parc pour la protéger. « L’idée de Fricke et de Plante était de fixer dans le fond une caméra sous-marine qui resterait présente en permanence et retransmettrait les images en surface, dans une zone interdite à la pêche – a priori autour des grottes qu’affectionnent les coelacanthes. Sur la terre ferme, un centre de recherches et d’informations et des infrastructures d’accueil seraient disponibles pour les visiteurs », explique Christine Adamo.
C’est d’ailleurs Raphaël Plante qui lui a fait découvrir l’histoire du coelacanthe, alors qu’elle venait de reprendre des études. Elle se prend de passion pour le crossoptérygien. « Comme beaucoup de personnes, je me suis toujours posé la question de nos origines, qu’elles soient familiales, biologiques ou historiques. J’ai toujours été passionnée par l’histoire très ancienne. Souvent, les adultes évoluent vers une fascination pour les périodes plus récentes, mais j’ai conservé une âme d’enfant. Comme eux, je suis fascinée par les dinosaures. »
C’est décidé, son sujet de thèse portera sur la manière de construire un réseau d’information pour faciliter la mise en place et la gestion d’un parc scientifique. Aux Comores, où le poisson est devenu symbole national, le jeune biologiste Saïd Ahamada engage un long combat en ce sens. « Villageois et pêcheurs sont de plus en plus motivés. Il est possible de conjuguer protection de l’environnement et développement économique », souligne Christine Adamo.
En 1997, coup de tonnerre dans le milieu scientifique : un jeune biologiste qui passe sa lune de miel en Indonésie trouve un coelacanthe sur un marché de Manado. La découverte est d’importance : l’espèce de Sulawesi diffère de Latimeria chalumnae. Elle est nommée Latimeria menadoensis… Nul doute que ce n’est pas là l’ultime rebondissement de l’affaire.
Requiem pour un poisson, « tressage de vérité et d’imagination », s’achève comme tout bon roman policier par la découverte de l’assassin. Mais aussi sur une série d’interrogations. Christine Adamo nous promène dans la géographie et dans le temps sur les traces du coelacanthe, sans perdre de vue que c’est aussi une histoire humaine qu’elle raconte. « Il a fallu que je réussisse à accepter le fait que je pouvais m’éloigner de la vérité, qu’il fallait que je m’éloigne de la vérité », explique-t-elle.
Le résultat est là : malgré quelques clichés et facilités d’écriture, le roman s’avale comme un sushi, en une seule bouchée. « J’ai plongé avec plaisir dans son récit. J’avais l’impression étrange de connaître tous les protagonistes, de reconnaître tous les événements décrits, mais au travers d’un filtre. Je ne savais pas, quand je racontais à la thésarde les détours déjà bien romanesques de la quête des chercheurs de coelacanthes, que l’auteur de polar en ferait une haletante histoire policière », affirme Raphaël Plante, qui apparaît lui-même dans le livre sous le nom d’Antoine Mézières. Sans apporter de réponse à la question de nos origines, l’histoire du « fossile vivant » nous réconforte comme elle réconforte Christine Adamo. « Ce poisson a vécu 400 millions d’années, et quand on voit ce qui se passe aujourd’hui, cette longévité me rassure sur la continuité du monde », confie-t-elle avec un sourire timide, avant de s’en aller acheter un éléphant (en plastique) dans la boutique de la Grande Galerie de l’évolution du Muséum d’histoire naturelle de Paris.

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