[Tribune] Cameroun : il ne faut pas céder à la fracture ethnique

L’écrivain et chercheur camerounais Éric Essono Tsimi défend le caractère démocratique de l’élection qui a vu la réélection de Paul Biya pour un septième mandat.

Le président sortant camerounais Paul Biya, votant lors de la présidentielle à Yaoundé, le 7 octobre 2018. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Le président sortant camerounais Paul Biya, votant lors de la présidentielle à Yaoundé, le 7 octobre 2018. © Sunday Alamba/AP/SIPA

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  • Eric Essono Tsimi

    Écrivain et chercheur à l’université de Virginie (Etats-Unis). Chercheur associé, LARPSYDIS -Laboratoire de recherche en psychologie des dynamiques intra- et intersubjectives, Université de Lausanne.

Publié le 23 octobre 2018 Lecture : 3 minutes.

Rien n’est jamais gagné d’avance, il y a bien eu match, et en conséquence jeu démocratique. Dans l’analyse de ce mois électoral, nous avons régulièrement confondu agitation et dynamisme, activisme sur la toile et militantisme sur le terrain. J’ai eu la chance de grandir dans ce pays dont les humoristes les plus demandés s’appelaient Essindi Mindja, Jean Miché Kankan, Jimmy Biyong qui jouaient des accents et des différences ethniques pour nous éduquer par le rire.

Aujourd’hui, le spectacle de ce qui pourrait être la principale opposition au régime fait craindre le pire. Paul Biya n’est pas dans les réseaux sociaux, il n’a jamais exprimé d’émotion publique et l’issue de cette présidentielle semble indiquer qu’il use davantage de raison que ses vis-à-vis.

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Les Camerounais connaissent ceux qui se battent pour eux, la sanction de l’authenticité c’est la reconnaissance. Mais elle ne dure pas toujours, l’effondrement de John Fru Ndi, puis du SDF, en atteste. Maurice Kamto aura momentanément été le meilleur espoir de ceux qui veulent cette nécessaire alternance.

En jouant le jeu de cette présidentielle jusqu’à son terme, les candidats ont donné acte au Cameroun d’un progrès constant, sans doute lent, mais irréversible. Qu’il soit permis, aussi, d’admirer Paul Biya pour sa modération, pour sa sagesse, pour n’avoir pas été associé à quelque scandale personnel en Europe d’où il a pourtant dirigé et passé la moitié de ses mandats successifs à la tête du Cameroun. Alors qu’il ne se passe pas, dans les démocraties les plus éprouvées, un seul mandat qui ne révèle son lot de scandales et de poursuites judiciaires.

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Le 6 juin 2014, Akere Muna et Thabo Mbeki accordaient à Paul Biya le « Prize for peace ». Maurice Kamto, au lendemain de la rétrocession de la péninsule de Bakassi, voyait en Paul Biya un candidat sérieux au prix Nobel de la paix.

Il y a une fracture numérique, comme hier une fracture linguistique, et aujourd’hui une fracture ethnique

Ces deux défenseurs du régime voudraient du jour au lendemain nous faire croire qu’entre 2015 et 2018 le président camerounais s’est trouvé une vocation de génocidaire ? Paul Biya n’a rien à voir avec la tribalisation des postures et la montée des ethnicismes au Cameroun. Il n’est pas sur Internet, c’est une technologie qui l’a dépassé par la gauche dès son émergence au Cameroun. Émergence relative du reste, des données fiables parlant au sujet du Cameroun d’un accès de moins de 20% de la population aux réseaux sociaux.

Nous, Camerounais, sommes ce beau pays qu’il faut bâtir

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Il y a une fracture numérique, comme hier une fracture linguistique, et aujourd’hui une fracture ethnique, le bateau est en train de se craqueler, de se fissurer de partout. D’autres lézardes vont questionner notre appartenance à cette nation, mais l’intelligence étant la chose la mieux partagée, nous croyons en notre destinée unique d’échapper au pire. Biya n’a pas accédé au pouvoir par filiation, par force, par vice, ou dans une situation de crise politique ou institutionnelle. Il est l’émanation du principe démocratique de base : le respect de la loi.

Derrière les idéaux, il y a bien sûr un peuple de chair, qui a faim, des opposants qui veulent des postes, des ambitieux qui veulent le pouvoir à leur tour, il convient d’apaiser tous ces appétits et de remettre les travailleurs au travail, c’est cela l’héritage si mince soit-il que Paul Biya nous laissera : la nécessité de travailler encore plus, par-delà nos affiliations.

Nous Camerounais, ne sommes pas la pire chose qui nous soit arrivée, nous sommes ce beau pays qu’il faut bâtir.

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