Amr Moussa

Le secrétaire général de la Ligue arabe se distingue par ses propos incisifs à l’égard d’Israël, des États-Unis, voire de l’Iran. Que peut-il faire, sinon préserver, par des déclarations tonitruantes, un semblant de dignité à une région qui en a de moins

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 6 minutes.

Au correspondant d’une chaîne satellitaire arabe qui l’interrogeait, il y a quelques
semaines, sur les menaces américaines contre la Syrie, Amr Moussa a répondu : « Le monde traverse un tournant historique décisif. Il y a plus de points négatifs que de points positifs. Nous devons mettre fin aux polémiques actuelles et procéder de manière constructive afin d’aider à la solution des problèmes en suspens. » Howeïda Taha, qui a cité cette déclaration dans sa chronique à Al-Quds al-Arabi (22 mars), quotidien arabe paraissant à Londres, a ajouté, incrédule : « Avez-vous compris quelque chose ? »
La chroniqueuse, qui s’étonne de l’insolente popularité du secrétaire général de la Ligue arabe, notamment en Égypte, son pays, où certaines voix s’élèvent pour l’exhorter à se présenter à l’élection présidentielle de septembre prochain contre le président Hosni Moubarak, se demande si cette popularité n’est qu’un effet pervers de la « satellisation de la vie politique » (en référence aux chaînes de télévision satellitaires).
Moussa est, en effet, le responsable arabe qui apparaît le plus sur les écrans de télévision au Machreq et au Maghreb. Souvent sollicité pour commenter les événements qui ont lieu à travers le monde, il résiste rarement au magnétisme des médias. Sa bonhomie, son humour et sa science de la communication font mouche. Les confrères qui l’abordent dans les coulisses des réunions internationales sont rarement déçus, car il a toujours un pseudo-scoop à leur donner ou, à défaut, une petite phrase, qui sera reprise aussitôt par les autres médias de la région.
Contrairement aux autres responsables arabes, qui affectionnent la langue de bois, le chef de la Ligue sait faire des déclarations qui interpellent les téléspectateurs d’Al-Jazira, Al-Arabia et autres ANB. Ses propos, souvent fermes à l’égard d’Israël, des États-Unis ou de l’Iran, flattent l’orgueil des Arabes, quand bien même ils masquent, comme c’est souvent le cas, de sordides capitulations. Mais peut-on sérieusement lui reprocher de « bien vendre » les redditions en chaîne de ses patrons, les chefs d’État arabes ? Non, bien sûr, il est payé pour le faire. Et il le fait avec le peu qu’on lui donne…
Ainsi, le 22 mars, lors de la réunion à huis clos des chefs d’État arabes, réunis en sommet à Alger, Moussa est intervenu pour mettre ses employeurs devant leurs responsabilités. Dans une allocution au ton extrêmement ferme, il a brossé un tableau sombre de la situation financière de son organisation. Les arriérés de payement s’élèvent à 114 millions de dollars. Quant au déficit budgétaire global, il atteint 170 millions de dollars. Certains pays prétendent ne pas être en mesure de payer leur contribution, alors que d’autres formulent des réserves sur le montant de la leur. Quelques-uns enfin refusent de s’acquitter de leurs dettes pour exprimer leur mécontentement vis-à-vis de l’organisation ou de son secrétaire général, pas assez discipliné à leur goût.
« Vous vous êtes engagés au cours des
précédents sommets à régler définitivement ce problème des arriérés. Mais vous ne l’avez pas fait. Cela ne m’aide pas à mettre en oeuvre vos résolutions », a lancé Moussa aux chefs d’État présents, en menaçant de présenter sa démission. Exprimant la gêne de ses pairs, le prince héritier koweïtien, Cheikh Sabah al-Ahmad, a alors pris la parole
pour demander au secrétaire général de se calmer, de cesser de proférer des menaces. Imperturbable, Moussa a poursuivi son exposé, soutenu par Abdelaziz Bouteflika, président du sommet, qui s’est gardé de l’interrompre. « Près de cinq cents projets dans les domaines du développement, de la famille, de l’enfance et de l’environnement n’ont pu être mis en route en 2003 et 2004 à cause des problèmes financiers », a-t-il notamment expliqué.
