Alliance ou parti unique ?

Depuis que le FLN s’est doté d’une nouvelle direction, le 30 janvier, la coalition de trois partis qui soutient l’action du président Bouteflika a retrouvé sa cohésion et son efficacité. Mais le reste de la classe politique s’inquiète de cette omnipotence

Publié le 29 mars 2005 Lecture : 6 minutes.

L’observateur le plus exigeant conviendra que les réformes promises par le président Abdelaziz Bouteflika connaissent ces dernières semaines une accélération significative. Pour preuve : l’ordre du jour de la séance printanière du Parlement. Des dossiers en souffrance depuis plusieurs années ont été ouverts et, pour la plupart, traités : révision des codes de la famille et de la nationalité, ainsi que du code civil et de celui de procédure pénale, mais surtout adoption, après plus de quatre années de tergiversations politiques et syndicales, de la loi sur les hydrocarbures. Il reste beaucoup à faire pour que l’économie et la législation algériennes se mettent à niveau, mais ce qui vient d’être réalisé n’est pas négligeable.
Cette « performance » est due, en grande partie, à l’Alliance présidentielle née le 16 février 2004 dans la perspective de la campagne pour l’élection d’avril 2004, remportée par le chef de l’État sortant (85 % des suffrages exprimés). Cette alliance regroupe deux formations de la mouvance nationaliste, le Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique) et le Rassemblement national démocratique (RND, du Premier ministre Ahmed Ouyahia), ainsi qu’une formation islamiste, le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, dirigé par Bouguerra Soltani), présenté, à tort ou à raison, comme la section algérienne des Frères musulmans. À l’origine de ce regroupement de partis, une volonté commune de soutenir et mettre en oeuvre le programme électoral de Bouteflika, donc les réformes économiques et le dépoussiérage de la législation. Les trois composantes de l’Alliance présidentielle pèsent près de 80 % dans la représentation nationale (les deux Chambres du Parlement), régionale et locale.
Pourquoi a-t-il fallu attendre plus d’une année pour que cette force politique fasse avancer les réformes contenues dans le programme présidentiel qu’elle a fait sien ? La raison tient à la crise qu’a vécue le FLN pendant de longs mois et dont nous avons régulièrement rendu compte dans ces colonnes.
Le 19 mars 2003, l’ancien parti unique tient ses huitièmes assises. Le congrès change ses statuts, conforte son secrétaire général, Ali Benflis, alors Premier ministre, et en fait son candidat contre Bouteflika. Une partie de la base et de l’encadrement entre en dissidence et crée un mouvement dit de redressement, sous la houlette d’Abdelaziz Belkhadem, ministre des Affaires étrangères. Débute alors un long feuilleton juridico-politique qui privera le FLN d’une direction légitime et, par voie de conséquence, paralysera totalement le fonctionnement de l’Alliance. C’est ainsi que le Parlement, où la discipline de vote des élus de la coalition n’est plus respectée, en arrive à entraver nombre de réformes. Des élus du FLN imposent notamment un amendement interdisant l’importation des boissons alcoolisées, disposition embarrassante pour le gouvernement Ouyahia en pleine négociation pour l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Des députés du MSP, de leur côté, proposent une levée de l’état d’urgence en vigueur depuis février 1992, contre l’avis du gouvernement, dont ils font partie.
Cette situation ne prend fin que le 30 janvier 2005, quand l’ancien parti unique reprend ses huitièmes assises et se dote d’une nouvelle direction, confiée à Abdelaziz Belkhadem. Les congressistes, toutefois, ont reçu une lettre émanant d’Abdelaziz Bouteflika : le chef de l’État accepte la proposition qui lui a été faite de devenir président, à titre honorifique, du FLN. Ce qui ne va pas sans provoquer un déséquilibre au sein de l’Alliance. L’inquiétude gagne les militants des formations partenaires. Premier à tranquilliser ses troupes, Ahmed Ouyahia. Le patron du RND convoque son Conseil national dans la foulée et rappelle à ses ouailles que Bouteflika a été élu en tant de candidat indépendant et qu’il est le président de tous les Algériens. Conséquence : sa décision de présider le FLN ne donne pas à ce dernier de nouvelles prérogatives au sein de la coalition. Les islamistes du MSP ne sont pas en reste et réaffirment leur disponibilité à travailler « sur un pied d’égalité avec les partenaires de l’Alliance ».
