[Tribune] Pour une abrogation de la polygamie au Congo

La député-maire de la circonscription de Kintelé, au Congo, veut faire voter une loi abrogeant la polygamie dans la pays. Stella Mensah Sassou N’Guesso expose ici ses arguments pour en finir avec une tradition qui « fait de la femme une citoyenne de seconde zone ».

Un groupe de jeunes femmes à Brazzaville, en 2016 (Illustration). © Baudouin Mouanda pour JA

Un groupe de jeunes femmes à Brazzaville, en 2016 (Illustration). © Baudouin Mouanda pour JA

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Publié le 19 octobre 2018 Lecture : 5 minutes.

D’après les spécialistes qui ont observé la femme africaine pendant une bonne partie du XXe siècle, sa réussite sociale a partie liée avec le mariage et la maternité. Une telle perception permettait même d’envisager que la femme avait accédé à un statut social élevé parce qu’elle était devenue épouse et mère.

Devenir une épouse, même dans un foyer polygamique, était donc un accomplissement pour la femme. À l’époque, ce type d’union était justifié par la nécessité de sceller des alliances politiques, celle d’avoir une main d’œuvre – de femmes et d’enfants – suffisante pour les travaux champêtres ou encore celle de dispenser à l’homme les frustrations d’une abstinence post-partum prétendument longue.

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Polygamie, à la gloire des hommes et aux dépends des femmes

En dépit de l’élévation sociale qu’un tel mariage confère à la femme, il constitue l’un des marqueurs majeurs de l’inégalité femme-homme en Afrique. Notre continent est le principal espace géographique mondial (en dehors de l’Asie et du Moyen-Orient) où il existe la polygamie.

La polygynie, par laquelle seuls les hommes ont le droit de prendre plusieurs épouses, fait de la femme une citoyenne de seconde zone

En effet, sur 33 pays qui la pratiquent dans le monde, 25 se trouvent en Afrique. Ce qui pose problème, ce n’est pas l’existence de la polygamie en elle-même. Tout ceci devient problématique parce que la polygamie qui y prospère est davantage de la polygynie. En tant que telle, cette forme de polygamie, par laquelle seuls les hommes ont le droit de prendre plusieurs épouses, fait de la femme une citoyenne de seconde zone. En effet, les femmes n’ont pas droit, comme les hommes, de prendre plusieurs conjoints et d’ailleurs, elles ne le revendiquent pas!

En revanche, on se rend bien compte qu’en dépit de nombreux textes de lois et de règlement qui proclament, instituent et prescrivent l’égalité de tous devant la loi, les femmes et les hommes ne sont pas égaux devant le mariage. Tel est le cas de la République du Congo. En dépit d’un corpus législatif international, communautaire et national qui édicte le principe d’égalité des sexes, les femmes demeurent inférieures aux hommes dans le mariage, quelle que soit la forme de conjugalité, monogamique ou polygamique.

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En effet, selon l’article 135 du Code de la famille, en cas de monogamie, les époux peuvent s’accorder pour que l’époux prenne une autre épouse. En cas de polygamie, seul l’époux a droit à une seconde épouse, voire davantage, jusqu’à quatre. Il n’existe donc pas d’égalité de genre qui induit, selon la Banque mondiale, les trois principes que sont : l’égalité devant la loi, l’égalité des chances et une opinion qui a le même poids qu’on soit un homme ou une femme.

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Les servitudes de la polygamie

En plus de créer et d’entretenir une inégalité entre les femmes et les hommes, la polygamie hiérarchise les femmes selon leur ordre d’arrivée dans le foyer, leur capacité à procréer ou d’autres variables toutes aussi farfelues que subjectives. Ces femmes sont donc contraintes à faire de nombreux efforts pour bénéficier de l’attention qui leur est pourtant due par leur mari.

La femme est ravalée au simple statut de bien matériel que les hommes se plaisent et se complaisent à accumuler

Elles ploient en permanence sous l’épée de Damoclès de l’incertitude constante de l’éventuelle arrivée d’une nouvelle coépouse. Dans ce contexte, la femme est ravalée au simple statut de bien matériel que les hommes se plaisent et se complaisent à accumuler sans tenir compte des conséquences sur ces dernières.

Il en résulte des femmes malheureuses, dépourvues d’estime de soi et exposées aux maladies sexuellement transmissibles et au Sida. Le contexte anxiogène accru d’un foyer polygame affecte le développement des enfants, contribue à les rendre violents, les  expose au trouble d’apprentissage et aux conflits liés à l’héritage.

Quant aux hommes polygames, ils ont un niveau de sollicitations de toutes sortes tellement élevée qu’ils sont rapidement épuisés psychologiquement et incapables de se réaliser professionnellement. Il en découle des sentiments de culpabilité, d’impuissance et de honte dans certains cas.

Viser l’abrogation d’une telle loi n’est pas une lubie de féministe qui veut que le monde d’avant s’effondre.

Abroger une loi injuste

Face aux nombreuses conséquences désastreuses sur la société, il est temps de renoncer à ces lois injustes qui instaurent la polygynie. Une telle abrogation est indispensable pour que la loi qui encadre les formes d’union soit totalement juste.

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Il est temps d’y mettre un terme pour que l’inégalité femme-homme qui prospère grâce à cette injustice depuis des siècles, soit résorbée. Il est enfin temps de donner à la femme les droits qui lui reviennent car elle est l’égale de l’homme.

L’abrogation de la polygamie que je vise n’est pas une autre belle et douce loi qui sert de ruse pour endormir les femmes

Viser l’abrogation d’une telle loi n’est pas une lubie de féministe qui veut que le monde d’avant s’effondre. Il s’agit simplement de mettre un terme à une loi fondamentalement arbitraire. Rompre cette injustice ne vise pas à dénier les droits acquis par les 15% de polygames que comptent les villes et les campagnes congolaises.

Lutter pour l’abrogation de la polygamie n’est pas non plus un combat contre toutes ces femmes dotées subrepticement par leurs soupirants. La nouvelle loi que je soutiens vise l’officialisation de toutes ces concubines clandestines qui n’ont aucun droit, ni  celui de fréquenter ouvertement leur compagnon, ni de l’aimer de façon officielle, ni celui d’afficher leur peine s’il décédait, encore moins celui de prétendre à quelque héritage pour elle ou pour leurs enfants.

Lutter contre la polygamie vise à assainir le paysage touffu des unions illicites qui constituent une duperie permanente des femmes.  L’abrogation de la polygamie que je vise n’est pas une autre belle et douce loi qui sert de ruse pour endormir les femmes. Cette loi contre la polygamie est assortie d’articles fondamentalement contraignants par lesquels toutes les personnes contrevenantes seront sévèrement sanctionnées si elles se rendaient coupables. Par-delà la réparation d’une injustice à l’égard des femmes qui n’a que trop duré, le bonheur de nos familles en dépend.

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