La discussion qui a suivi a duré une heure vingt. Elle n’a pas été inutile puisque la plupart des pays membres se sont engagés à payer leurs arriérés dans les meilleurs délais. L’Algérie, qui présidera l’organisation durant les douze prochains mois, a promis de faire un geste pour améliorer les finances de celle-ci. Mieux : un fonds de réserve doté de 35 millions de dollars sera mis à la disposition du secrétaire général pour l’aider à faire face aux imprévus. Il sera constitué au cours des cinq prochaines années. Moussa, qui n’a pas perçu son salaire depuis
plus d’un an – contrairement aux fonctionnaires de l’organisation, soit cinq cents statutaires et autant de contractuels, qui ont tous reçu les leurs -, n’hésitera pas, le cas échéant, à monter une nouvelle fois au créneau. Son statut de diplomate ne l’a jamais empêché de se battre. C’est d’ailleurs ce qui fait sa popularité et agace ses nombreux détracteurs.
Né le 3 octobre 1936 dans la capitale égyptienne, Amr Moussa est titulaire d’une licence en droit de l’université du Caire et d’un doctorat en droit international de l’université de Paris. En 1958, il entre au ministère égyptien des Affaires étrangères où il est successivement nommé directeur de l’assistance technique et culturelle (1969), ambassadeur en Union soviétique (1972), directeur des organisations internationales (1977) – il participe, à ce titre, à l’élaboration de l’accord de Camp David entre l’Égypte et Israël. Porte-parole du gouvernement en 1979, il est ensuite ambassadeur en Suisse, puis en Inde, avant d’assumer de nouveau les fonctions de directeur des organisations internationales. Représentant permanent auprès des Nations unies entre 1989 et 1991, il se fait remarquer en invitant Israël à se joindre au traité de non-prolifération des armes de destruction massive au Moyen-Orient.
Quelques jours après sa nomination à la tête de la diplomatie égyptienne, le 20 mars 1991, il annonce la couleur en dénonçant en termes très fermes la politique d’implantation israélienne dans les Territoires occupés. Rapidement, il se distingue par son style vif et incisif. Cependant, si elle séduit les masses arabes, la virulence de certaines de ses déclarations ne tarde pas à hérisser les responsables américains et israéliens. Ainsi, peu avant son assassinat, en 1995, l’ancien Premier ministre israélien Itzhak Rabin avait affirmé qu’une « odeur nauséabonde » émanait du chef de la diplomatie égyptienne. Moussa rétorque, la même année, en accusant Benyamin Netanyahou, successeur de Rabin, de vouloir enterrer les accords d’Oslo. Et avertit la Turquie, qui vient de conclure une alliance militaire avec Israël : « Toute atteinte aux intérêts arabes se paie. » En 1997, il reproche aux Jordaniens de se ruer (harwala) vers la normalisation avec Israël sans avoir obtenu de vraies contreparties.
Autant de prises de position qui assoient sa popularité auprès de la population arabe. En 2000, au lendemain d’un débat télévisé sur une chaîne américaine durant lequel il a croisé le fer avec le chef de la diplomatie israélienne Shlomo Ben Ami, un chanteur populaire égyptien, Chaâbane Abderrahim, a sorti un tube intitulé « J’aime Amr Moussa et déteste Israël », qui a été vendu à cinq millions d’exemplaires, chiffre que même Oum Kalsoum n’a jamais atteint de son vivant.
C’est tout naturellement donc que Moussa a été élu, en mars 2001, par ses pairs, lors du treizième sommet arabe d’Amman, en Jordanie, au poste de secrétaire général de la Ligue arabe. Ce n’était pas là, on s’en doute, un cadeau. Car le Cairote a hérité d’un mastodonte croulant sous une bureaucratie d’un autre âge. Pis : depuis les attentats du 11 septembre 2001, les États arabes, accusés de faire le lit du terrorisme, sont dans le collimateur des États-Unis. L’Irak est occupé, la Syrie sommée de se retirer du Liban, l’Autorité palestinienne appelée à désarmer ses fedayine, tandis que les autres États de la région sont invités – c’est le moins que l’on puisse dire – à mettre en route des réformes démocratiques, alors que la « rue arabe », impatiente de voir ces réformes se concrétiser, bat le pavé. Que peut faire ce héraut arabe, sinon essayer de préserver, par des déclarations tonitruantes, un semblant de dignité à une région qui en a de moins en moins ?

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