A l’épreuve des urnes

Pour ne plus avoir à subir la politique, la princesse Esther Kamatari a décidé d’en faire en se portant candidate à la présidentielle d’avril prochain.

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 3 minutes.

Elle se veut sereine, malgré les menaces de mort qui pèsent sur elle. Debout dans son vaste bureau de Boulogne, dans la proche banlieue de Paris, son portable à la main, elle s’indigne sur la famine qui sévit dans quelques provinces du Burundi. Ces inflexions fortes, cette voix de tribun dans un corps de liane, c’est Esther Kamatari, princesse burundaise, ex-égérie d’Yves Saint Laurent, de Dior et de Paco Rabanne, tous de grands noms de la haute couture. « C’est rien, c’est une disette, c’est cyclique… Voilà ce que j’entends à propos d’une famine qui réduit 900 000 personnes à manger de l’herbe et de la bouillie de bouse de vache pour survivre ! C’est humiliant ! » explique-t-elle pour justifier sa colère en passant une main dans sa chevelure immaculée. C’est parce que la révolte gronde dans son coeur que cette femme de 53 ans à l’allure juvénile a décidé de partir en croisade contre l’injustice et de se présenter à l’élection présidentielle du 22 avril prochain. Depuis des années déjà, elle lutte contre la misère et la guerre civile qui ravagent son pays. À la tête de son parti, Abahuza (rassembleur), Esther ambitionne de ressouder son peuple. « Il n’y a pas de Burundais à part entière ni de Burundais entièrement à part. Il y a les Burundais. Avec le Rwanda, nous sommes l’un des rares pays d’Afrique où toute la population partage la même langue, la même religion, les mêmes coutumes. La division ethnique instaurée par l’ancien colonisateur belge ne recouvre pas une différence de classe sociale. Alors, pourquoi cette haine entre Tutsis et Hutus ? » s’insurge-t-elle. Princesse ganwa (clan royal) issue d’un groupe « sans dette de sang », elle pense être à même de l’éradiquer. Nièce du roi Mwambutsa IV, dernier souverain burundais, la fille du prince Kamatari, assassiné en 1964, souhaite aujourd’hui que le Burundi devienne une monarchie constitutionnelle par voie référendaire. Une façon de conserver une tradition qui a forgé l’unité de la nation burundaise : « Un peuple qui renie sa tradition est un peuple qui n’a pas d’histoire. »
Son devoir, c’est aussi de venir en aide aux femmes de son pays. Parce que les mères pauvres qui ne s’acquittent pas des 10 euros nécessaires pour payer leur accouchement sont emprisonnées avec leur bébé, la candidate Esther se promet, si elle remporte l’élection, de construire des maternités gratuites. Son programme fait la part belle aux femmes. Son parti n’en compte-t-il pas près de 32 % ? Elle se défend d’être féministe, mais reste persuadée que l’Afrique ne s’en sortira pas sans le sexe dit faible. « Ce sont les hommes qui font la guerre, et les femmes qui colmatent les brèches. Aujourd’hui, au Burundi, ce sont elles qui portent le pays à bout de bras et vont chercher de l’herbe comestible pour nourrir les enfants et lutter contre la famine. Il faut leur donner une structure pour qu’elles puissent recevoir une éducation de base. » Ce travail, l’Association des Burundais de France qu’elle préside depuis 1990 l’a déjà initié. Elle donne aussi des lopins de terre à cultiver aux femmes qui acceptent d’adopter un ou plusieurs orphelins. Un moyen d’assurer l’avenir de ces enfants en les envoyant à l’école.
Car la scolarité accessible à tous est un projet qui lui tient également à coeur. Et elle en a fait un de ses thèmes de campagne pour la présidentielle du 22 avril, qui, après le référendum du 25 février dernier, va mettre fin à plusieurs années de tergiversations. Sa candidature ne réjouit pas tout le monde. Esther Kamatari a reçu par téléphone et courrier électronique des menaces de mort. « Ces menaces ne s’adressent pas spécifiquement à moi, mais aux femmes en général. Car une femme, selon ceux qui cherchent à m’intimider, ne peut pas diriger un pays », affirme celle qui entend leur confier des postes de responsabilité si elle est élue. « Je rêve d’équité. Une femme préfet, pourquoi pas ? » poursuit-elle, confiante. « Je voudrais que toutes les femmes du continent puissent se dire que rien n’est impossible. J’ai ouvert une voie en étant le premier mannequin africain. » Elle a essuyé les plâtres du métier de top model et espère désormais enlever les votes.

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