[Tribune] Big Brother numérique

En 2017, les réseaux ont été coupés dans neuf pays africains. En Afrique, comme ailleurs, la « démocratie numérique » fait face à aux vieilles pratiques de contrôle et de répression.

Un homme surfe sur Internet dans un cyber-café de Cotonou, au Bénin, le 24 février 2016. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

Un homme surfe sur Internet dans un cyber-café de Cotonou, au Bénin, le 24 février 2016. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

nanjala_nyabola

Publié le 26 octobre 2018 Lecture : 3 minutes.

En septembre, les représentants de 47 pays se sont réunis à Accra pour la présentation du rapport 2018 sur l’état de la liberté de l’internet sur le continent. Ce rapport, que l’on doit à la Collaboration sur la politique internationale des TIC en Afrique de l’Est et en Afrique australe (Cipesa), s’est intéressé au fait que, dans plusieurs pays du continent, il y a une vraie tendance à la répression en ligne. Un nombre important d’États investissent même dans une surveillance accrue des cyberactivités de leurs citoyens.

Cette tendance globale et l’inquiétude qu’elle suscite se traduisent de manière très simple : en 2014, le premier sommet de la Cipesa n’avait attiré que 80 participants. Cette année, nous étions déjà plus de 250. Il faut dire qu’en quatre ans les coupures internet décidées dans le huis clos des palais présidentiels ou dans les couloirs feutrés des primatures sont devenues monnaie courante

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La palme des coupures internet au Cameroun

Rien qu’en 2017, neuf pays d’Afrique ont délibérément suspendu leur réseau, la palme revenant au Cameroun, où les régions anglophones ont dû s’en passer pendant près de deux cent trente jours. Six pays africains ont par ailleurs menacé d’instaurer ou ont déjà mis en place une taxation spécifique pour limiter l’accès à différentes plateformes. Par endroits, des individus ont été arrêtés et accusés de trahison pour des commentaires publiés en ligne.

Il y a une dizaine d’années, on aurait eu du mal à faire le lien entre ces événements. Chez moi, au Kenya, par exemple, ont été lancés en 2007 M-Pesa, le système de transfert d’argent par téléphone portable, et Ushahidi, un programme open source imaginé pour localiser les rues à éviter lors des violences électorales, qui a depuis conquis la planète.

Cette année-là, le pays s’est fait un nom dans les TIC à l’échelle du continent. Nombreux sont ceux qui ont voulu voir dans ces innovations la preuve que l’Afrique était bien en train d’émerger. Et de fait, dix ans plus tard, le montant des tran­s­actions effectuées depuis un mobile équivalait au tiers du PIB du Kenya.

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Mais tout cela a été possible uniquement parce que le gouvernement avait d’abord sous-estimé internet. Quand il s’y est subitement intéressé, l’infrastructure de base était déjà en place. Le contexte politique avait également changé : les violences postélectorales de la fin de l’année 2007 avaient terni l’image du pays et rompu le lien entre le peuple et ses dirigeants. Il fallait à nos gouvernants une victoire. Pourquoi pas dans les TIC ? En 2009, sous le président Kibaki, le Kenya s’est doté d’un réseau de fibre optique permettant les connexions les plus rapides du monde, ou presque.

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Un cadre législatif nécessaire

Mais les gouvernements apprennent de leurs « erreurs ». Début septembre, le Kenya a annoncé une nouvelle – et lourde – taxe internet ainsi qu’un prélèvement de 15 % sur les transactions mobiles. Depuis 2013, le gouvernement a tenté à trois reprises au moins d’introduire un projet de loi visant à restreindre la liberté d’expression en ligne.

Selon l’ONG Privacy International, les autorités kényanes sont en train de mettre en place un système de surveillance numérique sophistiqué soumis à peu de contrôle juridique. Et tandis qu’une loi sur la protection des données est actuellement en discussion au Parlement, le gouvernement et les entreprises privées disposent déjà des moyens nécessaires pour collecter et utiliser les données personnelles de millions d’habitants.

Au Kenya, il y a un monde entre la société à laquelle nous aspirons et que nous bâtissons en ligne et l’État, qui ne peut s’empêcher de verser dans l’autoritarisme. Tant que le gouvernement n’y prêtait pas attention, internet incarnait un idéal. Mais lorsque la « démocratie numérique » est devenue réelle et qu’elle n’a plus seulement été un argument de marketing politique, le gouvernement a renoué avec les vieilles pratiques, le contrôle et la répression.

Bien sûr, il n’y a pas qu’en Afrique que des menaces pèsent sur la liberté en ligne. Il n’est pas non plus question d’idéaliser ce qui se passe sur internet, et il est absolument nécessaire de mettre en place un cadre législatif approprié. Les gouvernements, au Kenya ou ailleurs, ont évidemment un rôle à jouer, mais nous aurions tort de nous en remettre aveuglément à des gens qui font aussi peu de cas du bien-être de leurs concitoyens.

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