Purger sa peine en « enfer », la vie dans les prisons de Sierra Leone

Surpopulation, conditions sanitaires déplorables, maladies, alimentation minimale, violences… Au Sierra Leone, les détenus vivent l’enfer. Reportage.

Des détenus dans la cour de la prison de Kenema, le 12 octobre 2018 en Sierra Leone. © Afp.com – Saidu BAH

Des détenus dans la cour de la prison de Kenema, le 12 octobre 2018 en Sierra Leone. © Afp.com – Saidu BAH

Publié le 21 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

Un rayon de lumière pénètre l’air vicié par une ouverture de la taille d’un poing. Il révèle des corps nus, en sueur, entassés côte à côte comme des sardines, couchés dans l’obscurité sur un sol en béton gras.

L’odeur d’urine et d’excréments venant d’un seau en plastique qui déborde – un unique seau pour une cellule contenant peut-être 20 personnes – prend à la gorge. La scène se déroule au centre correctionnel de Bo, dans le sud de la Sierra Leone.

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C’est l’une des huit prisons visitées la semaine dernière pour évaluer l’état des établissements pénitentiaires du pays qui, selon des voix indépendantes, constituent un scandale national.

Le tableau est digne d’un Zola tropical: cellules surpeuplées et mal éclairées, dont les détenus ont dit souffrir de maladies, nourriture pourrie, blattes et punaises de lit, climat de violence…

Même la nourriture sent mauvais

« J’ai été pris avec deux paquets de marijuana. J’ai passé trois ans en détention provisoire – c’est comme vivre en enfer », a expliqué un détenu. « Le manque d’espace est tel que les gens doivent se relayer » pour s’allonger tour à tour, a déclaré l’un d’eux, qui, comme beaucoup d’autres, a demandé à ne pas être nommé par crainte de représailles des gardiens.

Nous traitons les personnes en détention comme si elles n’existaient pas

« Les couvertures et les tapis sont un luxe dans notre cellule. Même ce que nous mangeons sent mauvais », a dit un autre. « La violence entre les détenus pour la nourriture, l’eau et l’espace est courante », a déclaré un homme soutenu par des béquilles dans la prison de Kenema, la troisième ville de ce pays d’Afrique de l’Ouest. « C’est une jungle, c’est la survie du plus fort. »

En 2016, la Commission des droits de l’homme de Sierra Leone a qualifié d’ « inhumains » la misère et le manque de programmes de réhabilitation ou d’éducation dans les prisons du pays.


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Walter-Neba Chenwi, spécialiste de l’État de droit au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui a un projet d’amélioration des prisons sierra-léonaises, juge les conditions de détention « très inférieures aux normes internationales en matière de droits de l’Homme ».

« Nous traitons les personnes en détention comme si elles n’existaient pas », renchérit Ahmed Jalloh, un militant d’un groupe local de surveillance, Prison Watch.

Entassés

« Sur les 4 525 détenus des prisons sierra-léonaises, nous avons 2 659 personnes en trop par rapport à la capacité des établissements et contraintes de trouver une place dans des cellules surpeuplées », a déclaré Dennis Herman, directeur des ressources humaines du Service correctionnel de Sierra Leone.

La prison de Kenema, en pierre et construite en 1826 sous la domination coloniale britannique, peut en théorie accueillir 75 détenus. Mais ils sont environ 300, d’après son directeur Lamin Sesay.

Au pénitencier de Bo, destiné à 80 détenus mais abritant 300 personnes lui aussi, le gardien Mohamed Opinto Jimmy a déclaré qu’entre 15 et 20 personnes étaient entassées dans des cellules qui, selon la réglementation, devraient avoir un maximum de quatre occupants.

Des détenus derrière des grilles de la prison de Magburaka, le 10 octobre 2018 en Sierra Leone Des détenus derrière des grilles de la prison de Magburaka, le 10 octobre 2018 en Sierra Leone. © afp.com – Saidu BAH

Des détenus derrière des grilles de la prison de Magburaka, le 10 octobre 2018 en Sierra Leone Des détenus derrière des grilles de la prison de Magburaka, le 10 octobre 2018 en Sierra Leone. © afp.com – Saidu BAH

Les maladies et le manque d’accès aux soins sont monnaie courante, selon les agents pénitentiaires. À Bo, il n’y a qu’un seul agent de santé pour 300 détenus, dont beaucoup souffrent de maladies chroniques telles que la tuberculose, le sida et le paludisme.

Les détenus sont stigmatisés par la population

« Certains détenus, anémiques, sont trop faibles pour marcher autour des blocs cellulaires. Ils se glissent dans des coins pour un peu de nourriture, d’eau et d’espace », raconte l’agent de santé.

Alors que la gale est une maladie de la peau répandue, les détenus ne peuvent rester propres: souvent, ils ne peuvent se doucher qu’une fois par semaine parce que l’eau est rationnée.


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Les détenus de Bo sont obligés de parcourir des kilomètres vers des ruisseaux pollués ou à des puits creusés à la main pour remplir des jerricans et les ramener à la prison.

« Étant donné le risque d’évasion, nous affectons habituellement de nombreux gardiens pour escorter les détenus », a déclaré le gardien Jimmy. Mais du coup, « les détenus sont stigmatisés par la population, qui les voit marcher dans la rue en tenue de prisonniers ».

Réformes

Face à ce sombre tableau, les défenseurs des droits espèrent des améliorations.

Le ministère de la Justice de la Sierra Leone vient d’achever un programme intitulé « From Prison to Corrections », soutenu par le PNUD et les États-Unis, qui vise à former 30 agents pénitentiaires et à promouvoir de meilleures conditions de détention (accès aux soins et à des cellules correctes, programme de réhabilitation…)

Plus de 85% des détenus ont entre 15 et 35 ans

Et le PNUD effectue des travaux de construction et de réhabilitation, principalement dans les secteurs de l’eau et de l’assainissement, dans huit des 19 prisons du pays.

Mais le juge de cour d’appel Nicholas Browne-Marke a expliqué qu’une aide était également nécessaire pour le système judiciaire de la Sierra Leone, sous-financé et chroniquement engorgé.

Plus de 85% des détenus ont entre 15 et 35 ans. De nombreux jeunes sont détenus pour des délits mineurs et passent de longues périodes en prison en détention provisoire ou pendant leur procès, ce qui entraîne une congestion dans les établissements, a-t-il dit.


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« La majorité des détenus sont en prison pour vagabondage, vol de téléphone, drogue ou pour de simples disputes », a déclaré Browne-Marke à l’AFP.

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« Nous essayons de décongestionner les installations en accélérant les procès. Une application pour les affaires en attente a été lancée à l’intention de tous les juges et magistrats afin d’encourager un procès et une conclusion rapides des dossiers. »

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