Maroc : le déraillement meurtrier de Sidi Bouknadel suscite des interrogations sur l’état du réseau ferroviaire

Erreur humaine ou responsabilité de l’Office national des chemins de fer (ONCF) ? La question est sur toutes les lèvres au Maroc, alors que l’enquête se poursuit sur les causes du déraillement du train circulant entre Rabat et Kénitra, qui a fait sept morts et 125 blessés, mardi 16 octobre.

Des policiers inspectent le train qui a déraillé mardi 16 octobre 2018 à Sidi Bouknadel, au Maroc. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Des policiers inspectent le train qui a déraillé mardi 16 octobre 2018 à Sidi Bouknadel, au Maroc. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Publié le 20 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

La polémique a éclaté dans les heures qui ont suivi l’accident. Mardi 16 octobre, à 10h, le train circulant entre Rabat et Kénitra a percuté les piles d’un pont au niveau de Sidi Bouknadel, à une vingtaine de kilomètres de la capitale marocaine. Les images du drame sont impressionnantes. Le train est disloqué. La locomotive et le wagon de tête sont renversés en travers des voies.

Le dernier bilan officiel fait état de sept morts et de 125 blessés, dont plusieurs dans un état grave.

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Des passagers accusent l’ONCF

Les images ont fait le tour des réseaux sociaux, accompagnées de commentaires très virulents, dont beaucoup pointent la responsabilité de l’Office national des chemins de fer (ONCF) dans le drame.

Des internautes accusent même l’ONCF de n’avoir pas réagi à des alertes données dès le début de matinée par les passagers d’un autre train – le Salé-Tanger qui emprunte le même parcours – et qui aurait été « sur le point de dérailler ». De nombreux passagers du train en question et des trains précédents affirment également avoir informé les responsables de l’ONCF de vacillements de rames à l’endroit où le Rabat-Kénitra a déraillé.

Le lendemain de l’accident, le site marocain d’informations Le Desk publie des échanges entre des techniciens de l’ONCF qui vont dans le même sens. Dans ce qui est présenté comme une discussion entre techniciens de la compagnie ferroviaire, ceux-ci évoquent l’absence d’une signalisation de ralentissement obligatoire à l’endroit de l’accident, ainsi qu’une défaillance au niveau de l’aiguillage de Sidi Bouknadel, repérée et notifiée à la brigade concernée depuis le vendredi 12 octobre.

L’ONCF se défend

Des agents de l'ONCF sur le site de l'accident ferroviaire de Sidi Bouknadel, le 16 octobre 2018. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Des agents de l'ONCF sur le site de l'accident ferroviaire de Sidi Bouknadel, le 16 octobre 2018. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

L’ONCF assure que des équipes techniques spécialisées ont examiné les rails suite aux signalements de passagers

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Dans un communiqué publié le 17 octobre, l’ONCF dément pour sa part « des informations incorrectes reprises par certains utilisateurs des réseaux sociaux ». Si elle reconnaît avoir été avisée des dangers potentiels sur cette partie du tronçon, elle assure que des « équipes techniques spécialisées ont examiné les rails » sur place suite aux signalements. Contactée par plusieurs biais, la compagnie ferroviaire nationale n’a pas répondu à nos appels.

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Lakbir Kamari, patron de la société KGE, chargée de la maintenance des caténaires et partenaire de l’ONCF, assure pour sa part que l’accident n’a pas été provoqué par un problème technique sur le train ou sur les voies.

« J’étais sur place quelques minutes après l’accident. Le moteur qui contrôle l’aiguillage était en parfait état. C’est le train qui a endommagé l’aiguillage après l’accident », affirme à Jeune Afrique cet ancien cadre supérieur de l’ONCF. Pour lui, la faute incombe au chauffeur : « Il n’a pas fait attention au panneau de signalisation et, par habitude, il n’a pas adapté sa vitesse ».

Deux thèses contradictoires entre lesquelles devra trancher l’enquête ouverte pour déterminer les causes de l’accident par le procureur général du roi près la Cour d’appel de Rabat.

Questions sur le niveau de maintenance du réseau

Sur le site de l'accident de train du 16 octobre 2018, à Sidi Bouknadel, à 20 km de Rabat. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Sur le site de l'accident de train du 16 octobre 2018, à Sidi Bouknadel, à 20 km de Rabat. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Les techniciens ne sont pas motivés et pas assez formés, ce qui se fait sentir sur la qualité de l’entretien

Sans attendre les conclusions de cette enquête, plusieurs observateurs estiment que le drame de Sidi Bouknadel met d’ores et déjà en lumière certains dysfonctionnements au sein de l’ONCF. « Le problème ne vient pas de l’état du matériel roulant ou des voies, mais de sa maintenance en général », souligne Lakbir Kamari, qui travaille dans le secteur depuis plusieurs années. Pour lui, la gestion de la maintenance se dégrade d’années en années.

« L’ONCF ne recrute plus ses techniciens directement dans les ateliers. Il s’agit la plupart du temps de contrats intérimaires très mal payés. Les techniciens ne sont donc pas motivés et pas assez formés, ce qui se fait sentir sur la qualité de l’entretien », estime-t-il.

Alerte de la Cour des comptes en 2015

Dans son rapport de 2015, les commissaires de la Cour des comptes avaient déjà attiré l’attention sur la faible utilisation de certains engins de maintenance ainsi que sur le suivi insuffisant des indicateurs de performance de la maintenance. Le rapport qualifiait par ailleurs le matériel roulant du transporteur ferroviaire national d’ « hétérogène et en grande partie ancien ».

Ces dernières années, l’ONCF a décentralisé ses activités de maintenance, qui s’opéraient aupravant principalement dans son plus grand centre, situé à Meknès.

Aujourd’hui, les grands travaux sont sous-traités à des entreprises privées, marocaines ou étrangères, comme la Société chérifienne de matériel industriel ferroviaire (Scif) ou Bombardier Transport. C’est cette dernière qui est d’ailleurs chargée depuis 2017 de la modernisation de la signalisation sur le réseau marocain. Également contactée, l’entreprise canadienne n’a pas donné site à nos sollicitations.

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« En creux, le problème est que l’ONCF donne la priorité au projet de Ligne à grande vitesse (LGV) », , confie à Jeune Afrique un cadre du secteur, sous couvert d’anonymat.

La construction d’une troisième voie grande vitesse entre Casablanca et Kénitra est toujours en cours, et, selon notre source « le matériel roulant, les voies, les ateliers de maintenance… Tout y est parfaitement mis à niveau. Alors que de l’autre côté, il y a du matériel ancien et mal contrôlé. Même le personnel qualifié est affecté au projet de la LGV. Toute les énergies sont concentrées sur cette nouvelle voie, et trop peu sur la mise à niveau de celles déjà existantes ».

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