Ce qu’en pensent les assureurs privés

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 4 minutes.

Apparue au début des années 1990, l’assurance maladie n’a jamais été une priorité pour la plupart des assureurs marocains, mais plutôt un produit d’appel permettant de vendre aux entreprises ou aux particuliers d’autres couvertures plus rentables, comme le risque industriel, ou encore de l’assurance vie. Le secteur a connu ces dernières années une croissance de son chiffre d’affaires inférieure à 10 % (en 2003 il s’établissait à quelque 1,05 milliard de dirhams, soit environ 95 millions d’euros), tandis que ses marges nettes sont demeurées structurellement négatives (de – 5 % à – 10 % en moyenne). Un tableau plutôt morose, dans lequel les assureurs paraissent vendre leurs produits presque contraints et forcés…
Le secteur privé de l’assurance manque encore de visibilité sur l’impact réel de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), mais il y a quelques raisons d’espérer que cette réforme majeure va permettre une redistribution des cartes. Dans un premier temps, sa mise en place ne menace pas nécessairement les assureurs, puisque les entreprises déjà assurées hors AMO pourront conserver leur couverture pendant cinq ans encore. Moins chère que l’assurance privée, l’AMO peut en théorie être attractive pour les entreprises. Pourtant, les garanties offertes par les assureurs sont pour l’instant beaucoup plus étendues que le panier de soins de l’Assurance maladie obligatoire, qui ne couvre que 41 pathologies lourdes. On peut donc raisonnablement penser que les salariés couverts dans le privé s’efforceront de conserver leur protection actuelle.
Du côté des autorités, comme l’indique Zineddine Idrissi, directeur de cabinet du ministre de la Santé, on ne souhaite certainement pas « tuer » le secteur de l’assurance santé privée, qui couvre aujourd’hui, avec 815 000 bénéficiaires, des pathologies non prises en charges par l’AMO. D’autant que celle-ci devra faire la preuve de sa capacité en matière de gestion et de services.
Cependant, les assureurs ne peuvent se reposer sur ce moratoire de cinq ans, car la nouvelle donne va totalement redéfinir le périmètre des garanties et des services qu’ils pourront légalement offrir, leur laissant le marché des assurances complémentaires : un marché très vaste, tant le panier de soins pris en charge par la Sécurité sociale marocaine est pour l’instant restreint. La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) envisage bien, à terme, de couvrir également la médecine de ville, et, pourquoi pas, certaines prestations dentaires et optiques, ce qui ne laisserait alors aux assureurs marocains qu’une peau de chagrin peu attractive. Pourtant, la Caisse nationale sera probablement appelée à plus de réalisme, et devra privilégier l’extension progressive de la couverture de base existante à tous les Marocains, plutôt que l’ajout de nouvelles pathologies à la liste actuellement couverte par l’AMO.
Il y a aussi quelques raisons d’être optimiste. Après les errements des débuts, les assureurs privés ont acquis une réelle expertise en matière de tarification et de sélection des risques, comme le souligne Mohamed Reyad, président de l’Association marocaine des actuaires : ils pourraient à l’avenir atteindre l’équilibre sur leurs portefeuilles « maladie », voire faire des profits. En outre, les fusions-acquisitions récentes dans l’assurance et dans la banque ont constitué quelques géants qui peuvent modifier en profondeur l’économie du secteur. À titre d’exemple, l’acquisition en 2001 par la banque française Société générale de la compagnie Marocaine-Vie, considérée comme le champion marocain de l’assurance maladie, a donné à cette dernière accès au réseau de distribution considérable de la Société générale marocaine de banques (SGMB).
Pourtant, selon la Fédération marocaine des sociétés d’assurance et de réassurance, il manque encore une pièce au puzzle de l’assurance santé, et non des moindres : celle des tarifs de référence des fournisseurs de soins. « Il sera crucial, pour préparer les produits d’assurance santé complémentaires, que le gouvernement et l’Agence nationale de l’assurance maladie [Anam] imposent des tarifs de référence pour toutes les prestations que ces produits seront susceptibles de rembourser, telles que la médecine de ville ou encore les médicaments », affirme Ali Boughaleb, son délégué général. Un chantier politiquement très sensible pour l’Anam, la profession médicale ne voyant pas forcément d’un bon oeil ces tarifs de référence…
Pour l’instant, les assureurs déchiffrent la législation, observent la mise en place de l’AMO et affûtent leurs armes. Tandis que la couverture publique s’adresse en priorité aux fonctionnaires et aux salariés, certains anticipent une nouvelle segmentation du marché, et prennent le parti d’offrir des produits haut de gamme, fournissant des prestations que la CNSS n’a pas pour vocation de rembourser (comme la couverture complète à l’étranger, le service « VIP »…). Wafa Assurances a récemment fait un pas en ce sens, et l’on s’attend à la réplique de la Marocaine-Vie d’ici à quelques mois. L’assurance maladie privée marocaine n’est pas aux abois : tout juste peut-on affirmer qu’elle vient d’achever sa première crise de croissance. Alors, pour ceux qui sauront innover, l’AMO n’est pas une menace, mais plutôt l’occasion d’un nouveau départ.

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