Mort d’une compagnie

Publié le 28 février 2005 Lecture : 3 minutes.

Comme la plupart des mauvais feuilletons, la liquidation de Cameroon Airlines traîne en longueur. Inscrite sur la liste des « privatisables » en 1994, cette entreprise, qui symbolisa longtemps le Cameroun hors de ses frontières, est en train de disparaître (voir pages 90-93), et ce ne sont pas ses usagers qui la regretteront le plus. Pourtant, à l’origine, Camair, c’est d’abord une affaire d’orgueil national. La compagnie a été créée en juillet 1971, à la suite de la décision camerounaise de quitter le consortium Air Afrique. Pour l’État actionnaire, il s’agissait de se doter d’un véritable « outil de souveraineté ». Le transport aérien relevant presque d’un droit régalien, au même titre que celui de battre monnaie ou de lever une armée, la rentabilité n’est alors qu’un souci secondaire.
Mais en l’espace de trois décennies, le contexte international a radicalement changé, et le transport aérien est devenu hyperconcurrentiel. Simultanément, une redistribution des cartes s’est opérée à l’échelle mondiale. En Afrique francophone, la disparition du consortium Air Afrique a créé un vide que les ex-États membres ont tenté de combler en cédant leurs droits de trafic à des opérateurs privés, donnant ou redonnant naissance à Air Sénégal International, Air Burkina, Air Mali ou Air Ivoire.
En Afrique centrale, cette mutation a été plus lente, le Gabon et le Cameroun ayant préféré privilégier leur propre compagnie nationale plutôt que de continuer à participer à l’aventure d’Air Afrique. Subventionnant allégrement leur pavillon national, ces deux pays pétroliers ont perpétué un modèle aujourd’hui dépassé. Celui d’un État gestionnaire omnipotent, dépensier et, finalement, peu respectueux des usagers. Confrontés à partir des années 1990 à des difficultés financières récurrentes, Libreville et Yaoundé ont dû réduire les subventions destinées à leurs compagnies respectives, celles-ci étant structurellement déficitaires et surendettées.
Cette descente aux enfers que Camair connaît aujourd’hui n’épargne pas non plus Air Gabon et compromet gravement l’avenir du trafic aérien en Afrique centrale. Toutefois, la nature ayant horreur du vide, la liquidation partielle de Camair intervient au moment où une nouvelle compagnie sous-régionale est sur le point de voir le jour. Un protocole d’accord doit être signé dans les jours à venir à Libreville entre le secrétaire exécutif de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), dont le Cameroun est membre, et le PDG de Royal Air Maroc (RAM), partenaire technique de la future « Air Cemac ». Son lancement est prévu dans le courant de l’année 2005. Elle sera dotée d’une double structure. La première, dont la RAM sera actionnaire à 100 % dans un premier temps, détiendra la flotte, les personnels navigant et technique, les moyens communs, et assurera la maintenance des avions. La seconde sera constituée des filiales nationales qui seront chargées du personnel local ainsi que des opérations commerciales et de marketing. Comme pour Air Afrique, les pays souscripteurs mettront donc leurs droits de trafic en commun. Mais, contrairement à l’option retenue par le consortium aujourd’hui disparu, la gestion de la nouvelle compagnie serait totalement privée.
Inspiré de l’expérience réussie d’Air Sénégal International (filiale de la RAM) en Afrique de l’Ouest, le projet bénéficie déjà du soutien de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement. Ce schéma, défendu par le président gabonais Omar Bongo Ondimba, n’a pas encore emporté l’adhésion du Cameroun, qui rechigne toujours à mettre ses droits de trafic dans le pot commun d’Air Cemac. Mais les circonstances pourraient l’obliger à céder. Dépourvu de transporteur aérien national, Yaoundé risque d’être totalement dépendant des compagnies occidentales – Air France en tête – pour assurer ses liaisons avec le reste du monde. Camair à l’agonie, le refus de souscrire au projet d’Air Cemac serait perçu comme de l’orgueil mal placé.

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