Affaire Khashoggi : l’Arabie saoudite admet que le journaliste a été tué dans son consulat d’Istanbul

Riyad a admis, samedi 20 octobre, que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi avait bien été tué à l’intérieur du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. L’affaire, qui suscite un tollé mondial, a terni l’image du royaume au point que le prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS) s’en trouve fragilisé.

Un homme entre dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, où Riyad a admis que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi a été tué. © Lefteris Pitarakis/AP/SIPA

Un homme entre dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, où Riyad a admis que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi a été tué. © Lefteris Pitarakis/AP/SIPA

Publié le 20 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

La confirmation de la mort de Jamal Khashoggi a été relayée peu avant l’aube, samedi 20 octobre, par l’agence de presse officielle saoudienne SPA, qui a fait état du limogeage de deux hauts responsables saoudiens et de l’arrestation de 18 suspects, tous saoudiens. L’annonce a été saluée comme un « pas très important » par le président américain Donald Trump, grand allié de l’Arabie saoudite.

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Le corps toujours introuvable

« Les discussions entre Jamal Khashoggi et ceux qu’il a rencontrés au consulat du royaume à Istanbul (…) ont débouché sur une rixe, ce qui a conduit à sa mort », a déclaré SPA, citant le Parquet.

Le procureur général Saoud al-Mojeb a lui-même diffusé un communiqué détaillant le déroulement des faits : « Les discussions qui ont eu lieu entre lui et les personnes qui l’ont reçu au consulat saoudien à Istanbul ont débouché sur une bagarre et sur une rixe à coups de poing avec le citoyen Jamal Khashoggi, ce qui a conduit à sa mort – que son âme repose en paix ! »

Le procureur général n’a toutefois pas précisé où se trouvait le corps de Khashoggi, alors que les enquêteurs turcs poursuivaient leurs investigations, fouillant notamment une vaste forêt proche d’Istanbul.

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Ali Shihabi, directeur d’un centre de réflexion considéré comme proche du pouvoir à Riyad, a quant à lui livré une autre version : « Khashoggi est mort d’un étranglement lors d’une altercation physique, pas d’une rixe à coups de poings. »

Plus tard, le ministère de l’Information a affirmé dans une déclaration en anglais que les discussions au consulat avaient pris « une tournure négative », entraînant une bagarre qui a conduit à la mort de Khashoggi et à une « tentative » par les personnes qui l’avaient interrogé de « dissimuler ce qui est arrivé ».

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Limogeages et arrestations

Le journaliste Jamal Khashoggi en février 2015 lors d'une conférence de presse. © Hasan Jamali/AP/SIPA

Le journaliste Jamal Khashoggi en février 2015 lors d'une conférence de presse. © Hasan Jamali/AP/SIPA

Jusqu’ici, les autorités saoudiennes affirmaient que Khashoggi, qui était entré le 2 octobre au consulat d’Istanbul pour des démarches administratives, en était ressorti vivant. Elles avaient qualifié de « sans fondement » les accusations de responsables turcs selon lesquelles le journaliste avait été tué dans l’enceinte du consulat.

En confirmant la mort de Jamal Khashoggi, l’Arabie saoudite, dont l’image a considérablement souffert depuis l’éclatement de l’affaire, a annoncé la destitution d’un haut responsable du renseignement, le général Ahmed al-Assiri, et celle d’un important conseiller à la cour royale, Saoud al-Qahtani, deux proches collaborateurs du jeune et puissant prince héritier Mohamed Ben Salman, surnommé MBS.

Pressions américaines

Donald Trump lors de sa visite en Arabie saoudite, le 21 mai 2017. © Evan Vucci/AP/SIPA

Donald Trump lors de sa visite en Arabie saoudite, le 21 mai 2017. © Evan Vucci/AP/SIPA

Donald Trump avait admis jeudi que Khashoggi était très probablement mort, menaçant l’Arabie saoudite de « très graves » conséquences. Vendredi, l’administration Trump avait adressé une nouvelle mise en garde à Riyad, évoquant de possibles sanctions tout en s’inquiétant des retombées sur la relation stratégique et commerciale entre Washington et Riyad.

Nous sommes attristés d’apprendre que la mort de M. Khashoggi a été confirmée

À un journaliste qui lui demandait s’il jugeait « crédible » la version annoncée par Riyad samedi, Donald Trump a répondu par l’afirmative, ajoutant : « Encore une fois, il est tôt, nous n’avons pas fini notre évaluation, ou enquête, mais je pense qu’il s’agit d’un pas très important. »

« Nous sommes attristés d’apprendre que la mort de M. Khashoggi a été confirmée », a quant à elle déclaré la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Sanders.

Les États-Unis notent « que l’enquête sur le sort de Jamal Khashoggi progresse et que [le royaume saoudien] a entrepris des actions à l’encontre des suspects qui ont été pour l’instant identifiés », a-t-elle ajouté. Les États-Unis vont « appeler à ce que justice soit rendue dans les meilleurs délais et de manière transparente, et en accord avec l’Etat de droit ».

Guterres « profondément troublé »

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est déclaré « profondément troublé » et « souligne la nécessité d’une enquête rapide, approfondie et transparente sur les circonstances du décès ».

Des élus américains, y compris dans le camp républicain, se sont montrés plus durs que la Maison Blanche et ont exprimé leur circonspection par rapport à la version de Riyad.

Hatice Cengiz, la fiancée turque de Jamal Khashoggi, a diffusé un tweet samedi dans lequel elle dit que son coeur est « rempli de chagrin » et ses « yeux de larmes ». « Nous sommes peinés par notre séparation, Jamal mon amour ».

MBS, « leader tribal démodé »

Le magazine Newsweek a diffusé une interview posthume de Khashoggi, dans laquelle il affirmait ne pas appeler au renversement du pouvoir saoudien, « parce que ce n’est pas possible », mais simplement souhaiter « une réforme du régime ».

Il disait accepter « bien sûr » un poste de conseiller auprès de MBS car « je veux une Arabie saoudite meilleure ». Mais il dénonçait son style « autoritaire », affirmant qu’en dépit de ses réformes, il dirige le royaume comme son grand-père : « C’est un leader tribal démodé. »

« Renvoyer Saoud al-Qahtani et Ahmed al-Assiri, c’est aller aussi près de MBS qu’il est possible d’aller », a relevé l’expert Kristian Ulrichsen, du Baker Institute de l’université de Rice, aux Etats-Unis.

« Si le goutte à goutte de détails supplémentaires [sur la mort de Khashoggi] continue, il n’y a plus de tampon pour protéger MBS ».

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Critique envers MBS, Jamal Khashoggi vivait en exil depuis 2017 aux Etats-Unis où il collaborait notamment avec le Washington Post.

La confirmation de sa mort a eu lieu après une nouvelle conversation téléphonique entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le roi Salman. Ils « ont souligné l’importance de continuer à travailler ensemble en complète coopération », selon une source à la présidence turque.

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