RFI la brousse et le satellite
Trente ans après sa création, Radio France internationale est devenue l’une des toutes premières stations mondiales sans avoir perdu son identité africaine.
Radio France internationale a fêté ses trente ans le 17 février. Ce jour-là, la radio a chamboulé sa grille pour accorder une large place aux témoignages des journalistes, anciens et nouveaux, mais aussi à ses auditeurs. Ils sont 40 millions de fidèles dans le monde, dont la moitié en Afrique, l’épine dorsale de la station française internationale, son premier bassin d’écoute. Là-bas, RFI est bien plus qu’une radio : c’est une institution, une référence, que les auditeurs se sont appropriée, et avec laquelle ils entretiennent une relation affective forte. Et compliquée.
Lointaine héritière du Poste colonial créé en 1931, RFI est née en tant que telle le 6 janvier 1975 d’un traumatisme – l’éclatement de l’Office de radiodiffusion télévision française – et d’une ambition revue à la baisse. « Le président Valéry Giscard d’Estaing avait renoncé à l’idée d’une radio mondiale », se souvient Jacqueline Papet, journaliste et « mémoire » de la station, qu’elle a connue à ses débuts. « Quatorze des dix-sept rédactions en langues étrangères ont été supprimées, et les moyens de diffusion en ondes courtes ont été redéployés vers le pré carré francophone. » C’est à ce moment que la radio a affirmé son identité africaine, avec les moyens du bord, soit quarante journalistes. En reprenant des émissions de France Inter, et, surtout, en produisant journaux et magazines propres. « Notre responsabilité était énorme, car RFI était à l’époque la seule source d’information indépendante et crédible en Afrique. Dès le départ, les retours d’écoute se sont révélés excellents. 33 000 lettres d’auditeurs en 1976 ! Nous avions trouvé un public… », poursuit Jacqueline Papet.
L’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, et la nomination d’Hervé Bourges à la direction générale de RFI – qui n’était encore qu’une des cinq directions de Radio France -, marque un deuxième tournant. Rallonges budgétaires, plan de développement quinquennal, retour des émissions en langues étrangères en direction des pays de l’Est. La rédaction s’étoffe, l’ambition renaît, RFI devient enfin une radio mondiale, concurrente de la BBC anglaise, de la Voice of America et de la Deutsche Welle (Allemagne). Pourtant sa clientèle reste captive.
Les bouleversements géopolitiques qui suivent la chute du mur de Berlin, après 1989, changent la donne. RFI, érigée en société indépendante depuis 1986, s’adapte rapidement et profite de l’ouverture du champ médiatique, en Afrique et dans les pays anciennement communistes, en implantant, partout où cela est possible, des relais FM. Elle en possède aujourd’hui 130, dont la moitié en Afrique – mais aucun au Maghreb, excepté à Nouakchott… Cette stratégie de présence tous azimuts, dans un environnement devenu concurrentiel, s’est accompagnée d’une régionalisation plus poussée des programmes et de la création de filiales, à Sofia (Bulgarie) ou à Bucarest (Roumanie) par exemple.
Dicté au départ par les circonstances, le passage à la FM a permis à RFI d’améliorer le confort d’écoute, de réduire ses coûts de diffusion, de se rapprocher du public et de gagner un nombre incalculable d’auditeurs. La FM a aboli la distance. RFI est rentrée dans les foyers et dans les voitures. C’est la radio la plus écoutée à Dakar ou à Bamako. Journalistes et correspondants se retrouvent obligés de jongler en permanence « entre le village et la planète »…
Jamais, pourtant, la direction n’a envisagé d’abandonner les ondes courtes, son vecteur traditionnel : elles restent un moyen d’arroser zones rurales et villes secondaires. Et, surtout, elles protègent des « intempéries politiques ». Les émissions en FM peuvent être facilement interrompues, les émetteurs étant installés sur le territoire d’États souverains. Ondes courtes et diffusion par satellite, via le système worldspace, garantissent l’indépendance de la radio. Car les pouvoirs en place résistent rarement à la tentation de faire taire RFI dès qu’un bulletin d’information déplaît ou que leurs relations se dégradent avec la France. C’est le cas actuellement à Djibouti, après les derniers rebondissements dans l’enquête sur la mort du juge Borrel : l’émetteur FM a cessé de fonctionner depuis la mi-janvier 2005. À Abidjan, l’émetteur de RFI a été saboté quelques jours avant le début de l’offensive de l’armée du président Gbagbo contre les rebelles du Nord, en novembre 2004, tandis qu’à Lomé, au Togo, les émissions ont été interrompues dès l’annonce de la mort du président Gnassingbé Eyadéma. Elles ont repris au bout de deux jours.
