Dites-le en créole

L’Agence intergouvernementale de la Francophonie avait choisi les Seychelles pour la remise du prix Kadima, qui récompense des oeuvres en langues africaines ou créoles. Une romancière du pays hôte a été couronnée.

Publié le 28 février 2005 Lecture : 3 minutes.

Plis iral desi, plis li vien kourt ? (« Plus on tire dessus, plus elle devient courte ? »)* Les murs de la vieille bâtisse coloniale qui accueille l’Institut Kreol de Mahé aux Seychelles sont décorés de multiples sirandanes, ces devinettes traditionnelles de l’océan Indien, illustrées par des dessins. L’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF) a choisi ce lieu symbolique pour récompenser, le 22 février, les trois lauréats de la cinquième édition du prix Kadima (voir encadré).
La directrice de cet institut, Penda Choppy, nom de plume Théresia Dick, a été primée dans la catégorie prix littéraire pour son roman en créole, Koze mirak, qui relate l’amour d’une jeune fille, élevée traditionnellement par une grand-mère rigide, pour un garçon fort séduisant. Cet amour les exposera aux cancans de leur entourage. Une manière pour l’auteur d’aborder des thèmes généralement tabous aux Seychelles comme les bavardages malveillants, ou encore les racines du racisme. Penda, 33 ans, a fait ses études universitaires en Grande-Bretagne avant de rentrer enseigner les lettres aux Seychelles. Elle reste très attachée au créole et se fait un point d’honneur d’écrire dans sa langue maternelle même si des considérations plus mercantiles devraient l’inciter à produire en anglais ou en français. Pour elle, le créole participe, à sa manière, à l’invention de l’identité métissée de son île.
En effet, le créole seychellois est loin d’être une langue morte. Non seulement il s’enrichit des deux autres langues officielles du pays (l’anglais et le français) en incorporant sans cesse de nouveaux mots et expressions, mais il se nourrit aussi des langues africaines, comme le swahili ou le malgache. « Cette récompense va droit au coeur de tous les Seychellois. La littérature est encore balbutiante dans notre pays, et les écrivains ont besoin d’être encouragés », a souligné la lauréate.
Le prix des Langues a été décerné à François-Xavier Gasimba Munuzero, universitaire, poète, linguiste et professeur de littérature rwandaise à l’Institut supérieur pédagogique de Kigali. Il a été primé pour son ouvrage Inganzo y’Ubwantditsi, un outil didactique sur la création littéraire et son processus d’élaboration en langue kinyarwanda. Gasimba Munuzero a été le premier à rédiger son mémoire de licence dans cette langue et n’a cessé, depuis, de la mettre en valeur en traduisant notamment l’oeuvre de Martin Luther King, La Force d’aimer. « Je suis content de démystifier l’acception commune selon laquelle seuls l’anglais et le français sont les vecteurs de diffusion du savoir. » Le linguiste s’engage également dans de nombreuses actions de développement rural et en faveur de la paix et des droits de l’homme dans la région des Grands Lacs.
Signe involontaire du destin, mais ô combien politique, il a partagé sa semaine seychelloise avec Marcel Kalunga Mwele, un Congolais lauréat du prix de la Traduction pour avoir proposé une version en swahili de la pièce de Victor Hugo, Le roi s’amuse. Pour cet enseignant à l’université de Lubumbashi en République démocratique du Congo, cette consécration revêt une « signification particulière ». Disciple de Kadima, qui était son maître de thèse sur l’utilisation du bantou, Kalunga Mwele l’a accompagné jusqu’à la veille de sa mort des suites d’un accident de voiture.
Les trois lauréats ont reçu chacun une dotation de 3 millions de F CFA (4 645 euros) et une promesse de publication de leur ouvrage. Marcel Mwele compte mettre très vite son prix à profit : il a entamé la traduction de fables kitabwas en français.

*Réponse : Sigaret (« Cigarette »).

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires