[Tribune] Vers une meilleure mobilisation des ressources domestiques en Afrique centrale

Une réforme des systèmes fiscaux en Afrique centrale s’impose, estime le stratège financier Loïc Mackosso, qui plaide pour « une fiscalité plus intelligente », intégrant notamment le secteur informel.

Au siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba. © Xinhua/Pan Siwei/SIPA

Au siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba. © Xinhua/Pan Siwei/SIPA

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Publié le 23 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

Le président chinois, Xi Jinping, a annoncé le 3 septembre à Pékin, lors du forum sino-africain, que son pays consacrerait 60 milliards de dollars supplémentaires au développement économique des pays du continent. Il a aussi assuré que la Chine « annulerait » une partie de la dette des pays les moins développés. Cette « aide » intervient dans un contexte économique difficile pour les États d’Afrique centrale. En effet, la bulle économique dans laquelle nos pays vivaient a éclaté en 2014 avec pour conséquence immédiate un délitement du tissu économique et une paupérisation accrue.

D’ailleurs, le FMI, dans son rapport du 8 mai sur les perspectives économiques en Afrique en 2018, ne manquait pas de rappeler que malgré la timide reprise de l’ordre de 1,8 % il était indispensable de poursuivre les efforts de redressement des économies de la région, lesquels doivent permettre une augmentation des recettes fiscales et une diversification des économies de la sous-­région pour sortir de la dépendance au pétrole.

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Aussi, les ressources mobilisées à l’extérieur doivent-elles être complétées par des ressources domestiques. En effet, ces ponctions obligatoires réalisées par l’État ou ses démembrements sur les activités des populations et des entreprises sont la condition sine qua non du fonctionnement optimal des services publics. En raison de leur importance pour le développement d’un État, la mobilisation des ressources domestiques a été inscrite comme une priorité de l’« Agenda 2063 » de l’Union africaine et des objectifs de développement durable.

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Une réforme des systèmes fiscaux en Afrique centrale s’impose. Il ne s’agit pas ici d’augmenter ni de créer de nouvelles taxes, mais plutôt de mettre en place une fiscalité « plus intelligente » qui permettra un élargissement de l’assiette fiscale en intégrant notamment les flux du secteur informel. Le système de collecte des impôts et taxes doit être également modernisé afin d’augmenter le taux de collecte.

À Brazzaville, le taux de 92,85 % de recouvrement des droits et taxes de douane traduit un réel effort de l’administration fiscale congolaise

Il est vrai que le rapport « Statistiques des recettes publiques en Afrique 2017 », qui analyse les recettes publiques de seize pays africains entre 1990 et 2015 via ses trois composantes – impôts, cotisations sociales et recettes non fiscales –, relève une amélioration de cinq points de PIB de la collecte publique des pays concernés entre 2000 et 2015. La moyenne non pondérée des seize pays est passée de 14,1 % à 19,1 %, alors que pour les pays de l’OCDE elle se situe à 34,2 %.

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Toujours dans la même tendance, le gouvernement congolais vient d’annoncer lors du Conseil des ministres du 6 octobre un taux de recouvrement de 94,5 % pour les impôts et taxes intérieurs, soit 617,566 milliards de F CFA (940 millions d’euros environ) ainsi qu’un taux de recouvrement des droits et taxes de douane de 92,85 %, soit 107,709 milliards de F CFA. Ces chiffres, qui traduisent un réel effort de l’administration fiscale congolaise, peuvent toutefois être améliorés grâce notamment à des réformes inédites.

À ce titre, l’exemple du Nigeria mérite d’être salué. En effet, le dernier rapport « Perspectives économiques en Afrique 2018 » de la BAD révèle que les initiatives fiscales de l’État de Lagos lui ont permis de se distinguer en matière de mobilisation des ressources nationales et de servir de modèle dans ce domaine. De manière constante, l’État de Lagos a généré la plus grosse part des recettes internes soit 40 % des 2,2 milliards de dollars collectés dans le pays en 2015, selon le Bureau national des statistiques. Ce dynamisme en matière de recettes fiscales fait de Lagos l’un des rares États nigérians à obtenir une bonne notation du crédit souverain sur le long terme (B+).

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Ces réformes ont été motivées par l’inefficacité de l’administration fiscale, laquelle participe au non-respect par les citoyens de leurs obligations fiscales. Pour relever ce défi, l’Internal Revenue Service (administration des impôts) de l’État de Lagos a lancé des réformes de grande ampleur, portant notamment sur la simplification de la déclaration fiscale, la mise en place de mesures d’incitation au respect des obligations fiscales, l’accès des contribuables à l’administration, la facilitation du processus de paiement. Ces efforts ont non seulement accru la sécurité des contribuables, la transparence du système ainsi que le respect des obligations fiscales, mais ils ont aussi favorisé l’application de la loi, avec pour résultat des gains importants en matière de recettes.

S’agissant des processus de règlement des impôts ou taxes, une attention particulière doit être portée au paiement mobile, lequel offre des perspectives intéressantes pour l’État collecteur. En effet, il est d’autant plus judicieux de recourir à ce mode de paiement que selon les chiffres du Global Findex – le rapport de la Banque mondiale consacré au mobile money et à l’inclusion financière –, le pourcentage d’individus de plus de 15 ans titulaires d’un compte de paiement en Afrique subsaharienne est passé de 23 % en 2011 à 43 % en 2017. Il a même triplé dans certains pays tels que le Burkina Faso ou le Sénégal.

En d’autres termes, même sans compte bancaire électronique, les populations dans ces pays d’Afrique subsaharienne utilisent le téléphone portable pour effectuer des paiements et des transferts d’argent. Aussi, prendre des mesures incitatives allant dans le sens de la généralisation des paiements électroniques et la limitation des paiements en espèces s’inscrit vraiment dans l’air du temps et constitue une piste pour améliorer la collecte des impôts et des taxes.

Les ressources ainsi mobilisées permettront directement ou indirectement la relance ou la poursuite des investissements dans les infrastructures, qui contribuent indubitablement au développement économique et social de nos pays.

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