Accusée hier de ménager les gouvernements africains, la radio française est aujourd’hui fréquemment dans le collimateur des autorités locales, qui lui reprochent de « rouler » pour l’opposition. RFI est toujours perçue, par beaucoup de gouvernements africains, comme un média aux ordres. Inféodé à la diplomatie française. En réalité, si la station est propriété d’un actionnaire unique, l’État français, et bien que ses crédits, votés par le Parlement, proviennent du ministère des Affaires étrangères (71,42 millions d’euros en 2004) et de la redevance audiovisuelle (53 millions d’euros), elle est aujourd’hui indépendante du pouvoir politique. Elle n’est plus – si elle l’a jamais été -, « la Voix de la France », même si, à l’antenne, ses journalistes ne se distinguent pas toujours par la virulence de leurs critiques à l’égard des positions défendues par la diplomatie tricolore. Les directions successives de la chaîne ont pu, dans leurs rapports avec les officiels étrangers, entretenir l’ambiguïté sur le degré réel de liberté laissé à la rédaction. Et nourrir ainsi les fantasmes. « Pour calmer des interlocuteurs outrés par un papier trop impertinent, pour arrondir les angles, il est souvent arrivé, et encore dernièrement sur l’affaire de Djibouti, que la direction laisse entendre qu’il s’agit d’un simple dérapage, et qu’elle prendra des dispositions pour que cela ne se reproduise plus, observe un bon connaisseur des arcanes de la Françafrique. Bien sûr, la rédaction, elle, est soigneusement tenue à l’écart de ces négociations, et est censée tout ignorer de ce double discours. »
Pour les journalistes, en revanche, les choses sont claires. Arrachée de haute lutte, leur liberté éditoriale n’est pas négociable. Les pressions ? « On fait le gros dos, explique un confrère de la rédaction parisienne. La dernière fois où nous avons eu à en subir directement, c’était en 2002, avant le passage d’une interview d’Agbéyomé Kodjo, l’ancien Premier ministre togolais, limogé par Eyadéma. La diffusion avait finalement été maintenue, mais le programme avait été brouillé à Lomé. Depuis, nous avons la paix, du moins avec Paris. » La disparition tragique de Jean Hélène, correspondant de RFI à Abidjan, assassiné par un sergent de police devant un commissariat, en octobre 2003, n’est sûrement pas étrangère à ce nouveau modus vivendi. « Les autorités françaises n’osent plus intervenir, car le traumatisme reste fort, et le travail de nos correspondants a été en quelque sorte sacralisé, poursuit notre confrère. RFI est aux avant-postes, et elle a payé un lourd tribut à la liberté d’informer, en perdant Joanne Sutton, en Afghanistan, et Jean Hélène en Côte d’Ivoire. En Irak, Christian Chesnot a été retenu en otage par l’Armée islamique pendant plus de cent jours… »
C’est sous la présidence de Jean-Paul Cluzel, nommé en 1995 et qui a quitté ses fonctions en 2004, que RFI a achevé sa mue en radio mondiale. RMC-Moyen-Orient, très bien implantée dans le monde arabe (12 millions d’auditeurs), où elle diffuse en ondes moyennes, et auparavant contrôlée par un holding public, la Sofirad, s’est transformée en filiale. RFI est passée dès 1996 au format tout-info qu’on lui connaît aujourd’hui. Faut-il s’attendre à des bouleversements après l’arrivée aux commandes d’Alain Schwarz, et, en particulier à une réorganisation des rédactions en langues étrangères ? Pour l’instant, les grilles n’ont pas beaucoup évolué. Rendez-vous le 8 avril prochain, date de la réunion du conseil d’administration qui se penchera sur le nouveau « projet d’entreprise » de RFI…
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