Quinze jours plus tard, un « sommet » réunissant les trois chefs de parti se tient dans un hôtel de la capitale, à l’occasion du premier anniversaire, le 16 février, de la création de l’Alliance. La cérémonie se révèle plus studieuse que festive : adoption d’une résolution prévoyant la réunion périodique des états-majors des trois partis, création d’un mécanisme de coordination entre les groupes parlementaires et élaboration d’une charte consacrant les objectifs stratégiques communs et l’indépendance de chaque membre vis-à-vis des deux autres en matière de politique interne.
Les résultats ne se font pas attendre. Les projets de loi soumis au Parlement par le gouvernement passent désormais comme une lettre à la poste. Parfois sans débat. Ce qui n’est pas pour rassurer le reste de la classe politique et les médias indépendants du pays. L’Alliance est-elle une étape vers le retour du parti et de la pensée uniques ? s’interroge la presse.
En fait, l’omnipotence de l’Alliance s’explique par le poids électoral de ses trois composantes. La minorité incarnée par les trotskistes du Parti des travailleurs (PT de Louisa Hanoune, 19 députés) et les islamistes du Mouvement de la réforme nationale (MRN-Islah d’Abdallah Djaballah, une trentaine d’élus) a toujours la possibilité de faire de l’opposition au sein des institutions de la République. Ainsi, le PT s’est abstenu lors du vote sur le nouveau code de la famille tandis que le MRN se prononçait contre. Quand Louisa Hanoune a affiché son hostilité à la nouvelle loi sur les hydrocarbures, elle a tenu une conférence de presse, largement diffusée, pour expliquer son choix.
Présenter l’Alliance comme un nouveau parti unique est donc abusif. Son hégémonie sur les institutions est issue de consultations populaires. Même si le basculement du FLN de Benflis vers Belkhadem – donc Bouteflika – n’était pas prévu par les électeurs lors de ces scrutins… Mieux : de nombreux partis politiques demandent à intégrer l’Alliance. Ainsi l’Union pour la démocratie et la république (UDR d’Amara Benyounes) frappe-t-elle à sa porte. Explication : « L’Alliance regroupe deux grands courants politiques du pays, les nationalistes et les islamistes, mais le courant démocratique n’y est pas représenté. Or le programme du président fait de la démocratisation un élément irréversible. L’association de l’UDR à l’Alliance paraît une nécessité historique. »
L’UDR n’est pas la seule formation désireuse de rejoindre une « équipe qui gagne ». D’autres partis formulent le même souhait, soit pour être plus visibles en vue des prochaines législatives, prévues en mai 2007, soit pour bénéficier d’un strapontin dans le gouvernement, ou tout simplement pour ne pas sombrer dans l’anonymat. Mais, avant de penser à tout élargissement de l’Alliance, le pouvoir voudrait d’abord mettre fin à certains ratés dans son fonctionnement. Ainsi en est-il du problème des « indus », terme utilisé pour désigner les vainqueurs des élections locales et régionales de juin 2002 en Kabylie marquées par un boycottage massif.
Pour rappel, après la crise qui secoue cette région depuis avril 2001, des négociations ont eu lieu entre le Premier ministre Ahmed Ouyahia et les représentants de la protesta kabyle. Le gouvernement a pris l’engagement d’organiser des élections partielles. Or certains « indus » refusent cette option et font de la résistance. Disciplinés, ceux du RND démissionnent collectivement. En revanche, les élus du FLN et du MSP concernés traînent les pieds.
Interrogés séparément, Ahmed Ouyahia, Bouguerra Soltani et Abdelaziz Belkhadem font preuve d’optimisme. Le dernier a évoqué un décret présidentiel pour dissoudre les assemblées élues. En attendant, la Kabylie dispose toujours de vrais-faux maires, de conseillers régionaux illégitimes et de députés élus à l’issue de scrutins n’ayant mobilisé que 1 % de l’électorat.

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