Fille-mère en toute liberté

Enceinte, une jeune célibataire brise un tabou en gardant son enfant. Avant d’intenter un procès en reconnaissance de paternité au père du bébé.

Publié le 28 février 2005 Lecture : 3 minutes.

Le programme standard en trois étapes pour toute célibataire de la bourgeoisie égyptienne qui tombe enceinte est l’avortement, suivi d’une opération pour se refaire une virginité avec un hymen neuf puis du mariage avec le premier prétendant suffisamment crédule pour se laisser piéger par la famille.
Mais Hind al-Hinnawy, une styliste de 27 ans, a osé l’impensable : elle a gardé sa fille, née en octobre 2004, et a intenté un procès en paternité. L’histoire fait d’autant plus sensation que, selon Hind al-Hinnawy, le père de la fillette n’est autre qu’Ahmed al-Fishawy, un acteur de 24 ans connu à la fois comme héritier d’une famille de vedettes du cinéma et comme animateur d’un talk-show télévisé qui dispense des préceptes de piété. Fishawy prétend n’avoir eu aucun rapport sexuel avec Hinawwy et ne l’avoir jamais rencontrée ailleurs que sur un plateau, où elle était costumière.
Hind a fait plus que briser un tabou : sa requête pour établir que Fishawy est le père de Leena pourrait faire jurisprudence. La pratique du test ADN est relativement récente en Égypte et n’a encore jamais servi à prouver une paternité.
Dans le monde arabe, les relations sexuelles ne sont admises que dans le mariage, surtout pour la femme. Hind aurait épousé Ahmed dans le cadre d’une union urfi, une coutume sunnite qui autorise les couples à se marier en privé, avec un contrat qu’ils rédigent eux-mêmes. Les mariages urfi sont devenus monnaie courante ces dernières années, favorisés par un retour aux moeurs traditionnelles et par des difficultés économiques qui rendent difficiles les unions conventionnelles. Les traditions imposent au prétendant d’acquérir d’abord un appartement, de le meubler et de couvrir sa fiancée de bijoux en or. Par ailleurs, certains dirigeants d’entreprise ou hommes politiques déjà mariés considèrent le mariage urfi comme un moyen commode d’entretenir des liaisons sans enfreindre les principes islamiques.
La saga Hinnawy a fait la une des journaux alors que les conservateurs ont dénoncé la faillite de la famille traditionnelle. Le mufti, la plus haute autorité religieuse du pays, a publié un décret rappelant que, mariage secret ou pas, c’est le bien-être de l’enfant qui compte. Hind a volontairement dissimulé la grossesse à ses parents jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour avorter. « J’essaie de faire comprendre aux gens, et pas seulement aux filles, qu’il faut avoir le courage d’assumer ses actes », a-t-elle déclaré. Elle déplore l’hypocrisie des Égyptiens : « Les gens préfèrent qu’une femme ait sa vie brisée, plutôt que d’avoir à affronter un scandale. »
L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est illégale en Égypte, mais les médecins ont une marge de manoeuvre pour interpréter deux grands principes musulmans : l’IVG est autorisée si la grossesse met en péril la santé de la mère, et ce n’est qu’à partir du troisième mois que le foetus acquiert une âme. Mais seules les femmes qui en ont les moyens peuvent avorter. Les habitantes des quartiers pauvres du Caire qui tombent enceintes hors mariage finissent souvent tuées par leur père ou leur frère, qui entendent ainsi laver l’honneur de la famille.
Les Hinnawy vivent à Moqatam Hills, une banlieue aisée du Caire. Les parents – Hamdi, économiste, et Selwa, professeur de psychologie – déclarent avoir été choqués lorsque leur fille leur a tout avoué. Pourtant, Hamdi Hinnawy a pris la défense de sa fille. « L’honneur est une chose, la sexualité en est une autre, affirme-t-il. Filles et garçons peuvent avoir des relations sans être déshonorés, à condition, bien sûr, qu’il y ait de l’amour. »
L’avocat de Hind, Mahmoud al-Waseemy, estime que Fishawy doit se soumettre au test ADN pour le bien du bébé. L’ADN a été utilisé pour la première fois il y a six mois, dans une affaire de viol. Selon Waseemy, il y a actuellement en Égypte 18 000 procès en reconnaissance de paternité et les juges sont impatients d’appliquer la preuve par l’ADN, plus scientifique que l’habituelle méthode de convocation de témoins – des portiers, par exemple – qui auraient vu un couple entrer dans le même appartement.

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